[Event] Le mystère de Selveggia

- E-Enfin débarrassées des tarés.

Maugrée Dilay à l’intention d’Erika après s’être contentée de répondre au rouquin d’un reniflement. Elle le surveille quand même alors qu’il s’éloigne, jusqu’à ce qu’elle soit sûre qu’il ne va pas leur sauter dessus par derrière. Ensuite, elle se dirige vers le grand bâtiment et en scrute l’intérieur, sa lampe tendue y répandant autant de lumière que d’ombres.

- T-Tu veux bien me faire de la lumière ?

Elle demande à la tavernière en lui confiant sa lanterne. Erika a un pistolet, elle peut dégainer et tirer d’une main. Dilay préfère conserver son fusil, et elle a besoin de ses deux mains pour cela. En outre, il n’y a pas de concours d’égo. Des deux, Erika a la beauté renversante et le charisme à toutes épreuves… Et Dilay sait bien se servir d’un flingue. Très bien.

- Tu crois aux fantômes ?

Elle lui demande alors qu'elle inspecte méticuleusement la porte.
D'aucuns diraient qu'il faut y aller à l'épaule, mais Dilay n'est pas de cela. Elle presse ses doigts à plusieurs reprises contre le bois mais la technique reste toujours la même : c'est juste sous la poignée que se trouve le point de rupture de la plupart des portes. Elles font finir par se casser en deux, Dilay n'a aucune envie d'essayer d'arracher des charnières de ce calibre. Donc, elle prend une ou deux inspirations et elle fout un bon coup de pied dans la porte. Elle se retourne et fait de même, à l'envers, en ruant comme un cheval, pour ne pas trop fatiguer sa jambe en répétant le même mouvement continuellement. Elle y met toute sa force. Autant dire qu'il y en a un paquet... Mais que ce n'est pas discret.

Dix coups de pieds, ça commence à faire beaucoup. Dilay a la jambe endolorie. Sa cheville en particulier lui fait mal, mais elle ignore les protestations de ses articulations, comme souvent. Il faudra probablement trouver une raison de ne pas montrer ses gambettes à Vaast et les bleus qu’elle doit avoir à force de s’être mangée des éclats de bois.

Elle s’en veut, de cette pensée-là. Elle songe trop souvent à lui dissimuler des choses en ce moment.

- J-Je sais pas.

Admet Dilay à la question d’Erika au sujet des fantômes tandis qu’elle marque une pause dans son attaque sur le pauvre battant. Elle prend ensuite une grande inspiration, travaille son souffle pour empêcher son cœur de s’emballer. Elle n’a pas besoin d’autant d’adrénaline si vite.

- Les thélémites croient que oui. Alors peut-être.

L’idée ne réjouit pas du tout la mathématicienne mais elle n’y connaît rien, et ces types ne sont-ils pas des experts du domaine ? Ils ne viendraient pas ici pour rien ? Ou peut-être que si – Dilay n’est pas habituée à ce qu’on fasse des choses pour des entités immatérielles, des promesses de choses que l’on ne peut ni sentir, ni toucher, quel que soit le temps qu’elle passe à San-Matheus.

- J-Je sais pas tuer un fantôme.

Elle ajoute, davantage une pensée en l’air, une réflexion dite à voix haute. Elle aurait dû demander à Vaast… Mais alors, le génie la frappe – ou ce qu’elle considère tout comme, en tout cas.

- ‘S’essayaient de brûler le…

Elle désigne le bâtiment avant de remettre un grand coup dans la porte.

- D-Donc le feu doit faire… Quelque chose ?

La blonde thélémite qui est parti avec le Natif devrait pouvoir les éclairer mais ce n’est pas le moment d’aller la repêcher. A la place, Dilay donne son dixième coup. La porte cède.

Dilay fronce les sourcils en observant l’intérieur alors qu’elle protège sa bouche de la poussière de bois. Dès qu’elle entend le grondement, son échine s’hérisse, et elle se tend. Les réflexes font le reste. Elle aboie presque sur Erika :

- R-Recule. Garde lanterne.

Elle-même se dégage de la porte. S’il y a quelqu’un ou quelque chose d’hostile, il vaut mieux l’affronter dans un espace qui ne soit pas clos. En outre, la lanterne est leur seule source de lumière, si Erika a le réflexe – compréhensible – de l’avancer pour voir, elles pourraient la perdre et se retrouver bien bêtes en matière d’exploration.

Dilay pointe son fusil sur l’intérieur du bâtiment.

- Identifiez-vous.

Elle lance, ses mains et sa posture stables. Si c’est un humain, il le dira. Si ce n’en est pas un… Elle est aux aguets du moindre mouvement. Et si ça bouge, elle tire. Ce pourrait être une bavure, mais après elle ne va pas risquer leurs deux vies cette fois-ci. Elles sont armées, contrairement à la fête de l’Equinoxe. Ce n’est pas à elles de courir.

Dilay n’a pas le temps de se dire qu’elle connaît cette créature, qu’elle en a déjà vu. Pas le temps non plus de se reprocher de n’avoir jamais écouté le seul biologiste de son camp, Basir, qui devait en savoir infiniment plus sur ces bestioles que ses autres comparses. D’accord, se poster près de lui en articulant « blablabla » pendant qu’il essayait d’exposer sa pensée et que les autres étaient pris entre le rire nerveux et un agacement qui ne l’était pas moins était peut-être un peu puéril.

N’empêche, Dilay n’a pas le temps de se dire ça – et elle n’en a pas besoin. Elle s’interroge brièvement sur à quel point la balle a pénétré ; cette chose pourrait-elle vraiment endurer un tir à bout portant ? Mais ça n’a guère d’importance. L’ennemi n’est pas à terre. Or, l’ennemi est carapaçonné. Or, qu’est ce qui est toujours vulnérable, sur un homme comme sur un loup, lui dirait son père ? Les parties molles.

Dilay étend son fusil qui est couronné d’une longue baïonnette. La distance, c’est important. Si on a plus de portée que son adversaire, c’est bien. Oh, Dilay pourrait probablement disserter à ce sujet mais cela tient du réflexe alors qu’elle enfonce la lame de son fusil dans un des yeux de l’animal. Elle le fait un peu de biais, pour espérer toucher un des lobes du cerveau et pas le bord de son crâne, et elle enfonce autant qu’elle peut jusqu’à ce qu’elle sente quelque chose de mou. Elle laisse son fusil dans la tête de sa victime pour reculer alors qu’un compère sort du bâtiment. Dilay prend son tromblon et tire, une pluie de petits éclats, comme du shrapnel, s’abat en cône face à elle. Probablement pas assez pour tuer le second, mais suffisamment pour qu’Erika puisse faire peu à son tour. Dilay prend déjà son pistolet. C’est sa dernière arme chargée. De son autre main, elle se saisit de son long coutelas.

Dilay, voyant que le deuxième tenlan est à terre, ramasse rapidement de la caillasse à terre pour en charger son tromblon. Plus les cailloux et les pierres sont coupantes, mieux c’est. Elle extrait son fusil de l’œil de l’animal dans un bruit de succion alors qu’elle surveille d’un œil torve le rouquin qui est revenu les aider. Une fois la manœuvre accomplie, elle recharge son arme. Ses mains ne tremblent pas malgré le sol qui fait comme des remous sur la mer. Son cerveau, en revanche, est en ébullition.

- O-On doit agir vite.

Elle lance à la cantonade. Elle n’a aucune idée de si le Natif est de leur côté ou pas, mais comme il les a aidés, elle est tout à fait encline à cesser leurs disputes.

- T-Tu cherches quoi ?

Elle demande au Natif.

- N-Nous : des preuves. De ce qui est arrivé. Erika faut aller à l’intérieur. Fouiller aussi vite que tu peux. Trouver tous les do-documents. Les re-registres. Rendus aux familles ensuite. Et des récits, peut-être. Je vais préparer la poudre.

Elle en a plusieurs sacs qui pendant à sa ceinture, comme n’importe quel fusilier de l’Alliance. Les doses sont divisées en portions pour pouvoir rapidement remplir un barillet. Elle ne peut pas tout foutre dans les cavités, si elle-même a besoin de se battre ce serait stupide – et du gâchis, mais c’en sera déjà quand elle va faire sauter cet endroit. La poudre, c’est pas gratuit, et c’est le moins qu’on puisse dire. Elle n’a pas intérêt à se foirer sur ce coup-ci.

Elle pose une main par terre, et pendant un instant, elle a l’impression que le son se coupe. Elle inspire un grand coup. Est-ce que ça peut être aussi bête que ça ? Est-ce que ce sont de simples animaux qui ont mis fin à ce rêve ? Qui ont tiré les habitants de leurs lits, et les ont amenés sous terre ? Comment a-t-on pu même ne pas s’en apercevoir ? Comment a-t-on pu penser fantômes, bandits, malédiction quand l’explication est tellement bête ? Ne se souvient-on vraiment plus de comment les choses étaient ?

Et est-ce qu’elles l’étaient, comme ça, avant ? Est-ce que c’était courant de mourir de la main d’une bête ? Est-ce que Gacane a jamais eu des créatures de la taille de Teer Fradee ? Peut-être les mêmes – on trouve bien des essences végétales communes.

Ça ne va pas plaire à beaucoup de gens, se dit Dilay. Parce qu’il n’y a pas vraiment quelqu’un à blâmer. C’est arrivé, c’est tout, c’est la faute à pas de chance, c’est un manque de préparation, ces bêtes-là n’ont pas agi par malice. Et il va pourtant falloir les exterminer, parce que Dilay ne doute pas, quand certains auront vent de cette nouvelle, ils reviendront.

Elle peut peut-être un peu limiter la casse. Mais il faut agir rapidement.

Elle se relève.

- J-Je peux boucher les trous. Les faire s’effondrer. Mais le bâ-bâtiment est sur les trous. Donc il risque de…

Elle mime face à Erika et le rouquin un mouvement de bascule. Si le sol est troué comme un fromage de Peren, il est certain que les murs qui sont plantés dedans ne vont pas apprécier qu’on l’ébranle. Pire ; Dilay ignore la profondeur des cavités. Il pourrait y avoir un nid sous le grand bâtiment, ou il pourrait y avoir de véritables galeries pour se déplacer de maison en maison. Toucher à l’entrée de celles-ci pourrait en affaiblir d’autre. Et le pire, c’est que des gens pourraient encore être en vie là-dessous.

Un cri naît dans la gorge de Dilay mais elle l’avale, déglutit avec force. Juste l’entrée. Elle doit bien doser l’entrée pour que ce ne soit que ça qui s’affaisse.

Elle est une foutue mathématicienne ! Elle a étudié les charges de destruction dans la Garde ! Elle devrait pouvoir faire ça. Mais il n’y a personne pour lui tenir la main, approuver son travail, ni pour lui prédire les conséquences de ses actions. Elle pourrait être considérée comme une idiote… Ou une héroïne. Le plus facile serait de ne rien faire, de ne prendre aucun risque. Rentrer, c’est tout, raconter. Pourtant, il y a quelque chose à jouer, là. Ils pourraient obtenir plus. Des preuves. Des noms. Et sécuriser suffisamment la zone, même temporairement pour qu’une équipe de recherche en bonne et due forme soit envoyée.

- O-On veut tout ce qui est en papier dans les maisons autour. Si tu nous aides, on peut t’aider à trouver ce que tu veux en retour. Sinon…

Dilay remet son fusil d’aplomb dans un craquement.

- Te met pas dans nos pattes.

Elle fait un signe du menton à Erika, espérant en recevoir un en retour. Qu’elles aient compris la même chose, qu’elles aient les mêmes buts.

Le Continent aussi essaie de les buter. Ce n’est pas différent, se dit Dilay. Au moins ici elle voit ce qui en veut à sa vie, et accessoirement, elle peut tirer dessus. Alors pourquoi ne ressent-elle aucune joie en avisant les cadavres des deux créatures ? Tout ce qu’elle éprouve, c’est de la lassitude.

Elle était venue en mission de recherche. Une mission pacifique. Tout est tellement parti à vau-l’eau.

Dilay observe le guerrier partir et roule des yeux. Il est venu exactement pour la même raison qu’elles, sauf qu’il n’a pas l’air de devoir faire autre chose que présenter un rapport à ses supérieurs. Grand bien lui en fasse. Dilay craignait qu’il ne lui fasse la leçon pour vouloir détruire les terriers des…

Ce sont des tenlan, a-t-il dit. Le fait que le Natif se montre aussi décisif – partir sans chercher à investiguer davantage – conforte Dilay dans sa théorie. Les terriers doivent s’enfoncer plus profondément. Ou le rouquin n’a aucune idée de la puissance de la poudre, ce qui est une autre possibilité.

Erika se met à farfouiller. Très bien, mais il ne va pas falloir s’éterniser, le sol continue d’être pris de tressautements.

L’ancienne mathématicienne s’accroupit près des terriers. Elle commence par sonder leur profondeur puis se met à … sauter à pieds joints autour d’eux. Elle teste là où la terre semble être plus meuble. Plus creuse. Plus spongieuse. C’est là qu’elle glisse la poudre, jusqu’à n’avoir plus que trois gourdes.

Trois coups. En plus de ceux qu’elle a déjà chargé. Ça fait six. Et la poudre n’a pas servi qu’à créer comme de petites poches dans les cavités, évidemment, Dilay fabrique une trainée. Elle opine la tête aux paroles d’Erika et lui indique de ne pas marcher dans la poudre avant de lancer.

- R-Retrouve moi au palais demain. On va donner les infos’ qu’on a.

Elle décoche un sourire canaille à la tavernière.

- On va être des hé-héroïnes.

Elle aimerait bien sentir cette belle confiance jusque dans ses tripes. Normalement, ses calculs sont bons, la répartition et la charge, mais beaucoup de choses sont hors de son contrôle. Elle ignore à quel point le sous-sol est friable. Elle ignore s’il y a une cavité entière sous le bâtiment ou simplement des tunnels. Elle ignore même si se faire enfouir fera quelque chose aux tenlan – elle espère qu’avec le bruit et le chaos, il leur faudra un peu de temps pour creuser de nouveau à la surface, mais elle ne peut pas en être certaine.

Dilay décline l’invitation d’Erika de rentrer.

- J-Je vais encore fouiller. Un peu.

Elle explique, avant d’instruire à Erika de venir prendre couvert avec elle derrière une autre bâtisse proche. Elle donne à son amie des morceaux de bandage qu’elle a déchiré pour en faire des bouchons d’oreille. Une fois bien en place chez chacun, Dilay approche la flamme de sa lanterne de la trainée de poudre, puis elle plaque ses mains sur ses oreilles. Elle articule en comptant pour Erika.

L’explosion retentit avec à peine quelques secondes d’intervalle au « zéro » de Dilay. Elle-même tire une de ces têtes ! Elle est surprise que ça ait même fonctionné.

Si les dégâts le lui permettent, la jeune femme laissera Erika repartir, et parcourra la partie ouest de la route marchande au sud. La nuit est tombée, et elle est seule, lanterne et fusil à la main, à inspecter ce qui reste des demeures, à y entrer si elle peut. A les retourner pour trouver encore quelque chose. Une preuve. Quoi que ce soit.

Ce ne pouvait pas être si facile.

Après une nuit sans sommeil, Dilay se retrouvera vêtue d’une belle robe au bas de l’escalier du palais de la Gouverneuse à Nouvelle-Sérène, armée de tout ce qu’elle a trouvé – la note sur le jouet en bois, le journal du prêtre – et d’un récit somme tout assez direct. L’île n’a pas voulu de ces gens, alors elle les a tués.