[Event] Cuán - Constantin

La représentation musicale connue une interruption plus que remarquée, car un cri à glacer le sang vint supplanter le concerto. Les mains de Constantin tressaillirent, faisant filer son archet contre les cordes de son violon dans une cacophonie discordante. Il ne fût pas le seul à adresser un regard en direction de la lisière des arbres, là d’où venait le hurlement à fendre l’âme. Parmi les branches et la végétation, presque caché par le feuillage des arbres derrière lesquels ils se trouvaient, le groupe de natifs de Vighulsob semblaient de plus en plus agités. Cette agitation, du clan qui était probablement le plus mécontent d’être présent ce soir, et maintenant ce hurlement ? Ce ne pouvait être que le signe annonciateur d’une sombre histoire. Les soupçons de Constantin semblaient être de plus en plus fondés, cette petite fête était une poudrière en devenir, une qui sauterait avec une force et une grandeur telle qu’elle secouerait peut-être l’entièreté de Teer Fradee. La paix était une chose fragile et éphémère après tout.

Lorsque les yeux de la native croisèrent ceux du juriste, toute incertitude fût balayée. Quelque chose de terriblement mauvais était en train de se passer. Il ne savait pas exactement quoi, mais il avait vu trop souvent de tels regards pour qu’il reste indécis ou incertain. Ses soupçons confirmés, et avec l’indéniable conviction que quelque chose d’important était en train de se jouer, Constantin s’éloigna du groupe de natifs avec lequel il jouait auparavant. Il restait cependant une question très importante à laquelle Constantin devait lui-même répondre par ses actes : que devait-il faire ? Le juriste était beaucoup de choses, mais il n’était pas un héro. De plus, agir seul présentait d’autant plus de dangers qu’il n’était prêt à en courir d’habitude. Surtout qu’il s’agissait de natifs de Vighulsobs, et que leur réputation n’était plus à faire.

Il lança une œillade rapide autours de lui. Personne ne le regardait. Parfait, voilà de quoi s’éclipser plus facilement. En quelques pas, toujours avec son violon à la main, il s’enfonça lui aussi dans la forêt, faisant profil bas, suivant les natifs de Vighulsob, avec une détermination et une conviction qui éclipsait toute trace de son naturel fantasque et flamboyant. Une détermination appuyée par une arme qu’il gardait soigneusement cachée sur lui.

Constantin reste accroupi, caché derrière la végétation, épiant les mouvements agités des natifs de Vighulsob. Il ne comprenait pas un traître mot de ce qu’ils disaient, mais il pouvait voir l’agitation qui les animait. Il voyait plusieurs émotions traverser le visage de différents natifs, bien que ce qu’il pouvait voir était atténuait par la végétation qui le cachait. Il voyait la honte, le choc, le regret, pour la plupart. Un seul avait une dégoûtante satisfaction gravée sur son visage, bien qu’il soit bien plus sur la défensive après qu’un autre natif ne semble le confronter. La natif qu’il avait entendu crier bien plus tôt dans la soirée était toujours amorphe, le choc semblait peser lourdement sur ses épaules alors qu’elle était soutenue par les autres natifs.

L’agitation prend de l’ampleur, et le front unie que pourrait sembler être Vighulsob se fissurait petit à petit. Ce qui pouvait causer cette fissure était toujours inconnu de Constantin, mais ils semblaient être en profond désaccord à propos de quelque chose. Ça crie, ça se dispute, et la native sous le choc est menée plus loin, loin de l’agitation et des troubles qui secouaient le groupe. Cependant Constantin était face à des problèmes plus pressant.

L’ulg du jeune chasseur lève la tête, renifle l’air, semblant avoir repéré une odeur. Il s’approche du buisson ou est caché Constantin, et le juriste tressaille, écarquillant les yeux et passant sa main sous son manteau, agrippant le manche de son pistolet. Il attend avant d’agir, observant comment l’ulg va réagir. L’ulg renifle tout près de lui. C’était finit, Constantin allait être repéré. L’ulg s’éloigne et retourne auprès de son maître, qui regarde lui aussi en direction des buissons, mais n’agit pas au-delà de ça. Curieux. Constantin cligne des yeux. Le natif ne donne pas l’alerte ? Pourquoi ?

Le juriste continue d’observer, la main toujours agrippée à son pistolet. L’échange des natifs gagnait en intensité, et les yeux de Constantin épièrent le jeune chasseur. Il ne prenait pas part au débat, et semblait garder une certaine distance avec ses frères et sœurs. Plus que cela, alors qu’il s’éloigne avec la native sous le choc, son visage n’exprime rien d’autre que dégoût, tristesse et honte. Les yeux du natif s’attardent une nouvelle fois sur la cachette de Constantin, et il continue de s’éloigner.

Le juriste expire longuement, fermant les yeux pendant quelques secondes. Il se concentre sur sa respiration pour se calmer, avant de rouvrir les yeux pour observer les natifs qui continuaient de se disputer. Après quelques minutes, l’argument semble s’être terminé, et l’un des natifs, visiblement celui qui faisait son petit chef, baissait les bras. Il s’éloigna avec une autre native, s’enfonçant dans les profondeurs de la forêt pour quelques sinistres affaires.

Tout à coup, un ulg sort des fourrés sur sa droite, et par réflexe, Constantin dégaine son pistolet, le pointant dans la direction de la bête domestiquée. Il retient son doigt de presser la détente, et lorsque le jeune chasseur surgit lui aussi des fourrés, le juriste expire longuement avant de ranger l’arme dans son manteau. Il se redresse, ses membres cessant de fourmiller et de s’engourdir à force d’attente. Son regard passe du jeune chasseur à la native. Il ne fallait pas être grand savant pour se rendre compte qu’elle avait désespérément besoin d’aide.

« Paix. » disait le natif à Constantin en levant sa main. Des mots qu’il n’aurait jamais cru entendre de la bouche d’un natif de Vighulsob, après tout le juriste restait un homme avec des à-priori. Mais cela ne semblait n’être ni une ruse, ni un piège. Et de ce qu’il observait depuis un moment déjà, et de la manière dont le jeune chasseur avait réagit, ce n’était pas si surprenant que ça.

« - Il faut que tu emmènes avec toi. Tu emmènes auprès de son village. Vigsoneigad. Elle a besoin soins. Elle a besoin parler. Jure. »

Le ton pressant du natif ne laissait aucune place, ni aucun loisir à discuter. La situation était urgente, aussi fallait-il une réponse rapide, et tout aussi urgente.

« Je jure. » Il répondit simplement.

Constantin ne perd pas de temps en élucubrations ou tirades insensés et inappropriés pour la situation. Il regarde le natif se raidir, puis hocher la tête solennellement. Voilà qui semblait donc acté, le juriste venait de jurer, et bien qu’il ne comprenait pas entièrement l’importance de son geste pour le natif, il savait néanmoins que c’était non seulement la bonne décision, mais c’était la seule décision à prendre face à une situation qui semblait cruellement le dépasser.

Lui, simple juriste de son état, était maintenant empêtré dans des intrigues et des risques qu’il ne se serait pas imaginé en arrivant à cette fête. Il savait qu’elle serait sans doute mouvementé, mais il n’avait pas imaginé une seule seconde son implication. Pas de cette manière en tout cas. Lui qui s’imaginait en simple spectateur, le voici qui était acteur lors de ce grandiose et sinistre acte.

Mais trêve de tergiversation, le temps était un luxe que ni Constantin, ni le chasseur de Vighulgsob ne semblait avoir. Sans perdre de temps, le natif interpelle Elowen, celle dont le juriste et une myriade d’autres natifs avaient entendu le hurlement déchirant. La raison pour laquelle il s’était mis en tête d’enquêter malgré ce que le bon sens aurait préconisé. Le chasseur agrippa la native par les épaules, avant de l’approcher de Constantin. Ce dernier imite le geste du natif, posant ses mains sur les épaules d’Elowen comme s’il s’agissait d’une chose fragile et précieuse.

Devant la frustration du chasseur lors de ses instructions, Constantin fronce légèrement les sourcils, le visage marqué par la confusion devant le geste du natif. Une confusion rapidement levé par le nom du village que le natif lui donne. Vigsoneigad. Il lui avait dit auparavant qu’il s’agissait du village d’Elowen. Et il avait été plus que clair sur le fait qu’il fallait impérativement qu’elle retourne auprès des siens le plus rapidement possible.

Le juriste était-il le mieux placé dans ce genre de situation ? Il en doutait lui-même fortement. Cependant il était le seul à pouvoir agir à ce moment précis. Les affres et aléas de la vie étaient des choses bien curieuses, et Constantin était dès à présent portés par leur courant tumultueux. Atteindrait-il sa destination et son objectif sans encombres ? Une question qui verrait prochainement une réponse, sans doutes.

Le chasseur natif fit volte face, alors qu’une ombre planait, rasant les arbres et la végétation. Constantin lui-même observe les alentours, vérifiant qu’il ne voyait aucun autre signe de vie. L’air grave et la mimique du chasseur suffisaient pour intimer Constantin au silence. Qu’il ne comprenne pas ce qu’il se passait à cet instant même n’était pas important. Il ignorait bien des choses dont les natifs avaient connaissances, et probablement encore plus dont lui-même préférerait ne pas découvrir de sitôt.

«  Kwa awalem seg, renaigse. » Lui disait le natif avant qu’il ne s’éloigne avec son ulg, laissant à Constantin le soin d’escorter Elowen jusqu’à son clan.

Le juriste n’avait pas grande connaissance de la langue native, et ne savait pas exactement ce qui lui avait dit le natif avant de s’éloigner. S’il devait se risquer à des hypothèses, il s’agirait probablement de « bonne chance » ou « adieu ». Mais il n’avait pas le temps de se livrer à de telles frivolités.

Guidant Elowen, Constantin revenait sur ses pas, en direction du lieu de la fête. Il avançait prudemment, restant sur ses gardes sans toutefois perdre un temps trop précieux. Et il s’accrochait à l’espoir que ce serait suffisant, même si une partie de lui même, nichée au creux de son âme, hurlait que cela ne le serait sans doute pas.

Avancer n’avait rien d’une sinécure. Plus qu’aider Elowen à marcher, Constantin avait l’impression de faire se mouvoir un rocher. Il a davantage l’impression de traîner une coquille vidée de toute substance que d’aider la native. Cependant il ne s’en plaignait pas, elle n’était pas maître de ses émotions, et le choc qu’elle devait ressentir était certainement intense. Mais cela ne décourageait pas le juriste, car tout ce qu’il pouvait faire pour l’aider, c’était d’avancer et de continuer sa route. Sa tâche était relativement aisée, car c’était Elowen qui portait sur ses épaules la charge la plus intense.

Le juriste ne comprend pas ce que marmonne la native, un baragouinage vide de sens était tout ce qu’il pouvait entendre. La compréhension lui échappait, et en vérité, toute cette situation lui échappait. Il s’était tout simplement trouvé à un endroit clé, à un moment clé, poussé par sa curiosité. Ou bien était-ce sa méfiance ? Difficile à dire. Toujours était-il qu’il avait cherché cette situation, après tout il s’était déplacé pour épier les mouvements des membres de Vighulgsob.

Il s’était fourré dans un sacré pétrin, et il ne préférait même pas imaginer ce qui se passerait une fois qu’il retournerait à la fête. Il secoua légèrement la tête comme pour chasseur ces fâcheuses pensées, des parasites qui lui embrumait l’esprit. Le juriste devait rester concentré, focalisé sur son objectif : ramener Elowen à son clan, et ce le plus rapidement possible.

Mais celle-ci ne rend pas la tâche facile, son état physique étant malheureux à observer, mais son état mental n’était guère mieux. En réalité, elle était bien plus blessée mentalement et moralement que physiquement, et les deux états se mélangeaient et s’emmêlaient en un dangereux cocktail délirant qui ne rassurait guère le juriste. Constantin était bien des choses, mais il doutait fortement être le mieux placé pour rassurer quelqu’un en plein délire.

Alors lorsqu’Elowen prend Constantin pour quelqu’un d’autre et qu’elle se laisse comme tomber en arrière, le juriste la rattrape. Il prend ensuite le bras de la native, et soutint son poids, la laissant s’appuyer sur lui pour marcher. Même s’il doutait qu’elle se montrerait très coopérative.

Il ne réagit pas tout de suite aux paroles d’Elowen, doutant de ce qu’il devait répondre. Que devait-il répondre ? Cela risquait-il d’empirer son état s’il la pressait de question ? Non, il valait mieux ne pas l’harasser de questions. Il craignait que cela n’empire le délire de la native si jamais il jouait le jeu, ou s’il décidait de connaître le fin mot de l’histoire. Il n’avait pas besoin de savoir. Même si cela le démangeait, sa curiosité professionnelle et naturelle rongeant ses lèvres.

Mais il ne posa jamais de questions. Ce ne serait pas juste. Et Constantin refusait de profiter d’un instant de faiblesse de la native. Alors il continuait de la soutenir et de marcher, malgré la difficulté.

« Je suis seulement là pour aider. Pas pour punir, ou quoi que ce soit d’autre. Gardes tes forces. »

Il répondait avec un peu d’hésitation, il n’était pas vraiment doué pour prodiguer un soutien émotionnel, surtout dans une situation qui lui échappait complètement. Son village serait d’un plus grand soutien qu’il ne pourrait jamais l’être.

Constantin ne répond pas tout de suite, toutefois son air troublé ne laisse pas le moindre doute à ce qu’il pouvait ressentir à cet instant précis. Il discernait les contours de la situation, mais il ne parvenait pas à entrevoir au-delà des parole fiévreuses de l’esprit embrumé d’Elowen. Ce qu’elle exprime, il ne le comprend qu’à moitié, un puzzle dont elle dissémine les pièces au fur et à mesure de leur laborieuse marche. Constantin assemblait les pièces de ce puzzle tout en guidant la native vers les lieux de la fête.

Elle parlait d’un dieu-soleil, d’un être miséricordieux qui pouvait pardonner les actes de la native. Il ne fallait pas être grand détective pour comprendre qu’elle le prenait probablement pour un thélémite. La nature des relations entre ce thélémite et cette certaine Merryn en revanche ne restait que pure spéculation. Les conclusions hâtives ne feraient qu’un plus grand mal dans ces conditions, il devait discerner la vérité. Tâche bien difficile en ce moment plus que troublé.

Il était incertain de ce qu’Elowen voulait dire lorsqu’elle expliquait avoir laissée Merryn dans les bois. Constantin ayant une certaine idée de la situation, un frisson glacial parcouru le long de son échine, le faisant frissonner légèrement. Il fallait toujours anticiper le pire d’une situation. Un choc après un meurtre, voilà l’explication la plus probable à l’état de la native. Et la raison urgente pour laquelle le chasseur de Vighulgsob tenait tant à ce qu’elle retourne auprès de son clan pour parler. Il s’agissait autant d’une aide que d’un aveu pour la native. Il fallait qu’elle avoue ses actes, qu’elle en prenne la pleine responsabilité. Car si un corps il y a, et qu’il fût découvert, cette délicieuse poudrière qu’était la fête serait allumée, et les conséquences pourraient être plus que désastreuses.

Constantin avait pu initialement trouver amusant une telle tentative de rapprochement, et ce à cause des inimités entre les différents groupes rassemblés, mais un meurtre ? Ca changeait la donne. La situation risquait de déraper, dégénérer, peut-être était-ce déjà le cas, qui pouvait prévoir les caprices du destin ? Mais Constantin savait que dans ces conditions, il ne pouvait que continuer avec les cartes qui lui avaient étaient données. La main qu’il avait reçu avait beau être moins qu’idéale, mais il n’avait pas d’autre choix. Il n’aurait pas considéré un autre choix.

Il faisait un bien triste luron à cet instant, ne sachant pas quoi répondre à Elowen. L’atmosphère était bien trop lourde pour qu’il envisage seulement un des commentaires dont il avait le secret. Dédramatiser la situation était inenvisageable, et c’était après un silence teinté de gêne qu’il répondit à la native.

« Je te crois. » Répondit-il simplement dans un premier temps, avant de continuer, « Nous y sommes presque. Je sais que j’en demande plus que je ne devrais, mais il ne reste que quelques efforts à faire. »