[Mission] Portés disparus
A la question de Dilay, Constantin fronça légèrement les sourcils avant de prendre un air pensif quelques instants.
« Ils pourraient se montrer plus reconnaissant. Multiplier les points d’arrivées d’eau présente quelques avantages, même si cela va leur coûter plus cher au début. »
-Vous… Vous voulez bien ? balbutie-t-elle. Ce… C’est… Merci.
La Native pousse un gros soupir et hoche la tête quand Constantin renchérit.
-Il ressemble à une pierre brillante. Il y a un symbole dessus. Il tient dans la main. Mon frère devait méditer dessus…
Brogan esquisse son premier sourire, quoique fugace.
-Je peux amener vos morts ici. Vous saurez retrouver l’endroit ?
Elle ajoute d’une voix plus solennelle :
-Je vous attendrai. Je vous souhaite de réussir, renaígse. Kwa awalem seg.
Le souhait n’est sans doute pas vain. Almas avait reçu Constantin et Dilay chez lui, au rez-de-chaussée de sa minuscule maison accolée à un laboratoire de Hikmet, ce qui fait que son adresse leur est déjà connue. Mais retrouver le sceau - et ce après avoir trimballé des cadavres ! - risque d’être délicat.
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Portés disparus
Feat Constantin
- Y-Ya des marques sur les arbres. Les effacez pas.
Prévient Dilay en guise d’acquiescement : oui, ils sauront retrouver leur chemin, si rien n’est fait pour les en empêcher.
- On revient avec le sceau. Vous donnez les cadavres. Et vous montrez les sources.
Une fois cet accord formulé, Dilay agite vaguement sa tête à l’attention de la native pour la saluer puis se tourne en direction des bois. Après une dizaine de minutes de marche en silences, il lui semble avoir les idées assez claires pour proposer une marcha de manœuvre. Elle toussote avant de dire :
- O-On pourrait dire à Almas que le sceau fait un truc à la grosse bestiole. Qu’elle le calme. On lui montre le fusil tordu pour preuve que la bestiole existe. Ensuite, on lui dit que la source doit se trouver plus loin. Mais on a besoin du sceau pour avancer.
Mais comment pourraient-ils savoir qu’Almas en aurait un tout spécialement ? Dilay fronce le nez, agite la main.
- O-On dit qu’on a vu un natif passer et qu’il avait un sceau. Avec une pierre brillante. Que ça doit calmer la bête parce que…
La mathématicienne envoie ses bras en l’air. Qu’est ce qu’elle en sait, elle ? Almas n’en aura probablement aucune idée non plus alors ce n’est pas un mauvais plan. D'ailleurs, plus ils donnent de détails, plus on soupçonnera leur implication auprès des Natifs. Ils ont des preuves qu’ils sont allés loin et sont sur une piste prometteuse grâce au fusil. Ils pourraient facilement le duper, ça irait plus vite que de retourner sa maison comme des voleurs.
- O-On pourrait lui donner un faux em-emplacement ensuite. Ou un pas tout à fait juste. Très compliqué d’accès. Dans la montagne, au fond d’une grotte. Casse-tête lo-logistique. Nos trois sources auront l’air mieux.
D’accord, ce sont des idées qui ont besoin d’être peaufinées mais ils ont le temps. Revenir sur leurs pas va être long. Et puis c’est Constantin le beau parleur, il trouvera bien une façon d’enjoliver l’affaire.
- L’important c’est qu’Almas ait rien à redire contre nous.
… Ou que leur réussite soit tellement triomphante que ses protestations soient étouffées. Dilay n’a pas envie de se faire de nouveaux ennemis, surtout pas dans ce petit jeu stupide des Académies, à qui aura le plus de reconnaissance pour ses recherches. Qu’Almas vienne lui chercher des noises et elle risque de s’agacer fort – trop fort.
Elle n'a pas le temps de s'excuser pour avoir cassé la mâchoire d'un gringalet.
Lorsque Dilay se perdit dans ses idées pour berner Almas, Constantin ne pût réprimer un léger rire moqueur avant de hausser ses épaules.
« Vous cherchez à aller bien trop loin dans vos explications. Donner trop de détails attirera des questions malvenues de sa part, et il y a autant de chances qu’il sache ce qu’est ce sceau, qu’autant qu’il n’en a absolument aucune idée. Et attirer sa méfiance nous compliquera beaucoup trop la tâche, alors il va falloir d’abord l’endormir. J’ai déjà une idée pour procéder. Vous pouvez me faire confiance là-dessus. »
Si Almas était un tant soit peu comme Constantin l’imaginait -c’était dire avec des dents longues et un égo assez important- endormir sa confiance ne serait pas forcément très compliqué. Et le persuader de leur bonne foi serait d’autant plus facile qu’ils reviendraient avec des preuves de leur périple, le fusil tordu serait un bon départ. Peut-être le faire boire un peu, vanter ses mérites, et il serait déjà probablement plus enclin à leur laisser le sceau. Ou il ne serait plus assez vigilant pour remarquer que quelqu’un le lui avait malencontreusement dérobé. Ce serait une telle tragédie, Constantin s’en amusait déjà.
Il réfléchit quelques instants à ce que disait Dilay. Envoyer Almas sur une piste impossible le dissuaderait d’envoyer d’autres naïfs à leur mort. Quant à savoir s’il fallait s’entretenir avec lui au sujet des trois sources… Cela restait à voir. Il fallait la jouer fine, rusé, revenir de manière à ce qu’Almas n’ait rien à redire sur eux, ou que ses protestations aient tellement peu d’importance que personne n’y fasse attention. Ramener les cadavres de ceux qu’il avait envoyé à leur mort semblait être une bonne manœuvre dans ce sens.
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Portés disparus
Feat Constantin
- Non.
Non, elle ne peut pas « lui faire confiance là-dessus ». Dilay adresse un regard désabusé à Constantin. S’ils veulent duper un savant de l’Alliance, même l’un de ceux qui n’a pas le bras très long, il faut qu’elle sache exactement dans quoi ils se lancent.
- J-J’écoute votre idée.
Elle fait tout en continuant de marcher. Elle suit les encoches sur les arbres, en effleure parfois l’écorce. Elle ne compte pas rester passive simplement parce que Constantin est né avec une langue bien pendue, cette affaire la concerne autant que lui, et elle a à perdre.
- J-Je pense pas qu’il sache ce qu’est le sceau. Il a dû juste le prendre parce que c’est quelque chose de natif. Il faut qu’il nous le donne.
Ou qu’il ne s’aperçoive pas qu’ils sont responsables de sa disparition s’ils l’ont dérobé, parce que…
Dilay toussote, reprend :
- On doit l’évincer. D’entrée de jeu. L’envoyer sur une mauvaise piste, quelque chose. Qu’il nous ait pas dans le nez. Sinon il essaiera de se venger.
Probablement pas d’une façon agressive mais les rumeurs pourraient aller bon train. Si Almas possède quelques contacts, quelques protecteurs qui attendent le résultat de ses recherches parmi l’administration d’Hikmet, ou même un supérieur qui l’a à la bonne, ce sera le début d’ennuis usants. Rien qui puisse définitivement nuire ni à Constantin ni à Dilay non, mais ce genre de rivalités peut durer des années dans les Académies. Il suffit qu’Almas considère qu’on lui a dérobé sa gloire…
Ou pire.
- F-Faut surtout pas qu’on ait l’air du côté des Natifs.
Ça, ça ne ferait pas que leur attirer des ennuis négligeables avec une poignée de savants, ce serait l’armée qui n’apprécierait pas.
Elle soupire. C’est un jeu d’équilibrisme qu’elle auquel elle aurait préféré ne pas avoir à s’essayer.
Faire croire à Almas que sa piste était simplement la mauvaise est la meilleure solution aux yeux de Dilay. Le temps qu’il envoie des gens confirmer ou infirmer, la mathématicienne et son comparse auront soumis les emplacements des trois sources. En attendant, il faut simplement faire croire à leur employeur qu’ils sont dans son camp jusqu’au bout.
« L’intérêt que nous avons tout les deux reste de dérober ce petit sceau à Almas. Pour cela, il faut déjà repérer ou il l’entrepose. Est-ce qu’il le cache ? Est-ce qu’il l’exhibe comme trophée pour que tout le monde l’admire ? Cela donnera déjà une idée d’à quel point il tient au sceau, et donc à quel point il sera compliqué de le prendre. S’il en est particulièrement fier, il l’exhibera, ce qui rendra la tâche plus complexe. Le fait qu’il ignore ou qu’il soit conscient de l’importance de ce sceau pour les natifs peut jouer. Mais je suis d’accord avec vous, il ne doit probablement pas être au courant de l’importance du sceau pour les natifs. »
Il prit quelques instant pour réfléchir à ce que disait Dilay. Ses réflexions n’étaient pas dénuées de vérité, et il serait sans doute plus sage d’éviter la confrontation directe, surtout si Almas s’avérait particulièrement revanchard.
« L’évincer, ou rendre son opinion négligeables sont deux possibilités, néanmoins l’évincer, voir même pour quelques temps serait préférable. Et le mieux serait de faire croire à une erreur honnête. Voir même faire croire que la piste suggérée par Almas était trop dangereuse, le fusil en est un témoin assez éloquent. A côté de ça, nos trois sources sembleront plus avantageuse qu’une hypothétique grande source, dont l’existence n’a pas encore été prouvée. Et qui ne le sera peut-être pas avant longtemps, surtout si les éclaireurs éventuels finissent face à ce… Nadaig. »
Avoir l’air du côté des natifs serait dangereux. Comme le disait Dilay, ils devaient tout deux éviter tout soupçon à tout prix. De telles allégations pourraient avoir des conséquences désastreuses pour l’un, comme pour l’autre. Et Constantin n’avait pas particulièrement envie de finir paria, ou pire, de devoir fuir l’Alliance du Pont. S’il ne finissait pas tout simplement emprisonné. Ou irait-il de toutes manières ? Retourner dans la Congrégation ? Plutôt finir en prison, et il n’avait pas spécialement l’envie de devoir tenter sa chance à Thélème.
« Il faudra montrer que nous avons les intérêts de l’Alliance à coeur, et éviter tout soupçons. Après avoir pris le sceau à Almas, il faudra être particulièrement vigilant. Nous n’avons aucune envie qu’il envoie des gens -s’il le peut- pour nous surveiller, n’est-ce pas ? Raison de plus pour endormir sa vigilance. »
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Feat Constantin
- S-Si on lui dit qu’on a besoin d’un sceau en dé-décrivant à quoi il ressemble il va peut-être nous croire.
Argue Dilay car le terme « dérober » ne lui plaît pas. Mieux vaut qu’Almas les pense encore à faire ses affaires au-dehors, cela leur gagnera du temps.
- O-On va le voir. On lui décrit le sceau en disant qu’on a vu un Natif en utiliser un similaire. Il nous le donne. On le rend à la native. On cherche nos sources. Pendant ce temps Almas croit qu’on fait toujours ses affaires donc il tente rien de plus. On rentre. On l’envoie sur une fausse piste. On pourrait même demander un faux sceau à la native à redonner à Almas.
Dilay étouffe une quinte de toux au creux de son coude avant de reprendre :
- On soumet nos sources dès qu’on a dit des ba-balivernes à Almas. Il aura pas le temps de réagir. Ou de se plaindre. Le temps que les sources soient au-authentifiées, ce sera trop tard pour ses recherches à lui.
C’est dans ce genre de situation que Dilay ressent une envie tenace envers presque tout le reste de Gacane et de Teer Fradee. Eux pourraient exposer leur plan clairement sans buter sur les mots, eux pourraient se faire entendre. Peut-être qu’elle aussi – mais la frustration à la pensée qu’elle pourrait buter sur la prochaine syllabe, l’empressement à dire les choses avant qu’on ne l’interrompe rendent l’exercice tellement plus ardu.
Tant pis, si Constantin ne tranche pas en la faveur de ce plan-là… Il faudra bien aller avec ce qu’il imagine. Cependant, parce qu’elle ne veut pas se contenter de le suivre en trainant des pieds, Dilay ajoute :
- L-Les Natifs ont des portes qu’ils sont les seuls à savoir ouvrir. Peut-être qu’Almas le saura alors ça le fera mordre à l’ha-hameçon. Faut juste pas trop attiser sa curiosité sinon il voudra venir avec nous.
La mathématicienne le sait. Elle côtoie les chercheurs de près puisqu’elle en est une elle-même – mais elle ne peut pas blâmer Constantin de ne pas le deviner. Elle a présentement davantage les allures d’une mercenaire.
Au reste des paroles de Constantin, surtout à sa dernière tirade, Dilay opine du chef. Ils sont d’accord sur le fond, pas sur la forme. Ça pourra peut-être les emmener quelque part.
Dilay n’est pas du genre à se battre pour ses idées. Pas du genre à suivre gentiment non plus, d’ailleurs. Avant, elle aurait simplement roulé des yeux, lancé à Constantin de faire « ce qu’il voulait ». A présent, les choses n’étaient pas aussi simples. Elle devait prendre et défendre ses propres décisions, aussi usant que cela puisse être, personne n’allait le faire à sa place.
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Feat Constantin
Dilay était prête à se défendre. Prête à ce que Constantin lui coupe la parole. Prête à fumer de frustration pour le reste de la journée.
Elle ouvre la bouche quand le juriste reprend la parole, puis la referme aussi sec.
Constantin vient d’accepter son idée. Dilay cille, un peu plus et les bras lui en tomberaient. Elle qui a si peu l’habitude de formuler des plans, encore plus à voix haute – et qu’on les écoute ! Et qu’on les valide !
La voilà qui se retrouve sans savoir que dire, et une vague d’anxiété lui prend les tripes. Et si elle a tort ? Ce sera sa faute s’ils n’arrivent à rien, si Almas flaire l’entourloupe, s’il leur attire des ennuis, altère leurs réputations.
Elle n’a encore jamais décidé pour rien, surtout pas dans une situation semblable qui lui semble d’un coup surréelle.
Elle inspire, repense à chacune de ses paroles, à la façon dont elle envisage la suite et…
Ce n’est pas mauvais, pour sûr. Ce n’est pas parfait, mais c’est loin d’être bête – Dilay en est presque surprise – alors pourquoi douter ?
Il ne reste plus qu’à espérer que Constantin ait un véritable bagout…
- D-D-D’accord.
Souffle Dilay. Elle hésite à dire « merci » mais se ravise. Cela rendrait probablement le juriste bien trop content de lui, il n’a pas l’air d’en avoir besoin.
- J-Je vous laisse… Pro-Procéder.
Ajoute-t-elle. Elle se chargera d’être aux côtés de son comparse pour appuyer ses propos en fichant entre les mains d’Almas le fusil brisé.
Dilay ne dit trop rien le reste du trajet. A un moment, elle fronce les sourcils en voyant des traces maculer la boue, recouvrir leurs pas. Un animal, probablement un de ces gros ours, est passé là pendant qu’eux n’y étaient plus. Heureusement, il ne semble plus dans les parages.
La ville en vue, Dilay décélère l’allure. Si elle a ouvert la route jusqu’ici pour Constantin, en-dehors des bois elle préfère lui laisser la devancer. Son numéro de charme fonctionnera mieux si on voit en premier la mine bonhomme du type.
Une fois les portes d'Hikmet passées, leurs identités contrôlées, Dilay, qui marche vers le domicile où Almas leur a donné les ordres de mission, grommelle à Constantin :
- Eblouissez-moi.
Puisque l’affaire était entendue, il était inutile de revenir dessus. Ce qui pouvait être bien étonnant lorsqu’on savait quel moulin à parole Constantin pouvait être. Et connaissant ses dernières prises de parole, aussi bien envers Dilay qu’envers la native, sa brève réponse vis-à-vis du plan de la scientifique avait de quoi être surprenant. Ou était-ce choquant ? Voir invraisemblable ? Mais après tout quelle importance ? Le tout était qu’il approuve le plan, qu’il soit prêt à le suivre, et qu’il l’exécute du mieux qu’il le puisse. Le reste était entre les mains capricieuses du destin.
Le trajet du retour fût d’un calme et d’un silence des plus religieux. A croire qu’il s’agissait presque d’une procession thélémite. Le silence était entrecoupé de temps à autre par Constantin qui humait très légèrement un morceau de musique venant de Sérène. Une partie qui lui restait à chaque fois, et dont il n’arrivait jamais vraiment à se débarrasser. Il ne se souvenait même pas vraiment de quel morceau cet extrait faisait partie, et il n’en tenait pas grande importance.
Il haussa cependant un sourcil perplexe face aux traces recouvrant leurs traces de pas. Il évita de trop laisser son esprit vagabonder à ce sujet, gardant son attention pleine et entière à imaginer quoi dire et faire pour faire en sorte qu’Almas leur cède le sceau dans toute sa bonté d’âme. Pour la science, bien entendu. Ne connaissant pas vraiment plus que ça l’animal, il ne pouvait que théoriser ce qui pouvait fonctionner, et ce qui échouerait sans doutes.
Il ne connaissait pas vraiment bien les savants. Il fallait dire qu’il n’en côtoyait que très rarement, et qu’il n’était pas celui le plus prédisposé pour prendre leur aspirations et ambitions en considération. Quoi de plus logique, il n’avait pas vraiment grande idée du travail qu’ils avaient à accomplir au quotidien. En revanche il savait reconnaître un arriviste aux dents longue lorsqu’il en voyait un. Ainsi que quelqu’un qui n’hésiterait pas à envoyer d’autre gens à leur mort si cela permettait de paver le chemin de sa propre réussite. Le monde ne se porterait pas plus mal si cette réussite ne voyait jamais le jour.
Et enfin le moment tant attendu arrivait, le moment de vérité. Il était enfin temps de voir si leur petite tromperie fonctionnerait. Le domicile d’Almas se trouvait droit devant eux.
« Hm ? Vous avez dit quelque chose ? » Répondit-il à Dilay, feignant de n’avoir rien entendu.
Ne lui laissant pas l’occasion de répondre, il frappa la porte quatre fois. Ne restait plus qu’à attendre que celle-ci soit ouverte, et ils pourraient mettre leur plan à exécution.
-Vous revoici ! Je suis ravi de vous revoir, bien sûr… Entrez, entrez…
Le savant s’écarta. La vaste table qui occupe le centre de la pièce principale est à demi couverte de papiers et d’objets divers servant au calcul.
-Ne faites pas attention au bazar… J’étais en train de travailler sur une commande du professeur Piruz, mon maître… vous le connaissez peut-être…
A moins de s’être intéressé de près à la construction des fondations de la ville, il est peu probable que les deux aventuriers en aient jamais entendu parler, mais ça n’empêche pas Almas de se rengorger. Il s’assied face à Constantin et Dilay après leur avoir indiqué de prendre place d’un geste.
-Alors ! Dites-moi tout ! Vous avez l’air d’avoir marché un moment…
De fait, des brins d’herbe se sont accrochés aux jambes des voyageurs, et il n’est pas impossible que leurs vêtements aient été éraflés par quelque branche.
-Mais vous êtes les premiers à revenir, ce qui est une excellente nouvelle ! J’espère que vous avez enfin déniché l’emplacement de la source… N’ayez crainte, votre récompense est toute prête le cas échéant.
Constanstin offrit à son hôte un large sourire, ses yeux parcourant l’ensemble élégant, néanmoins des plus resserrés, que portait Almas. Le scientifique tirait sur ses manches, comme pour essayer de les rallonger le plus possible. Néanmoins l’ensemble tissé semblait lui résister cruellement, et dévoiler à ses deux employés la réalité des choses : il avait de toutes évidence l’ambition de s’élever de sa condition. Grimper l’échelle sociale, se couvrir d’une gloire non mérité et baigner dans une opulence et une admiration qui feraient oublier les nombreux anonymes qu’il avait envoyé à la mort.
Inclinant légèrement la tête en guise de remerciement, Constantin entra dans le domicile d’Almas. L’ordre et la propreté n’était visiblement pas le fort de leur hôte. Le juriste arqua légèrement un sourcil de surprise, ou de dépit, alors qu’il retirai des plans et de nombreux documents de l’une des chaises disposées autours de la table, avant de s’installer dessus.
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Feat Constantin
Dilay ne s’intéresse pas au geste d’Almas qui tire sur ses manches. En fait, elle n’y prend même pas garde. Ses yeux sont davantage attirés par la montagne de paperasse, les instruments de mesure. Etudiante en sciences appliquées et sciences exactes à l’Académie, Dilay est mordue d’architecture aussi a-t-elle entendu parler du savant que mentionne Almas. Le problème, c’est surtout qu’elle ne se rappelle pas si c’était vraiment ce nom-là, alors la voilà à plisser le nez, en pleine réflexion.
Elle n’hasarde pas à répondre « peut-être » et préfère zieuter ce que possède Almas. C’est dans la qualité de ses outils qu’elle mesurera, le cas échéant, pour elle-même ses moyens financiers.
Dilay laisse Almas aviser le fusil si celui-ci s’y intéresse mais compte bien le garder – ou le reprendre à la fin. Qui sait combien les savants du laboratoire en voudront pour essayer d’y découvrir des traces de quelque chose !
Pour le reste, la mathématicienne se tait. Constantin fait son office, et bien il faut le lui reconnaître. Elle-même n’a pas un dixième de ses talents d’orateur, il ne servirait à rien de l’interrompre. Quand le juriste a fini, cependant, Dilay renchérit :
- O-On sait pas de quel village venait le Natif. Pro-probablement celui près d’Hikmet. Ses habitants sont pas… faciles.
Signalant ainsi la raison pour laquelle ils sont supposément revenus voir Almas. Ils auraient pu autrement prendre la pierre eux-mêmes mais aller titiller les mêmes guerriers avec lesquels le Pont est parfois en conflit. Ce ne serait probablement pas bien vu par le Gouverneur, sans raison officielle valable. Cela attiserait l’agressivité des Natifs.
Ensuite, Dilay reprend sa posture, les bras croisés. Elle a un peu l’impression d’être la Garde du corps du mielleux Constantin mais l’image ne la dérange guère.
Les doigts joints en cloche, sourcils haussés, il paraissait tout prêt à se réjouir, mais l’introduction du juriste détruit ces bonnes dispositions en peu de temps. A voir son expression, on jurerait qu’on l’a forcé à avaler un citron entier.
-Je sais bien qu’il s’agit d’une chose délicate ! C’est précisément pour cela que je vous ai choisis ! Ce…
Invité à examiner le fusil tordu, Almas s’interrompt et souffle par le nez. Finalement, il se décide à le prendre entre ses mains et le retourne en tous sens, le front plissé.
-Soit. Il faudra donc en venir aux grands moyens. Je peux peut-être obtenir un mandat pour amener deux douzaines de Gardes. Après tout, l’approvisionnement en eau est une question sérieuse. J’ai quelques connaissances qui pourraient aussi me fournir des grenades, et on verra bien alors de quel bois se chauffe cette créature dont vous parlez.
Grommelant, le scientifique repose le fusil et regarde de nouveau Constantin. Progressivement, ses sourcils se froncent, et il attrape nerveusement le premier papier à sa portée pour le serrer entre ses doigts.
-Un… sceau, dites-vous. Bien entendu, je réprouve tout recours aux stupides superstitions locales… Mais il n’est pas impossible que ces sauvages détiennent une forme de savoir empirique… Même un peuple primitif peut savoir que quelque chose fonctionne et l’utiliser sans rien comprendre au pourquoi du comment…
Un instant perdu dans ses pensées, Almas finit par se lever de son siège.
-Il se trouve que lors d’une précédente expédition, nous avons trouvé quelques babioles, de manière tout à fait fortuite. Si vous voulez bien m’accorder une seconde…
Le scientifique se tourne vers une commode, dans un coin du bureau, et entreprend de fouiller le contenu du premier tiroir, apparemment rempli de bric-à-brac. Enfin, il en retire une petite pierre ronde, semblable à un galet, et revient triomphalement auprès des deux aventuriers.
-Qu’en dites-vous ?
La pierre semble refléter la lumière, et elle est gravée d’un étrange symbole. Almas la pose sur le bureau sans précautions.
-Je pensais m’en servir comme presse-papier, pour tout vous dire. Mais si vous pensez pouvoir en faire un meilleur usage… Eh bien, je vous en prie, allez-y ! Mais ne perdez pas de temps, c’est tout ce que je vous demande. Plus tôt cette affaire sera réglée et plus mes sup… plus je serai satisfait.
Constatin réprima toute émotion de passer sur son visage lorsque Almas révéla l’étendue de sa frustration et son impatiente. Pour quelqu’un avec de l’ambition, il manquait cruellement de contrôle de lui-même. Les paroles du scientifiques lui firent presque aussi un sourcil. Il « pourrait peut-être » obtenir un mandat, il « pourrait » être fourni en grenade. L’homme n’évoquait que des supposition, et qui pour le juriste, trahissait bel est bien à quel point Almas en lui-même semblait être impuissant. Le juriste soutint le regard du scientifique, un ton neutre gravé sur son visage. Il était moins qu’impressionné, et en temps normal il n’aurait pas hésité à rabattre le caquet du scientifique. Mais pour le moment, il ferait comme si de rien n’était. Peut-être plus tard, lorsque cette fâcheuse affaire serait derrière eux.
Il se retint de tout commentaire face à la tirade d’Almas. Gaspiller des paroles qui n’étaient ni demandées, ni ne seraient acceptées serait une perte de temps, et risquait de rendre le scientifique plus irascible qu’il ne l’était déjà. Et il valait mieux pour leur arrangement avec Brogan qu’ils restent dans les bonnes dispositions d’Almas pour le moment. L’homme était désespérément en poursuite de gloire et de reconnaissance, et les gens désespérés étaient prêts à tout.
Lorsque Almas revient comme un paon se vantant de sa victoire avec le sceau, Constantin attendit qu’il la pose sur la table avant de la prendre dans ses mains. Il l’inspecta lentement, faisant comme s’il essayait de détailler la pierre, et vérifier qu’il s’agissait bel et bien de ce qu’il avait vu. Pour lui le doute n’était pas vraiment permit, il s’agissait de ce que voulait Brogan, et ce pourquoi ils étaient ici.
« Le doute n’est pas permis, cela ressemble à ce que nous avons vu. La clé de votre réussite. » disait-il en soupesant la pierre, avant de la mettre dans l’une de ses poches.
Le juriste se leva de sa chaise, s’étirant rapidement avant de remettre son couvre chef sur sa tête, et de répondre à l’empressement d’Almas.
« Ne vous en faites pas, nous ne perdrons pas de temps, et rapporterons des résultats aussi rapidement que possible. »
Ils ne perdraient pas de temps, c'était une évidence. Et certainement pas du temps consacré à assouvir les ambitions d'Almas. Le juriste en espérait presque que le scientifique apprendrait un peu d'humilité, mais il pourrait se contenter d'un simple échec, ce qui était le résultat le plus probable.
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Feat Constantin
Les yeux de Dilay s’égarent jusqu’au compas. Elle le fixe sans s’en cacher, note s’il est frappé du moindre symbole – elle utilise souvent pareil outil – et tous les instruments d’étude d’Almas subissent le même sort. Comme elle a l’air d’une mercenaire, on ne peut pas nécessairement se douter qu’elle les sonde avec beaucoup d’intention. C’est aussi le cas des babioles dans le tiroir quand Almas va y trifouiller.
La mathématicienne garde le silence. Abonder dans le sens des paroles d’Almas semble vain, il a lui-même le raisonnement qu’elle souhaitait qu’il ait – un savoir empirique, la constatation que quelque chose fonctionne et on le répète, sans vraiment savoir pourquoi.
Et d’ailleurs, Dilay ne sait pas non plus pourquoi ni comment son plan fonctionne. Elle a suggéré l’idée à Constantin et il la mène à bien avec maestria, mais elle-même est un peu abasourdie. Elle s’était attendue à devoir tempêter pour obtenir l’objet de leur quête. Comme d’habitude. Mais il n’en est rien et ses pensées ne sont pas obstruées du tout, la prochaine étape lui apparaît même claire comme de l’eau de roche – Almas va mettre au moins une bonne semaine à rassembler son équipe de gardes et ses grenades. Et, entre temps, si le gouverneur a des sources bien plus accessibles, il ne voudra probablement pas investir d’efforts dans une dangereuse et mal placée.
La mathématicienne s’intéresse de près à la babiole. Ses grands yeux dorés la contemplent avec curiosité, avant qu’ils ne relèvent pour dévisager Almas. Même à elle, le lapsus ne lui a pas échappé.
Il allait dire « ses supérieurs ».
Il vient à Dilay une terrible idée – amener les sources non seulement au gouverneur mais à l’homme que sert Almas puisqu’il s’occupe de la planification du génie civil de la ville. Ce serait une manœuvre dont la jeune femme n’est pas coutumière mais assez usuelle des savants, jeunes ou vieux. Pas que d’eux, d’ailleurs, s’il faut regarder la vérité en face. Ils lui couperaient l’herbe sous le pied pour de bon…
Elle devrait probablement se sentir davantage révoltée à cette perspective mais elle éprouve simplement une forme d’amertume. Après avoir approuvé les dires de Constantin d’un signe du menton elle fait légèrement claquer ses talons comme pour saluer, signaler qu’elle est prête à partir. Car elle ne compte pas trainer. Pas le temps de se reposer malgré l’heure, il leur faut retrouver la Native et en finir avec cette histoire. L’horloge joue contre eux.
Dilay avise Constantin, prête à repartir sur le champ.
-Oui, finit-il par dire. Des résultats rapides… Très bien. Faites au mieux. Votre récompense vous attend !
Apparemment, il compte sur ce rappel pour que ses mercenaires improvisés se montrent diligents.
-Je vous raccompagne.
Almas se dirige vers la porte, qu’il ouvre en grand, et adresse un sourire mielleux au duo. Sitôt celui-ci parti, il rentre chez lui ; on entend le bruit de la clé qui tourne dans la serrure.
Dehors, il est presque midi. Les rues de Hikmet sont animées ; de nombreux citoyens de l’Alliance s’y pressent, et personne ne fait attention à Constantin et Dilay. Personne, hormis un marchand installé en face. Son comptoir est fait de trois planches abîmées, il a tendu un drap aux couleurs criardes au-dessus, et il crie plus fort qu’un commerçant de la Congrégation ; mais de son échoppe émane une délicieuse odeur de pain et de fromage.
-Vous, là-bas ! Venez, venez déjeuner chez Afri !
Derrière le duo, quelque chose bouge. C’est Almas, à la fenêtre, qui écarte un rideau. Est-il méfiant ou inquiet ? Attend-il quelqu’un d’autre ? En tout cas, voilà qu’il surveille la rue… et la direction que vont prendre ses envoyés.
Constantin adressa à Almas un sourire poli, mais froid. Il ajusta machinalement son chapeau avant de mettre le premier pas dehors, et de continuer à avancer jusqu’à ce qu’il entende le son d’un porte fermée à clé prestement. Il réprime un léger gloussement moqueur, visiblement leur « employeur » était bien plus qu’empressé à ce qu’ils remplissent tout deux leur mission. Un tel empressement laissait le juriste songeur. Est-ce que ce cher Almas n’avait pas besoin des résultats de cette mission pour autre chose que sa gloire personnelle ? Qui pouvait vraiment le savoir après tout ? Certainement pas Constantin, même si quelques idées germaient dans son esprit, et d’autres théories pouvant expliquer ce comportement. Peut-être le scientifique avait besoin de retrouver les grâces de ses supérieurs. La langue bien pendu d’Almas avait encouragée des lapsus plus que bienvenus pour Dilay et Constantin, et révélée à quel point le scientifique était lui-même négligeable.
Observant pendant quelques instants les rues bondées d’Hikmet, le juriste se gratta la barbe pendant quelques instants, passant en revu la manière dont s’était déroulé l’entretien avec Almas. Et il n’arrivait toujours pas à croire que le scientifique ait donné l’artefact aussi rapidement, et le tout sans rechigner. Il se demandait si le mérite lui revenait en partie, ou si Almas était plus impressionnable qu’il ne l’avait d’abord cru.
Lorsque le marchand les harangua de l’autre côté de la rue, Constantin ne réagit pas de suite, pensant d’abord que l’homme s’adressait à d’autres passant. Lorsque le juriste constata que le marchand les regardait bel et bien eux, il adressa un regard sceptique à Dilay. Il n’avait pas particulièrement envie de perdre du temps, quitte à emporter quelques petites choses, mais rien de plus que nécessaire. Et il ne resterait certainement pas assis pendant de trop longues minutes alors qu’il avait des choses bien plus importantes à faire. Le temps jouait contre eux après tout. Et c’était du temps qu’ils devaient mettre à profit pour doubler Almas.
Comme pour joindre le geste à la pensée, Constantin tourna son regard vers la demeure du scientifique, avant de hausser un sourcil et de légèrement pencher sa tête sur le côté. Ses yeux lui jouaient-ils des tours, ou était-ce bien Almas à la fenêtre ? Un léger sourire moqueur se dessina sur son visage alors qu’il regardait le scientifique. Etait-il vraiment en train de les surveiller à cet instant ? Tout portait à le croire du point de vue de Constantin. Il fit même un léger signe de la main à Almas avant de se retourner et de s’adresser à Dilay.
« Je propose que nous ne perdions pas de temps. Allons-y. »
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Portés disparus
Feat Constantin
Dilay ne pensait pas dire cela un jour, mais alors qu’elle voit le rideau se rabattre un rien, elle comprend tout de suite qu’on les regarde. Être observée, elle en a l’habitude, et son genre c’est plutôt de l’ignorer. Difficile de coller au protocole habituel ce coup-ci, parce que ce n’est probablement pas une œillade curieuse ou réprobatrice. Si Almas se doute de quelque chose… Pire, s’il essaie de les suivre…
Ah, Dilay aimerait bien voir ça ! Elle a un sourire féroce. Almas et sa stature de brindille, dans les bois, de nuit.
Mais quand même… Oui, elle ne pensait pas prendre cette décision de son vivant, cependant la situation appelle à des mesures désespérées…
Elle soupire. Elle va acheter à manger – et même pas tenter de se faire payer le repas par Constantin. Tout en tournant le dos à la fenêtre – sait-on jamais qu’Almas puisse lire sur les lèvres – elle contredit un rien son comparse :
- O-On est des gars employés avec par deux sous de j-jugeotte… Si on est ça pour Almas, vous croyez qu’il va nous penser si z-zélés qu’on se pré-précipite dans les bois sans même faire une petite pause ? Il paie pas assez pour recevoir ce genre de… loyauté. Il doit le savoir.
Ils auraient l’air trop empressés, et probablement suspects du même coup. Dilay n’a pas envie de lambiner, cela dit c’est vrai qu’elle a passé sa journée à marcher dans un sens, puis à marcher dans l’autre… Elle a faim et on ne fait rien le ventre vide.
- Je vais me prendre un truc. Je mangerai en chemin.
Elle ne veut être un boulet au pied de Constantin en le forçant à patienter trop longtemps. Peut-être verront-ils si Almas arrête de jeter des regards par sa lucarne ? Ou au contraire, peut-être sentira-t-elle son regard pendant tout son achat ? Elle espère que Constantin surveillera ce détail car elle n’en a pas l’occasion : le marchand est de l’autre côté de la rue et elle tourne le dos à la maison d’Almas. Dilay ne met pas longtemps à faire son choix. Elle prend quelque chose qui s’emporte, de pas trop cher – probablement même ce qui coûte le moins - sans viande. Souvent, fromage et pain lui suffisent. Elle en profite pour boire un coup à sa gourde tandis qu’on lui prépare sa ration et sort sa bourse, la mine avec un bref sourire pour le dénommé Afri.
Elle n’aime pas payer mais il faut bien gagner sa croute.
Après avoir empoché son repas, Dilay se tourne vers Constantin, prête à repartir.
« Oh non, non, prenez tout votre temps, j’ai changé d’avis. Je veux voir s’il va réagir. »
Constantin avait dit ça tranquillement, prenant une nouvelle fois sa pipe en bois pour fumer comme il l’entendait, attendant que sa comparse ne revienne de ses emplettes. Pendant ce temps, il observait Almas, regardant le rat se presser à la lucarne et observer la ruelle. Ils ne semblaient pas être l’objet de cette observation. Le scientifique attendait-il quelqu’un ? Et si oui, de qui s’agissait-il ? Ses agissements ne semblaient pas être ceux de quelqu’un qui n’avait rien à craindre, plutôt celle d’un animal acculé qui n’avait aucun moyen de se défendre. C’était troublant, et potentiellement alertant. Almas avait peut-être d’autres problèmes, autre que répondre à ses supérieurs direct.
Et c’est lorsqu’elle revint qu’il fit face à une triste et absolue vérité : lui aussi commençait à avoir sérieusement faim. Son estomac laissait échapper un gargouillis vengeur d’être délaissé de la sorte, alors que le juriste observait Dilay revenir avec pain et fromage. Il ne serait bon à rien le ventre vide de toutes façons, autant se laisser tenter et se sustenter. Dos à la maison d’Almas, il regarda sa comparse avec un air particulièrement nonchalant, expirant un léger écran de fumée.
« J’ai changé d’avis, surveillez notre cher employeur, il a l’air beaucoup trop inquiet pour quelqu’un qui n’a rien d’autre à se reprocher que son manque de résultats. »
Et sur ces mots, il fit à son tour ses emplettes chez le sympathique Afri. Constantin n’étant pas particulièrement pingre, il se fit un repas consistant, pas si éloigné de celui de Dilay, à la seule différence que lui était féru de viande. Et il était un bon vivant, même s’il se modérait parfois. Il fallait bien conserver un corps sain.
De retour auprès de Dilay, il croque tel un ogre une grande bouchée de son repas, mastiquant pendant quelques instant avant que la bouchée ne finisse dans son estomac. C’était beaucoup plus agréable d’un coup, mais il redoutait la digestion. Un terrible ennemi dont il ne savait pas se défaire.
« Eh bien je pense que nous pouvons maintenant reprendre notre route. Nous discuterons plus avant de ce que nous avons respectivement pu voir. Il y a un entrain spécial à parcourir les routes, je ne saurais pas mettre le doigt dessus... »
Il mentait comme il respirait, il n’aimait pas parcourir les routes. Il détestait parcourir les routes. Surtout seul. Surtout parce qu’il finissait inlassablement par se perdre à un obscur endroit dans la cambrousse sans jamais savoir pourquoi, ou comment il avait finit par en arriver là. Son plus grand ennemi, c’était son sens de l’orientation.
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Portés disparus
Feat Constantin
Dilay mastique tout en jetant une œillade à Almas quand celui-ci se concentre particulièrement sur Constantin. Le temps passe, et le type ne décroche pas de sa fenêtre. La mathématicienne sent son visage se tordre en une moue.
Alors que son comparse la rejoint, elle tourne les talons, son repas déjà presque englouti le temps que Constantin commande le sien.
- C-C’est bizarre qu’il nous fixe comme ça. J’espère qu’il va pas nous coller aux basques.
Suggère Dilay à mi-voix à l’attention de Constantin. D’un pas nonchalant, mais tout de même vif, elle se dirige vers les portes de la ville. Une fois franchies, la voilà qui prend la direction des bois. L’air du soir la fait inspirer un bon coup. Arrivée à l’orée des arbres, l’idée de s’y frayer un chemin dans l'obscurité qui planera bientôt lui tire une grimace.
- F-Faut qu’on se dépêche ou la native va être en-endormie et on va tomber sur le gros machin.
Elle adresse un regard à Constantin, prête à y aller malgré tout, avec son aval.
- Je crois que je sais qui est le supérieur d'Almas. Le type dont il a parlé... Almas est qu'un larbin.
Manifestement, la Native rencontrée plus tôt a respecté l’injonction de Dilay : les marques faites aux arbres n’ont pas disparu. Il ne sera donc guère difficile à la mathématicienne et à son camarade de retrouver leur chemin dans la forêt. En moins d’une demi-heure après être sortis de Hikmet, ils pourront retrouver la rivière puis remonter son cours jusqu’au lieu de rendez-vous.
Là, Brogan attend. Ses mains sont salies par la terre et ce qui ressemble à du sang séché ; elle les croise et les décroise nerveusement en prenant garde toutefois de ne pas toucher sa tenue. Deux corps attendent à ses pieds, alignés.
Les visages sont à peu près intacts, laissant deviner que les éclaireurs avaient tous les deux moins de trente ans. Les deux hommes ont visiblement été écrasés par quelque chose de suffisamment lourd pour réduire leurs cages thoraciques en morceaux. On ne voit néanmoins pas grand-chose de ces horribles blessures, car Brogan les a recouvertes de mousse.
-Renaígse ! souffle-t-elle sitôt qu’elle entrevoit Constantin et Dilay. Je n’ai pas pu ramener le troisième corps. Le Nadáig le garde et… il est très en colère.
Visiblement, elle craint que le marché ne tienne plus.
-Avez-vous le sceau ? ajoute-t-elle d’un ton précipité. Je peux toujours vous montrer les sources ! Nous partirons dès que vous aurez rendu l’objet.
« Ma chère, qu’il nous colle aux basques, qu’il ne le fasse pas, ou qu’il envoie des gens nous coller aux basques ne changera en rien le fait que s’il pouvait fusiller du regard, nous serions probablement déjà morts! »
Cette remarque, bien que d’allure nonchalante ne voulait en rien dire que Constantin sous-estimait Almas. Bien au contraire, fixer ses employés de cette manière n’avait rien de sain, et n’était en aucun cas le signe d’une collaboration fondée sur la confiance et le respect mutuel. Ce qui en y réfléchissant bien était déjà le cas, puisque les deux comparses avaient bel et bien trahi, et qu’ils n’avaient aucun respect pour Almas.
Et l’orée des arbres qui commençaient déjà à assombrir le ciel n’était en aucun cas rassurante, d’autant plus que Dilay rappelait déjà à Constantin les risques d’arriver trop tard.
« Soyons en préservés, ne parlez pas de malheur Dilay, ce serait terrible que de l’attirer sur nous ! » Disait-il mi-moqueur et mi-sérieusement, il était toujours difficile de dire s’il prenait vraiment la situation au sérieux. Cependant, ce que prononça sa comparse peu après attisa sa curiosité, et son sérieux vis-à-vis de leur situation quelque peu périlleuse.
« Oh ? Oui, il est vrai que le charisme naturel et le prestige que dégage Almas font de lui un larbin tout désigné. Qui a donc autorité sur lui ? »
Fort heureusement pour eux, le trajet leur permettait d’entretenir cette conversation, car le chemin pour retrouver Brogan avait beau être relativement court, il prenait toujours du temps.
Lorsqu’ils remontèrent tout deux le cours de la rivière jusqu’au lieu du rendez-vous, les sourcils de Constantin se haussèrent légèrement à la vue des deux cadavres. Il avait compris auparavant le danger que représentait le gardien de la source, mais ça ? Il n’avait pas imaginé à ce point.
Lorsque Brogan mentionna que le troisième corps manquait, le juriste jeta un regard à Dilay. Il n’avait aucune intention de contrarier un Nadaig en colère pour récupérer le corps de ce pauvre hère, Constantin n’avait aucune envie de le rejoindre.
« Deux corps seront plus que ce qu’Almas aurait ramené, et récupérer le troisième me semble suicidaire. Qu’en pensez-vous ? »
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Portés disparus
Feat Constantin
Jalouse du beignet gratuit, parce que la nourriture a meilleur goût quand on ne doit pas la payer, Dilay fait la moue jusqu'à avoir atteint les bois.
Elle fait ensuite un rictus à Constantin. Tout un groupe qui les suivrait, ça s’entendrait dans les bois, même pour elle. A part continuer d’envoyer des sourires narquois au juriste dès qu’il lance une pique, la jeune femme ne dit pas grand-chose. Qu’il aime s’entendre parler, elle songe pour elle-même, comme si tout ça était une sorte de pièce et qu’il attendait des applaudissements après chaque réplique. Elle a bien mangé mais elle est fatiguée, elle le sait, et bientôt elle aura soit envie de boire, soit envie de dormir. La dernière option serait la meilleure.
La question du juriste, cependant, descelle les lèvres de la mathématicienne :
- C-C’est un type qui a bossé à la con-conception d’Hikmet. Il pourrait a-ajouter des a-aqueducs en déviant les sources.
Théoriquement. Dilay n’a jamais tracé ces plans là elle-même, mais elle brûlerait de le faire. Pourtant loin d’elle l’idée d’essayer de voler la place d’Almas. Elle n’a aucune envie de se comporter comme un chien anxieux qui attend la caresse bienheureuse de son maître.
Dès que Dilay entrevoit la native entre les branches, elle se tend, sur ses gardes. Mais après l’avoir reconnue, ses épaules se détendent. Juste un rien. Elle opine du chef à l’attention de la native, pas à un moment particulier, pas pour vraiment acquiescer à quoi que ce soit et retirer tout cet empressement de sa voix, simplement pour lui faire signe qu’elle a bien entendu. Ce qui intéresse vraiment la mathématicienne, ce sont les cadavres. Elle se baisse et touche l’articulation de leur visage, le siège de la rigidité cadavérique, son point de départ, pour établir depuis combien de temps ils sont morts et surtout savoir à quel point il sera aisé de les transporter.
Les gestes de Dilay ont beau être mus par l’habitude – rigor mortis, articulation temporo-mandibulaire et nuque, elle le connaît par cœur – elle n’est pas tout à fait à l’aise. Elle n’aime pas la vue de cadavres et elle ne peut pas s’empêcher de se répéter « pauvres types » alors qu’elle avise l’énormité de leurs blessures. Son estomac est serré dans un étau quand elle songe à la façon dont les médecins d’Hikmet vont s’arracher les macchabés pour les disséquer et comprendre ce qui leur a fait ça.
« Ils sont morts. Ils ne sentiront rien. » elle se répète, mais ça n’aide pas autant que ça devrait.
Dilay relève les yeux vers Constantin.
- O-On peut laisser l’autre se reposer là-bas.
Se reposer, parce que ce serait presque de la pitié pour ce qui reste de ses chairs. Elle se redresse et tend la main à Constantin pour qu’il lui remette le sceau et qu’elle puisse ensuite le filer à la native. Elle la fixe bien en face.
- O-On veut voir les sources avant l’aube.
Et à son comparse, elle lance.
- Si tu peux pas en porter un, je me ferais les deux.
Elle attrape déjà un cadavre avec précaution et le charge sur son épaule, autant que l’immobilité du corps le lui permet. Elle prend son temps, peu désireuse de se froisser quelque chose dans le processus. Il lui faudra encore des forces pour le charrier avec elle sur le chemin. Une fois qu’elle sent sa prise bien ferme, elle se relève de toute sa taille, et pousse un gros soupir.
Comme en réponse, le vent agite les cimes, et même dû au hasard, Dilay y repensera, à cette fois où l’île a semblé compatir à son trouble.
- Merci.
Elle songe à dire à la Native après ça. Peut-être un peu trop tard. Tant pis.
Dilay est obligée d’écarter la mousse pour trouver ses réponses et se prend de plein fouet l’odeur. Sous la couche verte et douce, l’affreux spectacle laisse deviner qu’une partie de ce que contenaient les torses a dû rester au loin et que les deux hommes sont morts voilà plusieurs jours. Ils risquent de peser moins lourd désormais, surtout qu’ils sont presque exsangues.
Brogan a l’air de bien peu apprécier cet examen. Elle fait passer son poids d’un pied sur l’autre et attrape rapidement le sceau, qu’elle examine. Son expression se fait soulagée et elle l’enfonce dans une poche de son habit.
-Oui. Il sera en sécurité, ajoute-t-elle.
Elle semble apprécier que Dilay ait de gentils mots pour le dernier cadavre et elle aussi en parle comme s’il avait simplement trouvé un bel endroit où se reposer.
-Vous… Vous voulez les emmener ? Vous ne voulez pas les cacher en hauteur, plutôt, le temps que je vous montre l’eau ? Ce sera suffisant pour éloigner les animaux et nous pourrons aller plus vite.
Quelle que soit la réponse qu’elle entend ensuite, Brogan ne perd pas un instant. Si les étrangers veulent porter les morts sur des kilomètres, ce n’est pas son problème, semble-t-elle penser : ils n’auront qu’à marcher vite.
Même libre de toute charge, une personne qui n’a connu que de vastes routes pavées éprouverait quelque difficulté à suivre la femme. Elle n’a pourtant pas l’air de faire exprès de prendre des chemins difficiles ; au contraire, elle écarte les branches basses, montre les troncs sur lesquels on peut mettre les pieds, contourne les terriers qui lui semblent indiquer un danger. Quand Constantin ou Dilay s’éloignent trop, elle émet un petit sifflement, toujours la même note. Une précaution qui peut sembler dérisoire au début, voire condescendante.
Les choses changent quand la nuit tombe pour de bon. Les sifflements de Brogan se font plus rapprochés, sa silhouette de moins en moins visible, et elle ne marque de pause que deux heures après le coucher du soleil. Elle s’assied sur un large rocher et boit à une gourde. Pour la première fois depuis le début du voyage, elle reprend la parole.
-Nous ne sommes plus très loin de la première source.
De fait, après vingt minutes de pause, la Native se relève et reprend son chemin. A deux reprises elle s’arrête brusquement et intime à ses alliés de faire silence en fixant les ténèbres, mais chaque fois elle se remet en marche sans rien dire.
La première source qu’indique Brogan est bien mince. Il est même à parier que sans l’aide d’une personne connaissant le terrain, les continentaux auraient mis un moment à la trouver. Elle serpente rapidement entre les arbres, à même un lit de pierres et de mousses, et son murmure frais est à peine audible…
Comme si elle craignait que cela ne satisfasse pas les deux envoyés du Pont, Brogan dit d’un ton brusque, quoique à voix basse :
-La deuxième est plus grande. Elle sort d’une grotte. Et la troisième est juste après un petit village…
La Native marque un bref silence.
-Il ne faudra pas tout prendre à la troisième source, étrangers. Il faudra partager. Comprenez-vous ?