C'est un missionnaire, un inquisiteur et un Natif qui rentrent dans une grotte... [ft. Cuán]
C'est un missionnaire, un inquisiteur et un Natif qui rentrent dans une grotte... Feat Cuán
-Rappelle-moi comment on s’est mis dans cette situation, grommela Vaast.
Du coin de l’œil, il regarda Caeso qui tâchait d’amplifier la puissance de sa sphère de lumière. Le jeune homme transpirait abondamment, nota-t-il - ou bien c’était juste la pluie, difficile à dire.
-Je… Je t’ai demandé un coup de main…
Vaast fronça le nez. Il s’en souvenait, de cette demande : Caeso l’avait traîné à l’écart du campement et lui avait expliqué qu’il devait absolument partir en direction de la montagne. Seul, il avait peu de chances de s’en sortir, et Vaast était le seul combattant du groupe. L’inquisiteur avait bien tenté de lui arracher une explication, mais Caeso s’y était refusé : il lui expliquerait tout sur le chemin. Il l’avait promis deux fois.
L’explication tardait pourtant à venir. Cela faisait six heures qu’ils s’étaient mis en route, et les deux mages avaient à peine échangé dix phrases. Si ce n’était pas étrange pour le taciturne Vaast, ça l’était beaucoup plus pour Caeso, normalement volubile.
A bien y réfléchir, ça ne datait pas d’aujourd’hui. Caeso affichait une réserve nouvelle depuis plusieurs jours déjà. Vaast fut ennuyé de se sentir soulagé en réalisant que ce n’était pas de sa faute.
-Un coup de main pour qu’on aille se perdre par temps d’orage dans l’un des pires coins de l’île ?
Son ton n’était même pas colérique, mais Caeso ne devait pas goûter son humour car il se recroquevilla et ses lèvres se mirent à trembler. Vaast soupira.
-Ce… Ce ne devrait plus être très loin ! Nous n’avons qu’à trouver une grotte où patienter !
Il le proposait avec tant d’empressement qu’il devait attendre depuis un moment de faire cette suggestion. Le faux missionnaire haussa les épaules. Comme pour le pousser à se décider, la pluie redoubla d’efforts et un éclair illumina brièvement la scène.
Ils se trouvaient à flanc de montagne, perdus dans une immense étendue d’herbe drue et de rochers. Une sorte de brouillard épais s’était levé, si bien qu’on n’y voyait pas à cent mètres. Les traits poupins de Caeso étaient tirés, ses cheveux crépus gouttaient. Vaast se contenta de hocher la tête pour marquer son assentiment ; un gros craquement retentit au-dessus de leurs têtes.
Encore fallait-il trouver une grotte. Tandis que Caeso tentait d’en dénicher une, Vaast surveilla leurs arrières. Peut-être que les bêtes de l’île, pas folles, s’étaient réfugiées dans leurs repaires par un temps pareil, mais qui lui disait que n’existait pas une espèce qui aimait précisément se tapir dans le brouillard pour manger les voyageurs ?
Une demi-heure plus tard néanmoins, l’inquisiteur commença à s’inquiéter pour de bon. Il ne savait même pas quelle heure il était, les nuages étaient trop sombres pour ça. Et avec toute l’énergie que dépensait continuellement Caeso pour les éclairer, serait-il en mesure de le soigner s’il venait à se blesser sérieusement ?
-Vaast… commença soudain Caeso.
Il s’était arrêté de marcher et évitait de le regarder dans les yeux, préférant examiner vainement les alentours.
-Il faut que je te dise, j’ai…
Vaast haussa les sourcils, prêt à enfin entendre une explication à cette randonnée démente, mais Caeso s’interrompit brutalement. Pendant quelques secondes, il parut réfléchir le plus vite possible.
-…trouvé une grotte. J’ai trouvé une grotte. Regarde !
Sans attendre son comparse, il s’élança en dérapant légèrement sur l’herbe humide. Vaast le suivit sans se faire prier ; le mage se dirigeait en effet vers une ouverture dans la roche.
Se retrouver enfin au sec était une bénédiction. La grotte n’était pas bien haute, mais ils pouvaient se tenir debout. Vaast essora son chapeau à deux mains à l’extérieur, ce qui tira à Caeso un petit rire tremblant. Lui-même annula son sort et se laissa tomber au sol pendant qu’un autre éclair jaillissait à l’extérieur. Vaast tourna la tête vers les profondeurs de la grotte : l’éclair avait brièvement illuminé quelque chose. Peut-être n’était-ce qu’un pan bizarre de la roche, mais malgré son envie de retirer son équipement pour pouvoir sécher, l’inquisiteur demeura debout et immobile.
Caeso dut remarquer son air de chien de chasse à l’affût, car il souffla :
-Vaast ? Tu as vu quelque chose ?
-Peut-être un animal, murmura le mage.
-Ne… Ne le tue pas, hein !
Vaast, confus, abaissa les yeux sur Caeso.
-Comment ça, ne le tue pas ? Tu préfères te faire manger ?
-Non, mais… Je voulais… s’il y a un animal, on… on pourrait… bafouilla le jeune homme.
Mais Vaast entendit un bruit, et il n’attendit pas de savoir ce que Caeso voulait. D’un geste ample, il produisit une sphère de lumière suffisamment puissante pour éclairer les tréfonds de la grotte, et alors il vit ce qu’elle contenait.
Grommelant et trempé, la découverte de ce trou dans la roche lui a malgré tout arraché un sourire. Il va enfin pouvoir se poser et attendre la fin de ces intempéries. Ce n'est pas trop tôt, le natif attend cela depuis des heures. Il espère simplement que la grotte n'est pas occupée sinon cela ne lui assure même pas forcément une tranquilité pourtant bien méritée.
Cuán avance prudemment jusqu'à apercevoir une silhouette, celle d'un ulg se reposant au fond de la grotte. Il ne réagit pas à l'avancée du guerrier qui suppose donc qu'il dort. Une chance. Alors qu'il en profite pour se caler dans un coin lui permettant de surveiller l'ulg, il entend des bruits de discussion provenant de l'entrée. Cela le surprend et il se cogne le pied contre une pierre, produisant un bruit et, bizarrement beaucoup de lumière.
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Manifestement, ils n’étaient pas les seuls à s’être dit qu’une grotte ferait un bon refuge.
Le poing serré, Vaast tâchait d’évaluer la situation. Le Natif qu’il avait face à lui était grand ; ses muscles et son arme indiquaient qu’il n’était sûrement pas dans le coin pour cueillir des champignons. Pire, il n’était pas seul. Un ulg, non loin, semblait dormir. L’inquisiteur s’efforça de diminuer l’intensité de son sort. Il n’avait guère envie de réveiller l’animal. Le temps qu’il s’en débarrasse, son compagnon aurait tout loisir de leur foncer dessus.
Percevant une lueur nouvelle du coin de l’œil, Vaast comprit que Caeso prenait le relai pour ce qui était de l’éclairage. Il put donc annuler son propre sort. Combattre dans la pénombre était beaucoup plus risqué.
-Vaast, murmura le missionnaire. On peut peut-être discuter ?
L’inquisiteur eut envie de grommeler qu’il n’avait même pas encore lancé un seul sort offensif, mais sa posture devait être suffisamment claire. Et, bien entendu, un missionnaire était censé d’abord chercher à dialoguer.
Vaast ne répondit rien à Caeso. Il se contenta de se redresser et d’observer avec plus d’attention le guerrier. Voilà qu’il avait l’impression tenace de le connaître. Où donc avait-il pu déjà le voir ? Juliette les avait traînés dans pas mal de coins…
Trop de tension était attachée au souvenir de cet homme pour qu’il l’ait croisé lors d’une expédition. Ça ne collait pas. L’inquisiteur se mordit les lèvres, tâchant de se rappeler. Quand enfin il comprit, il souffla :
-Le solstice.
-Quoi ? chuchota Caeso.
Vaast secoua la tête et leva ses mains, bien en évidence, pour montrer qu’il était soi-disant désarmé. Peut-être que ça ne suffirait pas au guerrier. Après tout, il l’avait vu produire de la lumière. Peut-être pouvait-il produire pire.
-Guerrier, lança-t-il d’une voix calme. Je vous ai vu à la fête du solstice.
Était-il bien judicieux de se dire de Thélème ? se demanda Vaast à toute vitesse. Il était impossible de savoir ce que le Natif avait retenu de la soirée. Toutes les factions avaient été à blâmer pour quelque chose. D’un autre côté, l’autre pouvait très bien se souvenir de lui aussi, ou tout simplement identifier leurs tenues. Il poursuivit donc.
-Nous sommes de l’ordre des missionnaires de Thélème. Nous n’avons pas d’intention belliqueuse, nous nous sommes simplement perdus.
Si l'un des deux thélémites ne semble pas bien menaçant ni terrible, son comparse semble en être l'exact opposé. Grand, musclé, l'air décidé, il n'a clairement pas peur de se battre. Mais Cuán se rappelle soudainement que cet homme n'est pas son seul problème dans cette grotte et qu'un autre problème au poil épais pourrait se réveiller à tout instant. Il regarde rapidement la bête qui semble encore dormir. Bon. Pour l'instant au moins, le natif est tranquille.
Lorsque le thélémite l'interpelle il dit le reconnaître. Oh ! A cette fichue fête à la con où Cadell a sérieusement déconné ! Y repenser l'énerve mais il se calme rapidement, se rappelant que ce n'est pas la chose à laquelle penser maintenant. Cependant Cuán ne se rappelle pas de cet homme. Bon il n'a pas l'air de vouloir chercher des noises. Cela arrange le natif qui ne tient pas spécialement à réveiller l'ulg non loin de lui. Cuán prend la parole en s'approchant doucement de son interlocuteur pour ne pas parler trop près du tas de poils assoupi :
"Renaígses, moi vois bien que vous êtes perdus, moi n'ai jamais vu vos semblables aussi loin dans nos contrées. Vous vous êtes aventurés ici mais comme vous le voyez, (il pointe l'ulg du doigt) cette grotte est bien occupée. Qu'est-ce que vous faisiez avant de vous abriter de l'orage ?"
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C’est avec une certaine nervosité que Vaast observa le Natif approcher. Caeso avait l’air soulagé, lui, sans doute parce que l’homme avait l’air partant pour discuter.
L’inquisiteur n’était pas aussi optimiste. Il n’avait pas raté la façon dont leur interlocuteur tenait sa hache, ni le regard lancé à son ulg. Etait-il sur le point de lui ordonner de les attaquer ?
Un instant, Vaast se crispa encore davantage, car ses paroles semblaient avoir agacé le Natif. S’était-il montré irrespectueux malgré lui ? Les Natifs avaient des coutumes d’une étrangeté… Mais avant d’avoir songé à un sort adapté à la situation, Vaast relâcha légèrement sa posture en entendant le guerrier lui répondre.
Bon, il avait un accent à couper au couteau, mais au moins ils se comprenaient. Puisque la diplomatie semblait de mise, l’inquisiteur fit l’effort d’adopter un ton paisible.
-Oui, on n’y voit pas à vingt pas, entre le brouillard et la pluie.
Quelque chose dans les paroles du guerrier le fit tiquer. Voulait-il dire qu’il était arrivé en premier avec son ulg ? Son geste laissait supposer autre chose.
Vaast cilla quand la vérité s’imposa à lui. Ce n’était pas son ulg. Ils étaient tous les trois coincés avec un ulg sauvage, miraculeusement endormi. Il se figea et Caeso dut lui donner un coup de coude pour l’inciter à poursuivre.
-Nous étions… reprit donc l’inquisiteur.
Mais il s’interrompit et regarda son camarade. La question du Natif était pertinente : que faisaient-ils, en effet ? Caeso ne le lui avait toujours pas expliqué.
Ce fut au tour du jeune homme de se figer. Il balbutia quelque chose d’incompréhensible, prit une grande inspiration, et souffla :
-Je… Je voulais… étudier les ulgs ! Ils sont très… très beaux et… je… je n’en ai jamais vu d-de si près ! On n’en a pas des comme ça sur le continent !
Il eut un rire nerveux. Vaast serra les dents. S’il n’y avait pas eu avec eux une bête sauvage et un guerrier potentiellement hostile, il se serait énervé pour de bon. Comme hélas c’était le mauvais moment pour secouer Caeso, l’inquisiteur se contenta d’afficher un air serein.
-Pardonnez-lui sa lubie. Il est très jeune. Si j’avais su que c’était pour ça qu’il me traînait partout - il décocha un regard aigue à son camarade - j’aurais dit quelque chose.
"Toi mens ! Comme les layons ! Étudier les ulgs ne sert à rien ! Toi ferais rire un enfant en disant ça ! On n'étudie pas les ulgs. Soit on les évite, soit on les dresse. Moi suis sûr que toi veux voir les layons et..."
Le natif se rappelle rapidement qu'à la fichue fête le climat était plutôt tendu entre les layons et ces thélémites. Cet homme serait peut-être là pour les chasser aussi ? Il reprend :
"...et... toi dois me dire, toi veux les faire partir ou toi es là pour faire une alliance avec ?"
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C’est avec inquiétude que Vaast regarda le teint du Natif évoquer peu à peu la couleur d’une brique laissée au soleil. Manifestement, les bêtises de Caeso ne fonctionnaient pas - pire, elles énervaient le guerrier. Etaient-ils tous aussi sanguins, dans son clan ?
Mais l'homme parvint visiblement à se maîtriser de justesse et à parler au lieu de hurler comme il semblait sur le point de le faire l’instant d’avant. Sa réponse déconcerta un instant Vaast - pourquoi être tellement persuadé que ce qu’ils faisaient dans la région avait quelque chose à voir avec l’Alliance ?
Au moins pouvait-il le rassurer là-dessus. Pour peu, bien sûr, que le Natif le croie.
-Thélème est en guerre avec les Lions. Nous ne nous combattons pas sur Teer Fradee mais nous n’aurions aucune raison de conclure une quelconque alliance avec.
Vaast jeta un coup d’œil dehors : la pluie semblait se calmer un peu, mais le brouillard n’en semblait que plus dense. Désespérant.
-Alors… risqua Caeso. Ce n’est pas… votre ulg ?
Au même instant, la question du deuxième homme le sort de ses pensées. L'ulg. Il lui répond :
"Non ce n'est pas mon ulg. Moi n'ai pas de ulg. Celui là est sauvage et nous sommes ici chez lui. Donc mieux vaut ne pas le réveiller."
Le guerrier remarque que le temps dehors s'améliore à peine. Encore combien de temps va t-il être coincé ici avec les deux renaígses ? Déjà qu'il ne tient pas spécialement à leur faire la conversation et en plus un danger potentiel peut leur tomber dessus à tout moment. Cuán s'adresse aux deux thélémites :
"Le brouillard est épais mais moi sais qu'il ne durera pas longtemps ainsi. Lui se dissipe assez rapidement après la pluie. Enfin, normalement."
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Pas de colère, cette fois : le Natif avait au contraire l’air pensif.
Les rumeurs prétendant que certains clans étaient à couteaux tirés avec l’Alliance devaient être vrais, songea Vaast. C’était sûrement une information exploitable, mais ce qu’annonça le guerrier ensuite l’incita à remettre cette réflexion à plus tard.
L’ulg au fond de la grotte hibernait-il ? Non, on était au printemps. Son sommeil ne devait pas être bien profond. L’inquisiteur ouvrit la bouche pour proposer de sortir, pluie ou pas pluie, mais Caeso le prit de vitesse.
-Dites, vous devez vous y connaître en ulgs quand même. Vous pourriez m’aider à le dresser ?
Le jeune homme avait-il perdu l'esprit ? Vaast commençait à l’envisager sérieusement. Il examina son visage poupin, mais Caeso avait juste l’air nerveux.
-Qu’est-ce que tu racontes ?
Caeso refusa de le regarder dans les yeux.
-J’ai besoin d’un ulg.
Vaast, déconcerté, jeta un coup d’oeil à Cuán et prit soin de bien formuler sa pensée.
-Ce sont de nobles bêtes, Caeso, que nous devrions laisser en paix.
Et accessoirement des animaux capables de te déchiqueter en moins de trente secondes.
-Tu ne comprends pas ! s’agita le jeune homme.
Il se releva brusquement.
-On perd du temps. On devrait profiter qu’il dort. Allez, ce sera rapide. Je dois juste en ramener un ! Je ne compte pas lui faire de mal, ajouta-t-il à l’adresse de Cuán. Je dois juste…
-Tu as perdu la tête ? s’emporta Vaast. Qu’est-ce qui te prend ? Est-ce…
Mais la dispute naissante fut interrompue par un grondement sourd.
Apparemment, l’ulg ne dormait plus.
Le natif s'apprêtait à répondre avec véhémence à l'encontre de cet imbécile qui veut cet ulg mais voilà que les deux renaígses se chamaillent bruyamment. Ont-ils oubliés à quelle bête ils ont affaire ?
Avant même qu'il pense à les arrêter voilà que l'ulg se lève. Le guerrier resserre sa prise sur sa hache. Il ne sait pas si le premier coup qu'il assénera sera pour l'ulg ou pour cet idiot de Caeso. Cuán rumine de devoir risquer sa vie à cause de renaígses alors qu'il ne les combat même pas.
Il s'énerve et déclare :
"Bande d'imbéciles ! Vous l'avez réveillé ! Rendez vous utiles et préparez-vous à l'affronter au lieu de parler !"
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Se faire insulter ne plut guère à Vaast, mais Caeso eut une tout autre réaction : il devint livide et ses lèvres se mirent à trembler. Mais peut-être cela n’avait-il rien à voir avec les manières cavalières du Natif et tout à voir avec le grognement que venait de pousser l’ulg.
-S’il vous plaît, souffla le jeune homme.
Il n’y avait plus de nervosité dans sa voix, juste de la supplication.
-Si on arrive à l’assommer…
Vaast plongea une main dans sa poche intérieure et s’équipa d’un second anneau afin d’être armé à chaque main.
-Caeso, tu as dix secondes pour m’expliquer ce qui se passe.
L’ulg, au fond de la grotte, se relevait. Il avait l’air un peu pataud, mais l’inquisiteur se doutait qu’il serait bien plus agile quand il s’agirait de lui arracher le visage.
-J’ai… J’ai promis de ramener un ulg à l’arène, avoua Caeso après une longue seconde de silence.
Vaast lui jeta un regard incrédule, oubliant que quitter son adversaire des yeux était une très mauvaise idée. L’ulg choisit en effet ce moment pour se jeter en avant, gueule ouverte et toutes griffes dehors. L’inquisiteur recula, trébucha sur le sol inégal, et ne put que prier pour que le guerrier ait pu intercepter le coup avec sa hache.
Cuán espère que les thélémites vont enfin réagir car il est maintenant dans une mauvaie posture. Mais au fait, où-sont leurs armes ? Si l'ulg a été touché cela ne l'a absolument ni calmé, ni fait reculer, seulement rugir.
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Au moins, ils s’étaient retrouvés coincés avec un Natif armé et sachant se servir de son arme - une chance dans leur malheur !
Vaast fit beaucoup de bruit en tombant, armuré comme il l’était, mais ça n’avait plus guère d’importance. L’ulg secoua la tête, à la fois pour se débarrasser de la hache et de l’écho de la chute se répercutant sur les parois.
L’inquisiteur avait le temps de se relever, mais il choisit de rester au sol pour le moment. Certes, c’était une position très dangereuse si l’ulg décidait de l’attaquer, mais d’ici il avait une vue imprenable sur le ventre de la créature. Priant pour que ce soit bien un point faible, Vaast braqua ses poings dans cette direction et lança deux projectiles d’ombre.
Ce fut tout juste s’il distingua une lueur autour de ses mains avant que l’ombre née de cette lumière ne prenne la forme des projectiles désirés. Enervé comme il l’était, l’animal risquait de déguster, sans compter qu’il avait emmené et équipé ses anneaux les plus dangereux.
Les sorts atteignirent l’ulg dans le poitrail. L’animal poussa un bref rugissement de douleur et s’écroula à son tour au sol ; mais Vaast savait que cette paralysie ne durerait pas longtemps. Il se dépêcha de se relever et repoussa Caeso derrière lui sans ménagement.
-Il est assommé ! souffla le jeune homme.
-Caeso, dit Vaast en prenant soin de ne pas quitter cette fois l’animal des yeux, je ne sais pas ce qui t’a pris mais on ne peut pas le ramener où que ce soit. Regarde-le. Tu veux vraiment risquer ta vie pour ça ?
Caeso regarda l’ulg d’un air buté sans répondre. La créature recommençait déjà à grogner, mais elle n’arrivait pas encore à bouger les pattes.
Après avoir bien vérifié que la bête a poussé son dernier soupir, le natif se tourne vers les thélémites et plus particulièrement vers Caeso. Il déclare alors, visiblement agacé :
"Renaígse ! Moi ne sais pas ce que c'est que l'arène ! Mais une chose est sûre, aucun ulg ne quittera ce territoire ! Il est tout autant à eux qu'à nous, natifs de Vighulgsob. Celui ci est mort ! Par ta faute ! Mais il s'est bien battu. La chose à laquelle il a à présent droit est un enterrement. Et toi vas m'aider à le faire !"
Cuán pointe du doigt le comparse de Vaast d'un air décidé. Il s'énerve de plus belle.
"Ce qui est arrivé est non seulement ta faute mais en plus tu n'as même pas tenté d'aider pendant le combat alors sers au moins à quelque chose plutôt que de fouler bêtement nos terres !"
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Vaast et Caeso sursautèrent en même temps quand retentit le bruit de la hache s’enfonçant dans le cou de l’animal. Le jeune homme ouvrit la bouche comme un poisson hors de l’eau, l’inquisiteur regarda Cuán faire d’un air morne. Au moins, c’en était fini de la lubie du gamin.
Mais pas de celles du Natif, visiblement, car il se mit à les invectiver sèchement - ou plutôt à s’en prendre à Caeso.
Les joues du jeune missionnaire s’empourprèrent et Vaast crut un instant qu’il allait répliquer quelque chose, mais pas un mot ne sortit de sa bouche. Il fit demi-tour d’un air buté et ressortit de la grotte.
Par chance pour lui, la pluie s’était presque arrêtée. Ce n’était plus qu’une bruine légère. Caeso s’en alla arracher une large branche à l’arbre le plus proche et commença à creuser.
Vaast jeta un dernier regard à la dépouille de l’ulg. Un aussi gros animal pouvait fournir de la viande à plusieurs familles pendant des jours. A quoi bon le mettre en terre comme un homme ? C’était un gâchis monstrueux.
-Vous ne voulez pas plutôt amener la carcasse à votre village, ou… souffla Vaast avec un geste vague. Ça se mange, non ?
Il sortit néanmoins pour aider Caeso au cas où le Natif s’entêtait. Seul, il en avait pour un moment à creuser un trou suffisamment profond.
Ce n’était pas la première fois que Vaast creusait une tombe, mais c’était la première fois qu’il le faisait sans pelle. Au front, on avait au moins ça. Creuser sans outils s’avérait beaucoup plus long et salissant, mais plus vite c’était terminé…
-Savez, sur le continent, j’ai une famille. Il y a mon père, ma mère, ma tante… et j’ai même un neveu maintenant, enfin il doit être né, depuis le temps.
Vaast releva la tête. Caeso semblait s’adresser à Cuán, mais c’était difficile à dire, parce qu’il gardait les yeux baissés sur son ouvrage. Son ton était morne et saccadé.
-Tout le monde dort dans la même pièce et on a à peine de quoi se nourrir. Mes parents se sont abîmé le dos à l’ouvrage pour moi, parce que j’étais mage, et ils trouvaient ça formidable… ils voulaient avoir de quoi me payer une école. Ils étaient sûrs que quand on est mage, on a un travail important. On gagne de l’argent, tout ça.
L’inquisiteur pinça les lèvres et se retint de commenter. De toute évidence, Caeso avait depuis compris tout seul que ce raisonnement était erroné.
-Mais voilà, je suis pas un grand mage. Je sais lire et écrire mais pour ce que ça a rapporté à ma famille, j’aurais mieux fait de porter des sacs au port avec eux. L’oncle est mort de la malichor, en plus. Mais vous savez pas ce que c’est, hein ? Cette saloperie qui tue tout le monde là-bas.
Les jointures de Caeso étaient toutes blanches sur sa branche.
-Quand on m’a dit que je partais pour Teer Fradee, vous auriez vu leurs têtes. Ils étaient tellement contents qu’ils ont insisté pour faire une petite fête. Comme s’ils avaient les moyens. Ils m’ont demandé de leur envoyer ce que je pouvais… mais ils parlaient pas d’un lapin ou de deux pièces d’or tous les six mois. Ils sont bons pour crever de la faim avant que la malichor ne les emporte, avec ma paie. Alors je suis allé à l’arène. On m’a dit que si je ramenais un ulg pour les combats, ça paierait bien.
Caeso jeta sa branche sur le côté. Vaast sauta à l’intérieur du trou, à la fois pour terminer de creuser et pour ne plus entendre le gamin, mais peine perdue.
-Mais vous vous en fichez de tout ça, hein ? C’est pas vous qui devez voir la tête noircie de votre oncle ou avoir faim. Vous avez tout ce qu’il vous faut sur votre foutue île. Partager, c’est pas votre truc.
Le missionnaire regarda Vaast sans le voir. L’inquisiteur avait la désagréable impression que le gamin voyait autre chose que lui au fond du trou et il s’empressa de se tirer de là à la force des bras.
Le trou était prêt.
"Bien sûr que non un ulg ne se mange pas ! Tout le monde le sait ! Les ulgs méritent un profond respect. Quelle idée de renaígse de vouloir les manger !"
Il remarque que l'autre missionnaire a attaqué le creusage de la tombe et le natif n'a qu'à peine le temps de finir sa phrase que celui-ci se met à parler. Un long, très long monologue. Mais Cuán ne comprend pas. Ou du moins pas tout. Si cet homme regrette de ne pas être resté chez lui il n'a qu'à y retourner, plutôt que de se plaindre de ne pas pouvoir voler les ressources et les êtres de l'île à sa convenance. Quel culot ! Et puis la malichor là ?! Ce n'est pas de la faute des natifs si ils y sont immunisés.
Cuán devient rouge de colère et peine à se calmer avant de lui répondre :
"La même excuse que les layons ! Toi ne vaux pas mieux qu'eux ?! Nous perdons aussi des notres à cause de ta malichor là si c'est bien ce que je pense être ! Les layons sont horribles avec nos morts à cause de ça. Écoute bien : tu as peut-être perdu un oncle, moi j'ai perdu un frère ! Les layons ont même emporté son corps !"
Le natif se calme un peu plus et reprend :
"Moi ne sais pas ce que c'est une arène. Mais moi pense que celui qui t'a dit de ramener un ulg se fiche ou de toi ou de nous ou les deux."
Le guerrier voit à présent que le trou est prêt à accueillir l'ulg.
"Rentrons chercher l'ulg et amenons le à sa dernière demeure. Après cela, moi vous conseille de partir loin. Loin des terres aux alentours de nos villages."
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Vaast se mordit la langue pour s’empêcher de répondre. Bien sûr, tout le monde le savait qu’on ne mangeait pas d’ulg. Quelle bêtise de proposer d’utiliser leur viande !
L’inquisiteur sut que la tirade de Caeso avait échoué à toucher le Natif bien avant qu’il n’ait terminé. Le guerrier devenait petit à petit aussi rouge que si les paroles du missionnaire l’emplissaient d’eau bouillante. Quand enfin il répliqua, le gamin se figea.
Vaast se figea aussi, mais pas à cause de l’hostilité de Cuán. Emporté son corps ? Qu’essayait donc d’accomplir l’Alliance avec des cadavres de Natifs ? Pensaient-ils découvrir un remède à la malichor dans leur sang ? L’idée lui donna la nausée.
-L’Alliance du Pont a emmené le corps de votre frère ? relança-t-il.
Visiblement, Cuán en avait aussi gros sur le cœur que Caeso pour avoir sauté sur la première occasion d’en parler. Peut-être y avait-il là un moyen de rattraper le reste ou au moins de récupérer quelques informations.
L’inquisiteur jeta un coup d’œil au gamin, mais il n’avait pas l’air de vouloir expliquer ce qu’était une arène, ou même de vouloir rouvrir la bouche tout court. Bras croisés, le regard éteint, poings serrés, il semblait décidé à ne plus participer à la conversation. Vaast réprima un soupir et se dirigea vers le cadavre de l’ulg.
L’aide de Cuán ne fut pas de trop pour pousser cette énorme masse inerte vers le trou. Quand ils eurent fini, Vaast avait les chaussures tachées du sang de l’animal, mais il n’était plus à cela près - le blanchisseur de San-Matheus allait s’arracher les cheveux en voyant l’état général de sa tenue.
"Moi ne sais pas ce que ces fichus layons font vraiment des corps ! Mais comme mon frère, de nombreux autres natifs sont privés de sépulture par leur faute ! Tout ce que moi sait c'est que cela a à voir avec la maladie de votre île. Ils payeront pour ça !"
Étrangement, le natif paraît moins colérique. Peut-être parce qu'il est exténué d'avoir traîné la carcasse massive de l'ulg. Qui sait ? Cuán tourne la tête pour adresser à l'ulg une dernière salutation puis regarde Caeso droit dans les yeux et commence à pousser la terre dans le trou.
"Allez ! Toi aussi ! Aide !"
Le natif observe attentivement une potentielle réaction de celui qui s'est tu quelques minutes plus tôt, suite à l'une de ses répliques.
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Vaast hocha mollement la tête. Cuán n’en savait donc pas plus. Poussé par ses bonnes manières, l’inquisiteur se borna à répondre :
-Navré pour votre frère.
Caeso, lui, ne dit rien du tout et ne bougea pas. Il n’avait pas tant l’air de bouder que d’être exténué, comme s’il avait dépensé toute l’énergie qui lui restait à creuser. Vaast se chargea donc de ramener sa portion de terre en plus de la sienne avant que le guerrier ne s’agace.
-Laissez-le. Il en a assez fait aujourd’hui.
On pouvait prendre ça comme un reproche ou tout l’inverse.
L’inquisiteur ne s’embêta pas à lisser le tertre ; une fois la triste besogne achevée, il songea avec humeur qu’il en avait pour une longue marche avant de revenir au campement.
Qu'y avait-il à ajouter ? Qu'il était désolé pour l'ulg ? Qu'il regrettait que Cuán n'ait pas eu moitié autant de compassion pour Caeso que pour l'animal ? Mieux valait ne pas prendre de risques.
-On y va, Caeso. Guerrier, que la Lumière vous guide.
Sans un regard en arrière, Vaast attrapa le jeune homme par le bras pour l’entraîner avec lui. Il bruinait toujours, mais le temps s’était tout de même bien dégagé. Il se prit à espérer qu’ils ne feraient plus de mauvaise rencontre et que l’Illuminé aurait pitié d’eux.