Plonger dans l'incertitude

Ce jour plus doux printanier était idéal pour visiter les différentes stèles de la région. Ayant passé quelques jours à Vigsoneigad pour rendre visite à la famille de mon défunt Minundhanem et prendre des nouvelles du doneigad Oisin, j'avais accepté de l'aider à préparer quelques offrandes pour les stèles cachées du coin. Leur village était en bordure de marécage, de forêt et des clairières, et nous nous étions réparti les différentes zones. Connaissant mieux les marécages et la forêt les jouxtant que moi, il prit soin de s'en charger. Il ne me restait plus que la partie de forêt et les petites clairières. en général il n'y avait rien de très difficile à faire. S'assurer que les stèles étaient "propres", non endommagées par les renaigses (ce qui pouvait arriver), et remplacer les offrandes à leur pied.

Je m'attelais à cette tâche avec patience et zèle, appréciant la solitude de cette promenade. Je pouvais pleinement profiter de la plénitude des lieux que je traversais, sentir le lien avec ce qui m'entourait, m'entrainais également à sentir autour les animaux et s'ils étaient perturbés d'une façon ou d'une autre. Il m'arrivait parfois de m'arrêter pour contempler et écouter, guettant les murmures du vent, le bruissement des branches ou encore le chant des oiseaux. Il y avait toute une ode bien précise à chaque endroit, et je m'amusais à me souvenir de chacune d'entre elle. C'était pratique, pour savoir si quelque chose allait bien ou non. Pour les offrandes, j'avais avec moi ma besace remplie des plantes et de mélange de résines, parfois j'en récupérais aussi sur le chemin. Puis la prière à en ol mil frichtimen, et un moment de méditation. Il y avait de ci et de là, parfois sur les chemins et d'autres fois de façon cachées, de petits autels avec des stèles, ou alors des stèles toutes seules. Chaque représentation était le symbole de l'un des milles visages de l'île, qu'il fallait honorer, comprendre et écouter. La chance était avec nous, beaucoup de ces autels et de ces stèles n'avaient pas été découvertes par les renaigses. Cachées ou difficile d'accès, cela promettait à qui voulait se recueillir un moment de quiétude et de paix.

Cependant elles n'étaient pas toutes ainsi. Comme pour nos Cercles de Stèles, certaines étaient beaucoup plus ostentatoires et voyantes, imposante même. Si l'on passait à quelques dizaines de mètres de là, on ne pouvait pas les manquer. C'est sur l'une d'entre elle que je tombais, au milieu d'une clairière, et devant laquelle je tombais sur un spectacle des plus étrange. Alors que j'étais au niveau des arbres, je vis une femme renaigse aux vêtements d'un rouge intense se positionner devant la grande stèle au centre de la clairière. Voyant le soleil sur sa cape, je ne pus m'empêcher de me cacher derrière un tronc d'arbre. Une Saul Lasser, même seule, n'était pas vraiment bon signe. Surtout devant nos places de cultes. Méfiante et prudente, j'observais la renaigse, espérant qu'elle allait rapidement partir et continuer son chemin. en regardant il n'y avait personne autour, ce qui était à la fois étrange et rassurant. Mais le plus surprenant furent ses actions. Elle semblait observer la stèle, puis décrocha de sa chance ce qui tenait son épée pour la poser à terre, se mettre à genoux et... prier ? Oui, je crois bien que c'est leur position de prière.. Interloquée je ne disais pas un mot et je bougeais pas, observant simplement avec la plus grande curiosité. Pourquoi priait elle ? Allait elle faire quelque chose à la stèle ? Pensait elle que c'était une représentation de son dieu ? Non non, impossible... Et pourtant elle restait là, à genoux, sans bouger.

Les minutes passèrent, elle était toujours là. J'étais intriguée par sa présence et sa prière aussi longue, qui ne faisait aucun sens pour moi devant l'une de nos stèles. Je me demandais finalement si elle ne s'était pas perdue, et attendait ici dans l'espoir que quelqu'un la trouve. Je n'étais pas des plus rassurée en étant en présence d'une Saul Lasser armée, mais je me voyais mal rester ici les bras croisés. Et puis... j'étais trop curieuse. Je pris finalement la décision d'aller au-devant du risque. Je sortais de derrière l'arbre, marchant tranquillement et avec prudence pour me rapprocher de la renaigse. Aussi silencieuse qu'un renard qui se fraye un chemin dans l'herbe, mes pas ne faisaient aucun bruit. La jeune femme avait de long cheveux clairs, et de dos ses habits étaient très certainement ceux des Saul Lasser. Je m'étais assez approchée pour être à une dizaine de mètres d'elle, et ne tentais pas plus. Après tout, il était préférable de garder une certaine distance tant que je ne connaitrais pas ses intentions. Pour l'instant, il ne fallait pas la surprendre et lui faire peur, tel un chevreuil qui peut paniquer et vous attaquer. Ma voix s'éleva vers elle, claire mais avec une douceur propre à mes intentions pacifiques.

"Il est unique et surprenant de voir un renaigse prier devant l'une de nos stèles... Êtes vous perdue, Saul Lasser ?"

Si je pouvais l'aider à retrouver le chemin des siens, très bien. Mais si elle était là pour autre chose... Pourvu qu'elle ne soit pas là pour essayer de capturer les nôtres, ou de détruire nos lieux de culte. Car à ce moment, je ne ferais guère preuve de compassion ni même de douceur.

La renaigse répondit d'une voix claire que c'était un lieu sacré. J'haussais les sourcils de surprise. les renaigse, respecter les lieux sacrés ? Depuis quand ? A part les leurs, les Saul Lasser n'ont pas vraiment de respect pour ce qui n'est pas des leurs. Enfin, sauf certains, comme le Frichtimen Airni que j'ai croisé il y a quelques jours. Ses mots n'étaient donc suffisant pour me convaincre. Elle se releva, me faisant face. Elle avait une beauté singulière, froide et distante, comme les cîmes de la montagne. Et son regard... il me faisait penser à celui de mon grand-oncle Nathair, un ermite qui vivait reclus dans la montagne. Ses yeux étaient comme les siens, clairs et lointains, acérés et pourtant détachés. Sa façon de parler et son manque d'expressions sur son visage (pas de peur ni de surprise) rajoutaient à cette similitude. Peut être que les renaigse avaient aussi ce genre d'ermites chez eux ? Cela pouvait expliquer qu'elle était toute seule. En tout cas, elle parlait un peu en énigme comme eux. Un signe... moi ? Je l'écoutais ensuite me dire d'avancer, sans crainte. Je la fixais, répondant simplement.

"Mh...."

Sceptique et prudente, je la jaugeais du regard. Curiosité, méfiance, pesant le pour et le contre, mes yeux lilas la sondaient comme pour évaluer si elle allait en profiter pour m'attaquer ou non. Son attitude d'ermite me chuchotait qu'elle n'allait sans doute comme eux pas se montrer agressive, mais en même temps elle portait une arme avec elle. Et c'était une Saul Lasser. Maus Frichtimen Airni, enfin Lucius, en était un aussi et nous avions tranquillement discuté. Je ne connaissais pas ses intentions, surtout si elle disait que j'étais un "signe". Après tout, un augure peut être autant bon que mauvais, et je n'avais aucune idée de ce que je représentais pour elle. La prudence finit par prendre le dessus. Je ne fuyais pas, mais à la place, décidais de lui montrer que je ne souhaitais pas la perturber.

"Je ne vais pas vous perturber pendant votre prière. Aussi longtemps que vous respectez ce lieu, vous pouvez y rester. Mais restez à l'affût de ce qui vous entoure. La quiétude de ces lieux n'est qu'une illusion passagère."

La clairière avait l'air tranquille, paisible comme si rien d'autre n'existait autour. Pour autant, les bêtes sauvages et parfois agressives rôdaient et il suffisait d'avoir le dos tourné au mauvais moment pour se trouver mis à terre avec des crocs se refermant sur sa nuque. Cet endroit sacré happait l'attention, comme un piège subtil à qui ne saurait pas s'y mesurer. J'espérais que mon conseil de prudence allait lui faire comprendre que je ne lui voulais pas de mal. Mais je ne souhaitais pas non plus être embêtée, et préférais d'avance la mettre en garde.

"Et je ne vais pas vous demander en quoi je suis un signe, car je sens que vous allez parler comme une Embrumeuse d'Esprit. Et cela ne m'intéresse pas. Surtout si votre but est le... prosélytisme."

Je m'étais souvenue au dernier moment du mot renaigse que Lucius m'avait enseigné. Un mot compliqué, mais qui semblait être le principe de vie de tous les embrumeurs d'esprits qui tentaient de nous convertir à leur dieu. Ces quelques mots dit, je m'avançais tranquillement vers la stèle dressée, non sans faire un léger détour de quelques mètres en gardant mes distances avec la renaigse. Je la contournais tout simplement, pour me retrouver du côté de la stèle où se trouvaient deux pots d'offrandes en pierre. Après tout, je suis ici en mission, et pas juste pour flâner.

La femme ne s'approcha pas plus, se relevant simplement en me laissant vaquer à mes occupations. J'étais un peu plus tranquille, quoi que toujours sur le qui-vive. La Saul Lasser semblait disposée à parler, et à répondre à mes quelques questions. Ce qu'elle me répondit d'ailleurs me surprit un peu.

"Apprendre ? Une rareté venant de votre peuple."

Il n'y avait pas vraiment de sarcasme dans ma réponse, simplement un fait bien avéré que j'avais pu observer. De tous les Saul Lasser que j'avais pu rencontrer, à l'exception de Lucius qui ne faisait que confirmer la règle, aucun n'avait cherché à apprendre de nous. Ou du moins, pas sans en détourner le but pour obtenir ce qu'ils voulaient, à savoir s'en servir pour dénigrer notre culture ou donner raisons à leurs peurs. J'attendais encore de savoir dans quel camps cette femme allait se trouver. Vidant le pot et plaçant d'une main experte de nouvelles offrandes, j'écoutais toujours la renaigse qui me posa une nouvelle question, cette fois-ci sur la stèle et ce qu'elle représentait. Curieusement je me demandais ce qui pouvait lui avoir fait pensé que c'était un endroit où nous honorions nos morts, mais sans doute que chez eux c'est différent. En tout cas, si je pouvais lui faire comprendre qu'il n'y aura rien à fouiner ici pour voler des corps ou des objets, je n'allais pas me gêner. Toujours d'une voix douce et calme, je répondais à son interrogation.

"Non, ce n'est pas ainsi que nous rendons hommage à nos ancêtres. Pas dans ce genre d'endroit."

Je ne précisais pas cependant à quoi servait la stèle. Je ne voulais pas trop en dire, pas sans connaitre son véritable objectif en venant ici. Certains n'aimaient pas que nous vénérions l'île comme nous le faisions, aussi je ne voulais pas que cet endroit soit bafoué en étant détruit par les renaigses. Avant de lui en dire plus, il faudra que j'en sache plus sur elle et ses intentions qui, je l'espérais, se montreraient dignes et pures.

Je finissais de garnir l'un des pots de mousse odorante et sortais de ma besace un peu de sève de pin dragon rouge. Le cassant en petit morceau, j'en mettais un peu dans chaque pot. Je ne devais pas négliger mon devoir, mais a curiosité n'allait pas rester en reste. Elle voulait poser des questions, soit, mais je tenais bien à rendre la pareille. Après tout, il faut que j'en sache plus sur elle pour savoir si je peux réellement lui enseigner ce qu'elle désire savoir. Aussi, j'abordais la première question qui m'étais venue à l'esprit.

"Est ce une de vos habitudes de prier devant des endroits sacrés d'autres peuples ? C'est la première fois que je vois cela chez les Saul Lasser."

Quelque chose me disait que ce genre d'action pourrait être mal vu chez eux, étant donné qu'ils regardaient en général d'un mauvais oeil toute représentation qui n'était pas l'une des leurs. Est ce que cette renaigse avait une raison particulière d'agir ainsi ? Et si oui, devait elle le cacher parmi les siens ?

Ma question semblait l'avoir un peu décontenancé, son visage impassible frémissant un instant, son regard s'animant un peu plus. J'avais donc touché une corde sensible. Il y eu un petit moment de battement avant sa réponse, mais celle-ci s'avéra assez surprenante. Elle confirma que ce n'était pas quelque chose d'habituel chez eux, mais ne nia en rien ses agissements. Elle avait ses raisons semble t'il, des raisons que j'avais un peu de mal à comprendre au début. Cependant quelque chose attisa ma curiosité dans ses dires, provoquant un nouvel éclat dans mon regard devenu plus intéressé.

"On vous a parlé alors que vous vous approchiez de la stèle ? "

Qu'elle ait entendu quelque chose de son dieu est une chose, mais qu'elle ait ressenti quelque chose en ce lieu sacré ne pouvait être pris à la légère. Peut être voyait elle ici un signe de son dieu, mais nous étions sur Tir Fradi et seul En Ol Mil Frichtimen règne en ces lieux. Est ce qu'il lui aurait parlé ? Pourquoi ? Je restais silencieuse, posant sur elle un regard qui fut un peu plus dissipé. Je ne répondis pas, même quand elle me donna son nom. J'étais concentrée pour utiliser mon lien avec ce qui m'entourait, essayant de trouver une réponse. Je ressentais la terre autour, me liant avec cette stèle, écoutant les voix du vent. Pensive, je ressentais quelque chose dans l'air autour de nous. La brise fit bruisser les branches des arbres autour et plier l'herbe de la clairière. J'entendais, ressentais quelque chose. Peut être qu'en effet ce n'était pas vraiment un hasard, et qu'En Ol Mil Frichtimen lui avait d'une certaine façon parlé. Rien n'était certain, j'avais simplement une impression. Mon regard se détacha d'elle, se perdant dans la forêt qui nous entourait alors que le vent jouait de sa musique. Je poussais un léger soupire, parlant un instant dans ma langue natale.

"Vraiment .... Mh....Qu'il en soit ainsi."

Je tournais ensuite la tête, posant de nouveau mon regard sur la jeune femme. Mais cette fois ci il n'y avait plus la méfiance ni l'envie de m'échapper. Non, mes yeux lilas étaient fixés sur elle comme pour la sonder, lire en elle et d'une certaine manière la juger. Si Tir Fradi souhaitait cette interaction, alors je n'allais pas la décevoir. Je lui répondis enfin, d'une voix toujours douce mais d'une assurance digne de celle d'une montagne impassible.

"Je suis Elatha, fille d'Aelwenn, fille de Maë et Doneigad de Wenshaveye."

Elle m'avait après tout donné son nom, il était d'usage quand l'on souhaite converser de façon sérieuse de rendre la pareille. Pour autant, je la mettais tout de même en garde sur la nature de notre "discussion", que je préférais pacifique. Au moindre risque de changement, je n'allais pas hésitez à couper court.

"Je ne saurais dire ce que vous entendez par "confronter à un étranger", cependant sachez que ce lieu sacré n'est pas un endroit qui doit être souillé par la violence. Si vous souhaitez vous battre ce n'est pas ici que vous trouverez des réponses."

J'avais fait mon petit discours de mise en garde, cependant je n'étais pas que de celles qui châtient. Bien que je reste sur mes gardes, Yndris n'avait pas été sans une certaine prédisposition qui me laissait de l'espoir. Elle semblait avoir des principes qui, en l'occurrence, pourraient nous aider à rester dans une conversation saine. Du moins je l'espérais.

"Mais Humilité et Patience sont des valeurs honorables, acceptées ici comme l'Ecoute et l'Ouverture. Parlez, dites moi ce que vous me voulez et les questions qui vous taraudent l'esprit."

J'avais pesé mes mots en parlant d'écoute et d'ouverture, chose qui sont malheureusement rares chez les renaigses, et qui aussi tristement se répandait petit à petit parmi les miens. On dit que l'ignorance n'est pas contagieuse, mais à voir comment celle des étrangers fini par influencer les nôtre, je commence à avoir des doutes. Je devais espérer que cette Saul Lasser ferait preuve de bon sens et d'ouverture comme l'a été Frichtimen Airni il y a quelques jours. Espérer...

Le nom de l'inquisitrice et de ses parents semblaient indiquer une certaine position chez les Saul Lasser. En revanche, je fronçais des sourcils quand j'entendis qu'elle était une inquisitrice. Une Ordo Luminis, ces Saul Lasser qui ne font que de mépriser et harceler les nôtres. Ma méfiance augmenta d'un coup, et je sentais que cette conversation risquait d'être plus dangereuse qu'elle n'y paraissait. Cependant je ne le laissais pas voir sur mon visage, restant impassible et distante comme tout à l'heure. Elle proposait que nous posions chacune une question, et j'acceptais d'un hochement de la tête. Yndris posa la sienne la première, m'interrogeant sur ceux qui portaient la marque. Je ne prêtais pas attention à la tentative de flatterie sur mes cornes, réfléchissant plutôt à quoi dire. Je ne lui faisais pas confiance, et je n'avais pas envie que le savoir que je pouvais lui transmettre serve à nuire aux miens. J'étais certes prône à partager mon savoir, mais je n'étais pas idiote pour autant. Et le fait qu'elle connaisse le nom de notre esprit aux mille visages montrait qu'elle en savait déjà plus que la normale sur nous. Je répondis donc, mais mesurait mes paroles.

"Ces marques, comme vous dites, font de ceux qui la porte des on ol menawi. Cela montre la présence d'un lien potentiel avec l'île et ce qui nous entoure, cependant tous les on ol menawi n'ont pas ce lien actif. "

Je ne mentionnais pas le fait que certains pouvaient obtenir le lien par ascendance, ou bien par rituel. Déjà j'espérais que le fait de dire que pas tout ceux qui avaient la marque étaient en lien actif, ainsi peut être ils pourraient ne pas penser de suite à capturer n'importe qui portant une marque. Yndris en savait beaucoup déjà selon moi, et je me demandais comment elle avait put obtenir ces informations. Est ce qu'une personne de notre île leur en avait parlé ? Ou alors... elle avait forcé un des nôtres à parler ? Il y avait des rumeurs de violence des Saul Lasser sur les nôtres, certain disant qu'ils cherchaient à en savoir le plus possible sur notre religion, mais pas vraiment dans de bonnes intentions. Etait ce le cas pour elle aussi ? Méfiante, je l'interrogeais à son tour.

"Vous les renaigses, semblez 'beaucoup' vous intéresser aux on ol menawi. Pourquoi ?"

J'avais mentionné le beaucoup avec un froideur qui montrait que j'étais quelque peu hostile aux raisons de leur intérêt. Je savais que les Layons capturent nos morts portant la marque pour les étudier, mais...pour le Saul Lasser, j'étais dans le flou et je n'aimais pas cela.

Ma question semblait mettre moins à l'aise la renaigse, pour autant cela ne fut que le temps d'un battement de coeur. Dans un léger soupir elle me répondit. La curiosité humaine, selon elle ? Je fronçais des sourcils quelques peu. A ce moment là, nous n'étions clairement pas les mêmes humains.

"Oui, je suis curieuse, mais pas aux dépends de ceux que nous observons. Je respecte le sujet de ma curiosité, mais cela ne semble pas être vraiment le cas des vôtres renaigse. "

Et cela je ne le dis pas que pour les Saul Lasser. Les Layons aussi font preuves d'une certaine cruauté dans leur recherche, ne serait ce qu'avec cette affaire de vol de corps. Et je ne parle pas de la façon dont ceux qui vivent près de leur grand village considèrent les nôtres. Si la curiosité pouvait être la même intention de départ entre nos deux peuples, nous avions radicalement un sens différent à celle-ci.

"Notre curiosité tient plus du fait de vouloir comprendre pour vivre en harmonie avec, pouvez-vous prétendre à ce même état d'esprit ? Vous ne semblez vouloir apprendre que pour mieux combattre et vous imposer. Prouver que vous avez raisons, trouver une raison ou une excuse pour vos propres peurs... Comme ce démon, dont certains pensent vouloir nous sauver. Une chose bien étrange je dois dire...."

Je retenais un léger sourire de dépit, repensant à ce que Lucius m'avait raconté et ce que j'avais entendu des autres Saul Lasser. Cette recherche de "démon", le fait qu'ils voulaient nous "sauver". Mais de quoi ? Car au final, c'est d'eux qu'il faudrait nous sauver, et non pas de ce prétendu démon qu'ils ont l'air de vouloir trouver et pourchasser à tout prix. Et surtout chez les autres.

Le visage de la Saul Lasser tiqua légèrement, subrepticement. Mes paroles ne semblaient pas lui plaire, ce qu'elle ne cacha pas de dire. Ainsi que j'avais vexé. Je penchais légèrement la tête sur le côté, fronçant des sourcils. En quoi cela change t'il quelque chose ? C'est elle qui vient me demander une faveur en sollicitant la conversation, pas l'inverse.

"Je vous ai froissé parce que j'ai dis la vérité, ou parce que je ne suis pas à vous croire sur parole dès le début ? Ma méfiance et ma prudence sont justifiées, qu'elles vous offensent ou non n'y changera rien. "

Je n'allais pas me rendre plus amène pour le simple fait que la renaigse devant moi se trouve offusquée. Si c'était le cas, alors je me serais écrasée maintes fois devant les saul lasser qui viennent prêcher et se vexent que nous leur répondions. J'étais certaine une personne altruiste, mais cela ne voulait pas dire non plus que je n'avais pas ma fierté ni même que j'étais du genre à me laisser marcher sur les pieds. Ici il était question d'un danger, et accorder trop facilement ma confiance à quelqu'un qui porte les même affaires que ceux qui nous ont souvent porté tord serait pure folie. Ma naïveté n'était pas à ce point, pas en ces lieux non plus. Elle disait que le fait que penser que l'étranger était quelque chose de mauvais n'était ni le seul fait des renaigse, mais qu'en plus il n'y avait pas de raisons de penser ainsi dès le départ. Chose sur laquelle je ne pouvais qu'être en partie en désaccord.

"Malheureusement, votre peuple a prouvé le contraire. Nous ne pensons pas qu'il est forcément mauvais, mais les expériences passées ont prouvés que l'étranger n'est pas fondamentalement bon non plus. Les vôtres sont arrivés sur notre île et non l'inverse, ne l'oubliez pas. S'il y a bien des personnes qui devraient se montrer respectueuses en tant qu'invités et montrer leurs bonnes intentions, ce sont bien les vôtres."

Mais je devais aussi reconnaitre que nous n'étions pas non plus sans tord, pour peu qu'apprendre de ses erreurs du passé puissent être un tord. Nous étions sans nul doute plus méfiants à présent, et en ces quelques années je l'avais remarqué. La peur avait pris le pas sur la compréhension, mais pouvais je vraiment leur en vouloir ? Moi même je me trouvais en ces temps troublés plus sur mes gardes. Dans un léger soupire, je concédais ce fait.

"Mais j'accorde que maintenant vous êtes vu avec méfiance, sans chercher à comprendre plus loin. Je ne suis pas fondamentalement pour voir le mal partout, mais pouvez-vous nous blâmer, vu ce que les vôtres renaigses nous avez fait ? Notre prudence n'est elle pas justifiée, pour notre propre sécurité et survie ?"

Les renaigse avaient leurs armes étranges et leur magie, même avec nos moyens le danger était présent. Nous reprocher une prudence plus que justifiée était presque malsain et retord. Je comprenais qu'elle souhaitait d'une certaine façon montrer qu'il n'y avait pas lieu de s'alarmer par sa simple présence en laissant les préjudices prendre le dessus, un coin pacifique de mon esprit le comprenait. Mais là en ce moment présent, seule dans un endroit isolé avec un de ces renaigse qui peut utiliser la magie et qui a une de leurs armes, mon instinct me disait qu'il fallait se montrer prudente. Et sur notre île, l'instinct était la base pour la survie et la vie. Elle reprochait que j'avais jugé son apparence plus que son attitude, mais une fois de plus les antécédants de son peuple jouaient en sa défaveur, ce que je ne tardais pas à lui faire remarquer.

"Votre attitude n'est peut être pas en effet la cause, mais l'antériorité et vos habits montrant votre appartenance le prouvent. Si vous voyez un ulg dans les bois, qui a juste l'air de dormir ou bien de vaquer à ses occupations sans avoir l'air agressif, iriez vous pour autant à sa rencontre en tout confiance et sans vous prémunir ? Vous savez par expérience que tous ceux qui ressemblent à des ulgs sont des prédateurs, des chasseurs qui peuvent vous tuer et vous manger. Mais parce que celui-ci n'a pas de suite voulu vous attaquer en vous voyant est il pour autant gage de confiance et de sécurité ?"

Il n'y avait pas pour moi image plus parlante. Peut être qu'elle se sentira de nouveau vexée d'être comparée à une bête sauvage, mais un prédateur reste un prédateur. Elle se justifiait cependant d'intentions autres que celles de ses semblables. Une curiosité qui en cherchait pas de façon directe à détruire, mais elle ne l'excluait pas non plus. Son insistance pour une discussion et un échange sans nous regarder comme des ennemis était à l'honneur de sa ténacité. Je n'allais pas me radoucir de beaucoup, surtout qu'elle semblait me sous estimer d'une façon assez évidente.

"Mh... peut être... Cependant sachez que je ne vous vois pas comme une ennemie, mais comme quelqu'un qui peut vouloir me nuire ou les miens, tout comme le fait que vous pourriez être sincère ou vouloir apprendre pour étendre vos horizons. Si je vous voyais comme une ennemie, nous n'aurions pas cette conversation."

Mes yeux étaient posés sur elle de façon directe, sans animosité mais avec la froideur appuyant un fait. Si nous étions ennemies je n'aurais pas discuté, j'aurais sois fui soit cherché à me défendre si elle insistait pour me suivre. Le fait que nous puissions tout de même parler montrait que je la tolérais comme une voisine peu désirable, mais avec qui pour l'instant on doit faire avec. Pour savoir si cette "voisine" allait poser autant de problème que les autres, je devais en savoir plus.

"Mais alors dites moi. Pourquoi êtes vous venue sur notre île ? En quoi votre raison diffère elle de vos semblables, pour vous rendre ainsi moins... dangereuse ?"

Je ne savais pas si elle allait montrer patte blanche sur le sujet, mais qu'elle explique un peu plus ses intentions allait m'aider à juger si oui ou non cela valait la peine de converser. Nous verrons bien.

Mes paroles semblaient continuer à la vexer et à lui faire prendre la mouche. Je m'étonnais aussi qu'elle se plaigne que je parle autant. N'est ce pas ce qu'elle veut à la base ? Ou alors juste parce que je parle sans répondre à ses questions, sans nul doute. Quoi qu'il en soit je la laissais parler, mais restais sur ma position de prudence. Je n'allais plus m'assouplir sans vraiment connaitre ses intentions, ou du moins sentir qu'elles sont autant bonnes que sincères. Que mes paroles aient pu lui paraitre insultantes c'est son problème, surtout pour si peu. Je l'écoutais donc, elle qui assurait qu'elle n'était pas une personne fausse et préférait la vérité. Raison pour laquelle elle avait voulu venir confronter par elle même les dires de son peuple sur notre île. Mais qu'est ce qui a bien pu être dit pour attirer son attention au point de la faire venir d'aussi loin ?

Elle se tut un instant, sans nul doute pour reprendre son souffle ou savoir ce qu'elle pouvait dire ensuite. Je ne l'interrompais pas, espérant que par la suite je saurais vraiment ce qui l'a fait venir ici. Ou du moins, quelle vérité elle a voulu vérifier en venant en personne ici.

"J'ai déjà parlé à plusieurs des vôtres. Layons, Lugeid Blau, même un Saul Lasser avec qui j'ai pu discuter plus librement. Mais les circonstances étaient... différentes."

Dans ces différentes situations, j'étais soit à venir les aider dans des déboires, soit la discussion s'était fait dans un endroit où s'attaquer à moi aurait été malvenu. Mais ici nous étions seules, isolé de tout groupe qui pourrait me défendre. Je n'étais pas une combattante, loin de là, et ma défense restait limitée. Elle avait certes posé son arme au sol, mais en un geste elle pouvait la reprendre et m'attaquer. Je n'étais tout simplement pas confortable, je n'y pouvais rien. Pourtant, quelque chose dans ses paroles attira ma curiosité naturelle. Enfin. En tant que guérisseuse, parler de leur maladie m'était toujours intéressant, surtout que les renaigses semblaient avoir peur d'en parler. Avoir plus de détails sur ce qu'il se passe est compliqué.

"Je vois... Les Layons et le Frichtimen Airni ont parlé de cette maladie qui semble toucher vos terres. Je compatis à cette tragédie qui touche les vôtres."

J'espérais à un moment donné en savoir plus sur le sujet, mais elle avait abordé plutôt le sujet du fameux "démon" que beaucoup de Saul Lasser cherchaient parmi nous. Apparemment, c'est ce qui semblait l'avoir motivé à venir ici, à comprendre si cela était vrai ou non. Elle disait ne pas vraiment croire à cette chose là, pensant plutôt que nous avions des croyances différentes qu'il fallait comprendre pour nous rapprocher. Là dessus, je ne pouvais qu'acquiescer.

"Votre intention de compréhension entre nos peuples est tout à fait louable, et vous fait honneur. Il serait mieux pour tout le monde que cela soit plus partagé."

J'étais d'accord sur le principe, mais pour la manière cela restait encore à déterminer. Car jusqu'à présent, même ceux qui ne croient pas au "démon" chez nous cherchent tout de même à nous détourner de notre façon d'être, de nos traditions et au final de ce que nous sommes. Pourquoi donc ? Et pourquoi ce "démon" est aussi importants à leurs yeux ? Il faut dire que je ne comprenais pas non plus ce que c'était vraiment, pourquoi ils insistaient autant à vouloir trouver quelque chose de répréhensible chez nous. Je fronçais légèrement des sourcils.

"Ce "démon" dont parlent les vôtres, j'avoue ne pas en saisir la signification. Ni pourquoi venir le trouver chez nous est important et justifie de vouloir nous changer. Si les vôtres veulent juste fuir la maladie de vos terres, alors pourquoi vouloir nous changer et ne pas juste vivre leur vie ? Nous ne comprenons pas pourquoi ils ne nous laissent pas tranquilles alors qu'ils devraient déjà être assez occupés à survivre sur l'île. Est ce.... la peur de cette maladie qui rend les vôtres aussi fébriles, comme par peur de disparaitre ?"

Cela me faisait penser à certains animaux qui - acculés, pouvaient se montrer plus virulents et changer complètement, quitte à devenir destructeurs. Mes yeux interrogateurs étaient posés sur la Saul Lasser, en quête d'une réponse qui puisse expliquer un tel comportement. Peut être que j'aurais des réponses à certaines questions qui vont m'aider à comprendre ces étranges Saul Lasser.

La Saul Lasser s'exprima de nouveau, expliquant en effet que leur maladie était à l'origine de beaucoup de choses. A la mention de cette maladie qui semblait autant peser sur leurs esprits que sur leur âme, je ne pouvais qu'éprouver de la compassion pour eux.

"J'ai entendu parlé de cette maladie, oui. en tant que guérisseuse, je compatis réellement aux souffrances de votre peuple."

Je ne pouvais imaginer la peur qu'ils devaient éprouver devant cette maladie que personne ne semblait pouvoir guérir. En tant que doneigad, ressentir la souffrance de son peuple était un fardeau et je me demandais comment les guérisseurs de leur propre clan pouvaient s'en sortir moralement avec une telle plaie.

Je réfléchissais ensuite à ce que la renaigse avait dit par rapport à ce fameux démon. Cela remonte donc à des cycles très anciens, un passé douloureux pour leur peuple qui semble imaginer qu'un danger pouvait subvenir en venant ici.

"Donc... votre peuple craint que ces démons anciennement vaincus ne vivent ici ? Mhhh..."

Je me demandais vraiment si cette peur n'avait pas été galvanisée par celle de la fuite de la maladie. mais cela ne justifie pas pour autant leur comportement déplacé. Je ne pouvais malheureusement que faire ce constat.

"La... bienveillance forcée de votre peuple vient peut être d'un bon sentiment, mais reste mal placée. J'avoue ne pas trop aimer qu'ils pensent que cela justifie pleinement leurs actes irrespectueux envers nous et notre île."

Ils étaient irrespectueux non seulement envers notre culture, mais aussi nos croyances. La dénigrant, pensant être mieux placés que nous pour savoir ce qui est bon pour nous, alors qu'ils ne sont même pas capable de comprendre l'île et d'y survivre. La question était là d'ailleurs: sont ils vraiment capable de nous comprendre ? S'ils pouvaient ouvrir leurs yeux et voir qu'il n'y a aucun de leur démon sur notre île, cela résoudrait sans doute une bonne partie des tensions et de leurs attentions mal avisées. Mes yeux se posèrent sur la jeune femme avec une curiosité mais aussi une certaine appréhension.

"Cependant... est ce que votre peuple serait en mesure de nous laisser tranquille s'ils comprennent qu'il n'y a pas de démons ici ? Il faudrait alors en savoir plus sur ce que vous appelez démon, pour bien que la différence soit faite avec en Ol Mil Frichtimen. Mais.... reste à savoir s'ils vont véritablement écouter."

Rien ne disait que cela soit possible. Jusqu'à présent, les renaigses que j'ai rencontré et qui écoutent vraiment se compte à peine sur les doigts d'une main. Alors comment savoir si cela était possible pour tout les autres ? Pourquoi est ce qu'ils écouteraient, alors qu'ils peuvent se conforter dans leur peur et leur ignorance en groupe ? Mais ce qui était intéressant ici, c'était la Saul Lasser devant moi. Elle semblait avoir une vision assez.. positive mais candide d'En Ol Mil Frichtimen. Je souriais légèrement alors qu'elle disait le voir comme une entité bienveillante. La réalité était bien plus complexe que cela, mais je ne pouvais pas lui en tenir rigueur. Après tout, il faut des années et des années d'apprentissage pour comprendre ce que sont Tír Fradí et En Ol Mil Frichtimen.

"En tand que doneigad, je ne qualifierais pas En Ol Mil Frichtimen de pacifique et de bienveillant. Il possède de multiples visages et pour faire respecter l'équilibre peut montrer autant de violence que de bonté. Car s'il était réellement pleinement bienveillant dans le sens où vous l'entendez, nous n'aurions pas à craindre les prédateurs qui nous entourent. Il est... neutre, ni foncièrement bon, ni foncièrement mauvais envers nous."

Il était l'île, répondant à un équilibre délicat entre tout ce qui vit ici. Il y avait des règles à suivre pour que tout le monde puisse vivre en harmonie, respectant les caractéristiques de chacun, plantes ou animaux, prédateurs ou proies. Ce genre d'équilibre dont les renaigses ne semblaient avoir aucune conscience. Pour autant celle en face de moi semblait au moins savoir que l'ignorance était l'origine de maux tes que la peur et l'intolérance, et en cela j'opinais de la tête.

"Je suis d'accord avec vous sur le fait que l'ignorance mène à la peur, mais que faire quand les personnes en face ne veulent pas écouter, ou tout simplement entendre uniquement ce qui leur plait ? Votre volonté d'apprendre est tout à fait louable, mais qu'en est il de votre capacité à réellement écouter et voir ? Car si c'est uniquement apprendre pour conforter votre vision et ce que vous souhaitez comprendre, alors ce n'est pas un apprentissage digne des voglendaiga."

Mes yeux perçants se posèrent sur elle avec beaucoup de curiosité et de réflexion. Elle disait vouloir apprendre, savoir, et si elle disait vrai alors peut être qu'elle pourrait aider à éclaircir la situation auprès des siens. Mais... Etait elle vraiment une personne en qui je pouvais avoir confiance ? Je restais plutôt dubitative, connaissant le danger à accorder trop vite ma confiance. Ici il s'agissait de savoir de notre peuple, d'un savoir qui si partagé avec de mauvaises personnes pourrait mettre en danger les miens. Mon regard la sondait, et je restais silencieuse pendant quelques longues secondes, avant de penser de nouveau à voix haute.

"Mh... peut être que c'est à En Ol Mil Frichtimen d'en décider, de savoir si vous êtes vraiment capable d'écouter et de voir, d'apprendre sans laisser vos autres connaissances embrumer votre jugement.... Il y a... peut être un moyen."

Il y a toujours un moyen, voir plusieurs, d'avoir l'assentiment de l'île sur ce choix. Mais est ce que la renaigse sera capable de s'y plier ? De commencer d'une certaine manière son... apprentissage ?