Indiscrétions dans le marais - Raltyr

A chaque fois qu’un habitant du village sort pour aller voir les terres étranges, Raltyr ne peut s’empêcher de s’inquiéter. Enfin, sa mère dirait qu’il s’inquiète, lui n’accepte que de dire mentionner sa suspicion à l’égard des étrangers. Il ne montre rien de plus qu’un froncement de sourcil quand il apprend que quelques personnes s’en vont dans les villes. Ces villes qui ont soudainement poussé, Tir Fradi a été prise, sans vergogne et ils les renaigse ont installé leurs matériels, leurs objets étranges. Ils n’ont pas demandé la permission aux différents Máls. Ils se sont juste contentés de venir. Ral savait pourtant que la terre ne lui appartenait pas, qu’il ne pouvait décider qu’ils avaient le droit ou non, mais une entente préalable lui paraissait favorable. Bavard comme il était, il n’avait jamais évoqué cette dissension aux autres. Il avait été trop jeune pour réfléchir correctement. Maintenant, certains étrangers avaient même décrété qu’ils étaient persona non grata sur la partie de l’Île qu’ils habitaient alors qu’ils prenaient soin de Tir Fradi depuis des générations. Son côté survivaliste déclarerait cependant que la Nature n’avait pas besoin d’eux pour survivre, d’une certaine façon.

Il était facile d’obtenir des informations quand personne ne pensait qu’il les écoutait. C’était tout naturellement que lorsqu’il avait su que la jeune Cerys quittait le village aujourd’hui pour se rendre à San Matheus, il l’avait accompagné… Sauf qu’il ne lui avait pas demandé son autorisation. Comme pour beaucoup de choses, à vrai dire. Il préférait s’imposer que de lutter contre un refus. Il voulait observer les interactions entre les étrangers et eux, et être certain que Cerys était en sécurité. Bien évidemment il ne se l’avouait même pas à lui-même. Il était beaucoup trop têtu pour cela. Il préférai se cacher derrière la suspicion envers les étrangers que vers l’amour de son peuple.

Cela faisait un petit moment qu’il se baladait derrière elle. Il avait bien raison de la suivre. Elle ne l’avait même pas remarqué. Elle chantait même. Quelle idée, elle attirerait peut-être des créatures qu’il ne valait mieux pas énerver avec une mélodie. Enfin, il pouvait parler, son pied venait de faire craquer une branche assez bruyamment, le bois avait été séché. Il n’avait pas été repéré, mais il ne voulait pas non plus l’effrayer. Il marchait alors quelques pas supplémentaires, soulevant un grand feuillage avant de se montrer. Il se râcla la gorge.

« Nás ol targu to. Ce n’est que moi. »

Il ne connaissait pas personnellement Cerys. En même temps, il ne connaissait pas vraiment personne il était difficile de faire la conversation avec lui, il fallait vraiment être aussi borné que lui.

Raltyr observait les traits de Cerys se détendre. Sans doute devait-elle être soulagée de ne pas avoir un animal dangereux en face d’elle. En même temps si elle n’avait pas fait autant de bruit ! Le brun s’approchait doucement, restant à une distance tout à fait raisonnable, c’est-à-dire environ quatre mètres. En voyant ses sourcils se froncer, le guerrier était persuadé d’une sorte de méfiance. Raltyr n’avait jamais fait de mal à sa soigneuse et il ne lui en ferait sans doute jamais, excepté si elle s’en prenait à lui ou à quelqu’un d’autre, mais ce n’était certainement pas le genre. Affichant un air similaire, il ne pouvait pas lui en tenir rigueur.

En l’entendant lui demander s’il avait besoin de quelque chose, il réfléchit quelques instants avant de simplement annoncer.

« Non. »

La réponse était claire et net. Il ne cherchait pas ses soins. De toute façon, il n’était pas le genre à aller quémander cela, elle remarquait souvent d’elle-même qu’il était blessé, ou alors il se posait non loin d’elle jusqu’à ce qu’elle vienne l’observer. Il n’avait même pas besoin de parler. N’était-ce pas fantastique ? Elle était têtue à lui poser mille et une question. Il lui arrivait d’y répondre succinctement. Parfois.

Il savait qu’il ne pouvait pas se contenter de cette réponse simple. Il devait préciser son attention ou bien ils seraient bon pour se regarder une éternité en chien de faïence pendant des heures. Sauf si la patience de la demoiselle craquait avant. Il combla un peu le vide qui les séparait et avança de deux pas en sa direction.

« Je t’accompagne. »

Aucun argument. Aucune tentative de la convaincre. Il avait dit ce qu’il ferait et c’était tout. Il aurait pu sortir que la route était dangereuse, qu’il n’avait pas confiance en ces étranges, qu’il préférait assurer sa sécurité. Bien sûr que non, c’était bien trop simple. Le mieux était de se compliquer la chose en agissant comme un goujat.

Il lui adressa un regard dans le style bon on y va , souhaitant reprendre la marche, comme si sa simple phrase avait fait office d’acceptation et que Cerys s’y plierait… De toute façon elle ne pouvait pas l’empêcher de la suivre.

Raltyr pensait avoir été assez clair lorsqu’il lui avait dit qu’il l’accompagnait, cela sous-entendait évidemment qu’il savait ou la Volglendaig se rendait… Les rumeurs tournaient vite et Raltyr avait l’oreille discrète. Il parlait si peu qu’on ne faisait pas toujours attention à ce qu’on disait lorsque l’on se trouvait à côté de lui. Il plissa donc les sourcils à son interrogation, cherchant quelque peu ses mots même s’ils étaient courts et concis.

« Chez les -- »

Chose rare, la parole de Raltyr fût coupée, ou surtout il se tût dès qu’il entendît le cri caractéristique d’un lanvras. Il tourna la tête en direction du bruit, ne cherchant absolument plus à répondre à la question posée par Cerys. Non, ça ne l’arrangeait pas forcément, dépendant de son âge et de sa taille, le lanvras pouvait être abattu par un seul chasseur… Ou non. Souvent, ce n’était pas le cas et Raltyr préférait ne pas foncer tête baissée pour aller vérifier s’il s’agissait d’un jeune. Il ne préférait par ailleurs pas lui ôter la vie s’il n’était pas un danger ou s’il n’était pas obligé.

Il ne s’attendait pas à ce que la jeune femme vînt vers lui pour lui intimer de s’en aller, lui saisissant le poignet. Cela était plutôt son rôle à lui que de la protéger. En même temps, elle n’était pas sa soignée auto-désignée pour rien. Même fine et petite, elle était une forte tête à ne pas se douter et à laquelle il pliait lorsqu’il s’agissait de soins.

Ne se laissant pas faire pour autant, Raltyr prit vite le dessus, aidé par son allure plus rapide et ses grandes enjambées. Il lâcha son poignet pour la tenir par l’épaule, pouvant ainsi rester derrière elle plus facilement et la protéger si la bête venait à se montrer.

Repérant un arbre au tronc bien pratique et aux branches basses, le noiraud invita Cerys à s’y rendre.

« On grimpe. Je t’aide. »

Quatre mots. Efficace, sans lui demander son avis, bien qu’il détestât qu’on fasse cela auprès de lui, il la porta au niveau de la taille pour l’aider à attraper les branches et l’autorisait à mettre sa main sur son pied pour prendre appui. Une fois Cerys en hauteur, Raltyr eu bien moins de difficultés avec ses quasi deux mètres à prendre une branche solide pour se hisser et s’installer, attendant de savoir si le lanvras avait décidé de venir par ici ou non.

Il chuchota « Je t’accompagne chez les étrangers. » sans s’attendre à un refus de sa part. Enfin, était-ce sincère ou était-il dans un déni complet ?