[Mission] La Fausse note
Stella d'Oranet
C’est ainsi que Vaast pourra être mis sur la piste : une certaine Stella d’Oranet n’est toujours pas arrivée à San-Matheus, elle a simplement disparu sur la route. Qui est donc cette chanteuse pour être connue de tant de gens sur l’île ? Visiblement, il ne le saura jamais s’il ne va pas à sa recherche, car Ariel, trop accroché au secret bien thélémite, refuse d’envoyer officiellement qui que ce soit pour aller la retrouver. Or, les jours passent et la vie de la dévote d’Oranet pourrait être en danger. La Confrérie de l’Aube n’est d’aucune aide, c’est elle qui a fait s’ébruiter l’échec d’Ariel, mais, fidèles à leur crédo, ils n’iront pas porter assistance à une étrangère qui s’est probablement mise dans ce pétrin toute seule. Et puis c’est une trop belle occasion de montrer qu’Ariel pour tous ses grands discours sur la conversion n’est pas capable de faire venir une femme adulée, riche, et probablement sur protégée d’un point A à un point B sur une des rares routes carrossables de l’île.
Erika, quant à elle, en aura entendu parler durant un passage au Club des Agapes. On chante les louages d’Oranet, même si après un petit verre on s’amuse du fait qu’elle soit un peu préchi-précha. En apprenant qu’elle n’est jamais arrivée à bon port, quelques voix se sont élevées, inquiètes, mais les autres avaient le même refrain : il doit y avoir une grosse récompense pour retrouver la noble égarée. Peut-être même que les thélémites offriraient quelque chose d’autre que de l’argent, comme du ravitaillement. Ces pingres, ce ne serait pas du luxe dans une Nouvelle-Sérène où la disette menace et où on attend chaque nouveau navire du Continent comme l’aube après une longue nuit d’hiver. La pression se relâche alors momentanément sur les denrées dont disposent la ville… Mais pour encore combien de temps ? Beaucoup vont chercher ailleurs, font jouer leurs partenariats étrangers, mais Hikmet est fermée et San-Matheus plus mystérieuse pour de nombreux membres de la Congrégation. Alix a affirmé qu’elle pouvait tenir la barre pendant qu’Erika allait vadrouiller.
En tous les cas, Erika et Vaast s’ils ont remonté le même fil pourront se retrouver au même endroit. C’est l’aube du quatrième jour, la représentation a lieu ce soir-là et Frère Ariel ne pourra probablement pas retarder beaucoup plus longtemps l’aveu de son échec. Et que dira-t-il à la famille d’Oranet ? Ce sera une débâcle politique, à n’en point douter. Le fil mène dans les quartiers réservés à la diva, un bâtiment entier logé pour elle, devant lequel certains admirateurs ont déposé des fleurs ou des mots, lavés par une pluie battante durant la nuit. Tout est en simplicité, puisqu’on se trouve à Thélème, et certains semblent même prier pour sa sécurité car des têtes de tournesol, fleurs protectrices par excellence car associées au soleil, sont parmi le lot des quelques bouquets.
A la fenêtre du logement, il y a un homme qui regarde nerveusement au dehors, et s’il aperçoit une ou deux silhouettes observer le bâtiment rien que plus qu’en passant, il sort et lance :
- Madame d’Oranet ne reçoit personne ! Non, elle n’embrassera pas votre chapeau ! Elle ne touchera pas votre chapelet !
Il a la voix enrouée, comme s’il avait trop crié sur tous les pauvres passants, et est déjà essoufflé après sa réplique. Il tapote un mouchoir sur son visage largement attaqué par ces mélanges acides dont certains membres de la Congrégation aiment se peinturlurer la face. On dit que cela supprime les imperfections, mais la peau du pauvre homme a l’air totalement desséchée, rêche, presque cassante. Il est habillé à la dernière mode de Sérène mais il a raté un bouton en attachant sa veste, comme dans la précipitation.
Dans tous les cas, Erika était ici pour proposer son aide et enquêter sur la disparition de cette femme. Elle supposait que Thélème avait peut-être déjà envoyé une équipe à sa recherche – elle espérait du moins, ça paraissait être la moindre des choses – mais elle devait se rendre utile. Elle en avait discuté avec Alix, c’était une bonne occasion de pouvoir mettre en place des avantages pour la Congrégation. Pour une fois son objectif ne regardait plus vraiment sa petite personne mais elle voyait plus grand. Ce qui profitait à la ville profitait à elle. C’est pourquoi, à l’aube, elle était arrivée a San Matheus et ses pieds foulaient les pavés de la ville. Erika n’était pas du tout à la mode de Thélème, elle avait des bottes noires qui remontaient juste en dessous de son genou, un pantalon noir et une chemise d’un blanc cassé rentrée dans le pantalon. Un tissu vert vient cassé la monotonie de sa tenue en servant de ceinture et elle avait revêtu une veste noire également, ainsi que qu’un chapeau vissé sur sa tête, comme à son habitude. Elle avait décidé, après quelques recherches de son côté de se rendre là où était attendu Madame d’Oranet. Après tout, il fallait d’abord voir son employeur.
C’est ainsi qu’après avoir marché – et s’être perdue ne connaissant absolument pas la ville – qu’elle arriva devant le bâtiment sensé accueillir la chanteuse. Elle s’approcha et observa les fleurs et mots déposé devant la bâtisse qui lui permis d’être sûre que cette fois, c’était le bon bâtiment. Elle se recula de quelque pas afin de voir s’il y avait de la lumière avant de toquer et vit un homme qui lui lança qu’Oranet ne recevait personne et qu’elle n’embrassera ni son chapeau ni ne touchera son chapelet. Une chance qu’elle n’ait pas de chapelet, se dit Erika, et que personne ne touche à son chapeau ! Elle leva légèrement les yeux au ciel et leva les yeux vers l’homme en question.
- Bonjour !
Lance-t-elle à voix haute avant de marmonner un « pour commencer ». Erika n’aura aucun mal à se faire entendre. Le pauvre homme semble avoir crier comme ça depuis plusieurs heures et au moins, elle suppose qu’Oranet n’est pas arrivé à bon port par miracle pendant la nuit, sinon pourquoi crier ça toute la nuit, et qu’on n’a pas ébruiter le fait qu’elle avait disparu. Elle s’adressa de nouveau à l’homme en regardant à droite et à gauche.
- Je ne suis absolument pas là pour ça, encore moins pour qu’on embrasse mon chapeau. Je viens vous proposer…mon aide, mais peut être pourrions-nous parler de tout ça à l’intérieur et pas en hurlant à travers une fenêtre. Vous avez l’air d’avoir d’être déjà exténué par tout ça.
Si on n’avait pas ébruité le fait que l’invitée n’était pas arrivée, ce n’était peut-être pas la peine de hurler dans la ville qu’elle était là pour enquêter sur sa disparition. Elle montra la porte du menton, les mains dans ses poches et un sourire figé sur son visage.
La fausse noteFeat Erika
Décidément, tout le monde n’avait que d’Oranet à la bouche, ces temps-ci. Vaast en aurait bien plaisanté, mais lui aussi avait des raisons de se plaindre de la cantatrice. Il avait invité Alix tout exprès pour la représentation de ce soir et des rumeurs tenaces affirmaient que ce serait un scandale pour Ariel si la cantatrice ne montait pas sur scène.
D’ordinaire, l’inquisiteur se serait surtout intéressé aux retombées politiques. Frère Ariel, si fier d’avoir le bras long, si cultivé, se relèverait difficilement d’un pareil fiasco. Et bien sûr, la Confrérie de l’Aube n’était que trop heureuse de le voir en situation d’échec.
Mais aujourd’hui, Vaast ne se préoccupait que d’une chose : les excellentes places qu’il avait obtenues et qui ne serviraient à rien si d’Oranet était perdue sur les routes et réduite à chanter la sérénade aux loups pour ne pas qu’ils la mangent.
Alors il avait embrassé Alix, affirmé qu’il allait juste voir où en étaient les préparatifs pour le spectacle, et avait enfoncé son chapeau sur sa tête. Deux anneaux dans la poche intérieure, il se dirigeait maintenant d’un pas décidé vers la demeure où la cantatrice était attendue.
Vaast fit la moue en arrivant devant la maison : Stella d’Oranet n’était visiblement toujours pas arrivée. Le type de la Congrégation qui hurlait était là pour le prouver. Si elle avait réellement été à l’intérieur, occupée à se pomponner, frère Ariel aurait insisté pour qu’elle fasse une apparition publique. Histoire de prouver que tout allait bien et qu’il avait la situation en main.
Vaast jeta un coup d’oeil à la rousse non loin qui répondait et… jeta un deuxième coup d’oeil.
Une femme de la Congrégation, elle aussi. Elle ressemblait fichtrement aux descriptions qu’Alix faisait d’Erika, au point que Vaast s’inquiéta : Alix avait-elle de son côté entendu parler de la disparition de la chanteuse ? Avait-elle songé que Vaast était trop empoté pour résoudre le problème et avait-elle envoyé Erika à la place ?
Il s’approcha de la femme et décida de vérifier sa théorie sur le champ. Au pire, il prétendrait l’avoir confondue avec quelqu’un d’autre.
-Madame Acquisto ? lança-t-il d’une voix aimable. Vous recherchez madame d’Oranet également ?
Stella d'Oranet
- Rentrez, rentrez.
Il s’exclame sans se soucier de si les deux se connaissent. Il referme la porte derrière eux.
- Ma pauvre Dame… Il est si tôt…
… absolument pas…
- Et sans son infusion au citron de Khorshid et à la canneberge d’Aspielgo, elle s’abime la gorge ! Et elle ne peut pas parler avant au moins 10h ! Au moins ! Elle ne peut que chuchoter ! Comment voulez-vous qu’elle appelle à l’aide dans ces conditions ?!
L’homme tempête, fébrile. L’intérieur est très bien décoré, même un peu ostensiblement pour une demeure thélémite. Ariel n’a visiblement lésiné sur aucune dépense. Singulièrement, de petits coussins sont posés à différentes hauteurs sur les meubles, bien trop étroits et parfois bien trop hauts pour être réservés à un humain. Un chat ? Un oiseau ? Autre chose. Il n’y en a pas trace. Le plancher est impeccable, pas un mouton de poussière n’ose voler dans l’air ou s’attarder sur les boiseries laquées.
L’homme ne demande même pas à Erika et Vaast s’ils sont véritablement là pour aider et vient de toute façon de vendre le poteau rose tout seul à babiller. Mais il semble avoir un grand besoin de parler.
La jeune femme se retourna naturellement pour répondre à la personne qui l'avait saluer, avec un grand sourire. Pendant une petite seconde elle avait oublié où elle se trouvait. A Nouvelle-Sérène il n'était pas rare qu'on la salue dans la rue, non pas que c'était une diva mais sa taverne brassait beaucoup de visages différents et Erika s'appliquait à s'en rappeler un maximum. Mais au moment où ses yeux se posèrent sur l'homme devant elle, elle revint à San Matheus et elle n'avait aucune idée de qui l'avait salué. Elle regarda le blondinet de Thélème de la tête au pied. Elle avait beau chercher dans sa mémoire il ne lui disait absolument rien. Bah, peut être était-il dans la même pièce un soir et on lui avait parlé d'Erika, soit, ce n'était pas très grave.
- Bonjour ! dit-elle d'un ton tout à fait amical. C'est cela oui. Je vous propose d'en discuter plus une fois à l'intérieur.
Erika ponctua sa phrase par un hochement de tête un peu sec. Même si elle essayait d'être plutôt amicale, elle avait toujours un certain rejet des membres de Thélème. Des clichés sûrement idiot elle en convenait, mais ils avaient eu le temps de germer et de s'accrocher. Elle amorça la marche et entra dans la demeure tout en réfléchissant à où elle avait pu rencontrer cet homme qui, visiblement, l'avait déjà vu pour pouvoir la reconnaître dans la rue.
- Son infusion au citron de Khorshid et à la canneberge d'Aspielgo, je comprend pourquoi c'est si préoccupant.
Erika répond en se calquant sur les sentiments de son interlocuteur. Elle parait sincèrement navré et presque aussi inquiète que lui. En entendant les ingrédients, elle se dit que visiblement, on ne se refusait rien. Depuis des années Erika se renseignait sur les différents produits de Gacane et plus récemment de Teer Fradee, que ce soit pour ses établissements ou simplement par curiosité lors de discussion, et ces deux là n'était pas des moindres. Elle se demandait même comment elle avait fait pour en avoir sur l'île. Elle devait avoir des contacts bien intéressant.
- C'est terrible, je comprend votre désarroi.
L'intérieur était si bien décoré et entretenue qu'elle n'osa même pas s'asseoir n'y même trop avancer dans la pièce sans y être invité. Elle resta debout à regarder l'homme dans tous ses états.
- Peut être devrions nous commencer par nous asseoir et respirer un bon coup.
Elle posa sa main sur l'épaule de l'homme afin d'essayer de le canaliser. Elle serait prête à lui donner un câlin si il en avait le besoin, tant qu'il se calmait pour discuter ensuite.
Erika prit quelques secondes pour réfléchir à la situation. Elle allait avoir avec elle un homme de Thélème. C'était bien plus intelligent qu'ils travaillent ensemble, surtout qu'il semblait toujours la connaître. Elle n'ajouta donc rien d'autre, elle préférait donner l'impression que les deux personnes se connaissaient - ce qui était vrai pour au moins un des deux - et ne pas paniquer son interlocuteur en lui montrant que la disparition de la dame s'était ébruitée sur toute l'île.
La fausse noteFeat Erika
Puisqu’on l’y invitait, Vaast ne se fit pas prier pour entrer.
Il se retint de rouler des yeux au discours du serviteur et observa plutôt son environnement. A quoi servaient donc tous ces coussins ? Et ces tableaux ? Ces bouquets de fleurs enrubannés ?
Vaast songea qu’il paierait cher pour voir la maison de frère Ariel et se tourna vers les deux autres personnes présentes. Apparemment, Erika ne l’avait, elle, absolument pas reconnu. Il tâcha d’ignorer son pincement au cœur. Alix avait bien raison de ne pas parler de lui à ses amis. C’était plus prudent.
-Vaast, se présenta-t-il à mi-voix. Je suis un ami d’Alix, elle m’a parlé de vous.
Il retira son chapeau et la laissa baratiner le serviteur sans les interrompre. Elle s’en sortait visiblement très bien pour l’amadouer. Il se contenta de tirer une chaise, puisqu’elle proposait qu’il s’asseye, et alla même lui chercher un verre d’eau. Respirait-on seulement bien sous toutes ces couches de fard ?
-Je n’ose imaginer votre désarroi, monsieur, lança-t-il enfin. Le Lumineux seul sait à quelles conditions madame d’Oranet doit présentement survivre !
Il partait du principe qu’elle avait bel et bien disparu, puisque l’homme avait parlé d’appeler à l’aide. Et puisque c'était Ariel qui avait lancé l'invitation, autant mettre les pieds dans le plat.
-Je suis frère Vaast, de l'ordre des missionnaires, et voici madame Acquisto. Nous sommes sur l’île depuis quelque temps maintenant et nous avons souhaité nous porter à votre secours. Vous êtes sans doute la personne à qui s’adresser si l’on souhaite ramener madame d’Oranet saine et sauve.
Pérégrinations
- Oh ! Le Lumineux soit loué !
S’exclame l’homme alors que Vaast dit être de l’ordre des missionnaires.
- Je vous croyais, mon bon monsieur, j’en suis bien navré, je vous croyais un de ces rapaces qui viennent à ma porte me croyant trop sot pour bien savoir ce qu’ils veulent. Ah mais vraiment, cela ne compte plus ! Non ! La politique ne compte plus ! Si l’un d’entre eux m’avait proposé son aide j’aurais même… accepté, je vous le dis madame ! Je sais fort bien les préconisations de Frère Ariel, mais enfin c’est de l’art que l’on parle !
Un croyant qui ne peut ne pas se préoccuper de politique… Ce doit être ceux que Thélème a réussi à convertir dans la Congrégation, probablement même pas un homme de Peren. Quelle vie doivent-ils mener, lorsque leur prêtre n’est guère plus qu’un homme d’Eglise pour eux et non le dirigeant de leurs existences ?
- Madame d’Oranet a pris la route, cela j’en suis sûre, car elle m’a fait parvenir toutes ses instructions pour que le diner de Dirodanello soit servi à l’heure exacte de son arrivée ! Le messager s’est dépêché ! Et j’ai attendu, la nuit tombait, et quand a sonné les coups de 20h ! Pas de Madame d’Oranet ! Ma pauvre dame ! Elle a suivi la route, pourtant, quelqu’un l’aurait vu si un accident lui avait arraché une roue… A la calèche ! Pas à elle ! Misère de misère ! Imaginez qu’elle soit blessée ! Imaginez que Dirodanello le soit ! Peut-être a-t-il de la fièvre. Oh ! Le pauvre animal ! Avez-vous vu la taille des puces que l’on trouve ici ? Ce sont de véritables balles de fusil ! Et elles vous tombent des arbres de la même façon !
Il reprend quelques inspirations, ses joues rougies malgré son maquillage.
- Il n’y avait qu’un détour mais…
Alors que l’homme touchait son nez pour en déloger un peu de sueur, il relève soudainement les yeux pour fixer Vaast.
- Monsieur Ariel vous envoie-t-il ?
C’est une drôle de question, soudainement mais malgré la volubilité de l’homme jusqu’ici, il a évidemment maîtrisé cet art des hautes sphères de la Congrégation. Impossible de savoir s’il attend une réponse positive ou négative, l’on dirait simplement qu’il vient de se rappeler de ce détail. Espère-t-il qu’il vienne de la part d’Ariel, pour le traiter d’une façon particulière ? Son ton courtois le sous-entendrait… Mais la brusquerie dans la façon dont le sujet est abordé est étrange. Au moins cela semble avoir calmé l’homme. Il se redresse et vient délicatement faire un baise main à Erika, sans, évidemment, réellement toucher sa peau de ses lèvres.
- Madame, mon émoi m’a retiré toute étiquette. A qui ai-je l’honneur ?
Elle est de toute évidence d’une station inférieure à la sienne, il ne la traite pas avec mépris pour autant. Du moins pas ouvertement. Son statut l’en empêche pleinement, surtout alors qu’il va probablement lui demander une faveur. Rien n’est gratuit dans la Congrégation…
Elle écoutait d'abord Vaast puis l'homme qui se laissa tomber de sa chaise. "L'ordre des missionnaires" c'est qu'Erika n'était pas tombé sur un simple habitant de Thélème, elle se sentait quand même rassuré de la nouvelle. Erika s'était rendu compte depuis quelques temps que les aventures, elle préférait les écouter que les vivre mais celle-ci, elle l'avait choisi pour son bénéfice et elle n'avait pas réfléchi aux risques de potentiellement chercher d'Oranet en plein milieu de l'île...elle songera a y réfléchir la prochaine fois.
L'homme avait tellement enchaîné ses paroles qu'il l'avait totalement transporté dans son résumé de la situation et elle était presque déçue qu'il s'arrête alors que sa phrase annoncé LE moment de l'histoire, c'est à dire ce fameux détour. Erika se laissa prendre la main même si elle priait secrètement qu'une goutte de sueur ne tombe pas sur cette dernière. Elle garda son sourire de façade figé sur ses lèvres. Devait-elle mentir ou non sur son identité.
- Je suis Erika Acquisto de la Congrégation Marchande et plus précisément de la Garde du Denier.
Ce n'était pas totalement vrai, mais ce n'était pas totalement faux non plus. Elle n'était pas sûre que dire qu'elle était la patronne de la taverne rassurerait la boule de stress humaine qui se tenait devant elle. Cela étant, être de la garde peut ne pas être pour rassurant pour autant. Elle failli ajouter qu'elle était venu pour l'aider mais préféra garder le silence. Il valait mieux qu'il fasse sa demande clairement avant toute chose afin de pouvoir négocier si besoin. Elle s'est présentée mais il lui demande de l'aide. Elle inclina la tête pour accompagner sa présentation.
La fausse noteFeat Erika
Vaast sourit à l’homme pour gagner une unique et précieuse seconde de réflexion.
Il pouvait dire que oui, Ariel l’envoyait, ou c’était tout comme. S’il retrouvait vraiment d’Oranet, le diplomate ne serait que trop heureux d’en retirer tout le crédit. Sa position au sein des missionnaires serait sans doute renforcée.
D’un autre côté, il n’avait aucune garantie. S’il échouait, Ariel ne le couvrirait pas, il pourrait même se servir de lui pour justifier son échec - la cantatrice perdue ? Qu’on ne s’étonne pas : un missionnaire a osé mentir en mon nom et a tout compromis !
-Non, monsieur. Je suis venu de mon propre chef. Je n’aurais pu me le pardonner - s’il arrivait quelque chose à madame d’Oranet alors que j’aurais pu y faire quelque chose… Je suis tout à fait versé en magie, comprenez-vous.
Son ton était léger, cordial, et il laissa Erika se présenter avant d’enchaîner :
-Voyez, madame doit connaître la moitié de Nouvelle-Sérène. A nous deux, nous arriverons sans aucun doute à tirer madame de ce mauvais pas. En toute discrétion, bien sûr. Notre priorité est qu’elle puisse retrouver vos bons soins saine et sauve.
Que de pommade… il pouvait presque entendre les accents persuasifs de Domnius dans sa propre voix.
to play without passion is inexcusable. »
- Madame affectionne tout particulièrement une grotte où l’acoustique est – permettez-moi le calambour, cher Frère missionnaire – divine ! Pour sûr, elle s’y est rendue.
Il ne commente pas davantage sur sa question précédente. Pourquoi a-t-il demandé cela à Vaast ? L’inquisiteur a-t-il répondu correctement ? En tout cas, il a une réponse, mais une requête la suit bien vite :
- Il faut que cette affaire soit traitée avec beaucoup de tact, entendons-nous. Madame n’aime pas qu’on évente ses affaires privées ou qu’on vienne la déranger ! C’est une femme très… pudique et qui tient chèrement aux valeurs de la Congrégation.
En somme ; il essaie soit de passer le message qu’elle est neutre et n’a pas envie de devoir son secours à qui que ce soit, car participer à un évènement est une chose mais se perdre bêtement dans une grotte peuplée par on ne sait quoi pour être secourue la rendrait publiquement redevable. Ou, il indique qu’il y a un vilain secret avec cette grotte et que la pieuse Madame d’Oranet ne devrait pas être vue en train de pécher, car ce qui est derrière les portes closes y restent dans la Congrégation. Peut-être les deux. Qu’en sait-on avec les congrégationnistes ? Et cette femme, riche, adulée, est-elle vraiment allée dans une grotte qui, lorsque l’homme dégaine une carte pour tapoter la zone, est clairement à une bonne trentaine de minutes de marche de la route principale. Personne ne l’entendrait appeler à l’aide de là, pas étonnant qu’on n’ait pas vu sa calèche si elle a pris un tel détour ! On s’approche de la côte Nord-Ouest de Teer Fradee, et si Erika ou Vaast savent quoi que ce soit, rien parce qu’Alix s’en est régulièrement plaint pour avoir campé longtemps à l’Ouest de Nouvelle-Sérène, les grottes côtières regorgent d’essaims d’énormes chauve-souris. Alix les a peintes comme suçant le sang et pouvant cracher du poison, mais sûrement, elle devait plaisanter. N’est-ce-pas ?
La fausse noteFeat Erika
Au soupir de soulagement de l’homme, Vaast songea qu’il ne s’était pas trop mal débrouillé.
-Bien sûr, répondit-il par automatisme.
Une grotte ? Il regarda la carte qui venait d’être dégainée. Ce n’était même pas proche de la ville. Pire, il n’était pas prêt d’oublier les avertissements d’Alix sur ce qui peuplait le coin. Il se félicita d’avoir pris ses anneaux et pria pour que les bestioles, s’il y en avait bel et bien, soient réceptives à ses arguments.
-Cela va sans dire, monsieur. Vous n’avez aucune inquiétude à avoir.
Il ne s’agissait pas non plus d’être pris pour un valet qui se ferait essuyer les pieds dessus pour faire plaisir à quelques nobles de la Congrégation, alors il ajouta :
-C’est loin d’être la première fois que je suis impliqué dans une affaire qui requiert de la discrétion. Nous partons sur l’heure.
Il avait déjà plusieurs théories sur d’Oranet et n’avait qu’une hâte, voir laquelle se confirmerait. A en juger par ce qu’il avait vu jusque-là, la cantatrice était probablement une créature sociale, une mondaine pomponnée qui n’avait jamais prié le Lumineux que dans des églises à la Peren. Il avait vu un jour un crucifix fait de pierres semi-précieuses et songea qu’il ne serait pas surpris si c’était ce genre-là que d’Oranet avait sur elle.
S’il avait raison, comment une telle femme avait-elle eu même l’idée de s’écarter de la route en quête d’une grotte ? Etait-elle simple d’esprit ? Une amante lui avait-elle donné rendez-vous ? Y retrouvait-elle un contrebandier ?
Il fit signe à Erika de le suivre et, après avoir poliment pris congé, inspira à pleins poumons l’air frais dans la rue. La journée, avec un peu de chance, serait belle. Mener l’enquête dans la boue serait nettement moins amusant.
Inutile de prendre trop de gants avec la tenancière. Elle était assez maligne pour avoir tiré ses propres conclusions, il n’en doutait pas.
-J’ignore ce qu’elle est allée fabriquer dans cette grotte, mais ça n’augure rien de bon. Il va falloir marcher - ou louer un véhicule pour gagner du temps.
- Une grotte ? Mais quelle charmante idée.
Erika le prononçait comme si elle le pensait réellement...Mais quelle idée d'aller s'aventurer dans une grotte pour l'acoustique ! Elle eu envie de se passer les mains sur le visage mais elle ne fit rien et garda un visage conciliant.
- En effet, comme à dit ce beau jeune homme, nous ferons tout notre possible pour que l'affaire reste entre nous. Tu parles. Et soyez sans crainte, venant de la Congrégation je ne peux que comprendre son attachement aux valeurs de cette dernière.
Si sa phrase était dans un ton tout à fait conciliant et se voulant réconfortant, Erika prononça le mot "valeur" avec une légèrement insistance et un sourire entendu.
Ce n'était pas l'endroit pointé par le doigt de l'homme qui la décrispa, cela eut plutôt l'effet inverse. Elle avait déjà entendu Alix en parler et elle déglutit en y pensant. Lorsque que le blondinet lui fit signe, Erika le suivi sans problème.
Elle se demandait ce que pouvait bien cacher cette dame pour se rendre dans une grotte, et ce n'était certainement pas l’acoustique, ou alors il fallait vraiment être totalement cruche mais ça, elle en doutait.
Une fois dehors elle poussa un long soupire et remis son chapeau sur la tête qu'il fasse beau ou qu'il pleuve, elle sera tout de même un minimum protégée. Elle pris enfin le temps de toiser Vaast. Un ami d'Alix donc.
- Je suis d'accord, il faudrait être totalement inconscient pour partir vadrouiller ainsi uniquement pour de l'acoustique.
Elle chassa l'air de la main. La jeune femme avait, comme d'habitude, des gestes d'une certaine théâtralité qui semblait autant forcé que naturel. Peut être était-ce les deux. Elle claqua des mains.
- Le véhicule serait le mieux. Au fait, maintenant que nous avons un peu de temps. Je suis désolée mais Alix ne m'a jamais parlé de vous. Vaast, c'est bien ça ? Je suis Erika Acquisto mais vous le savez déjà. Si vous êtes effectivement un de ses amis, elle vous a peut être parlé de certaines de ses expéditions là bas. Il vaudrait mieux ne pas perdre trop de temps quit à interrompre le concert privé de cette femme dans sa jolie petite grotte.
Elle leva les yeux au ciel avant de s'étirer un bon coup en pensant à la suite de l'histoire.
- Si vous permettez, je vais vous suivre. Je ne connais pas encore bien San Matheus, je n'y suis pas allée souvent.
La fausse noteFeat Erika
Vaast ne savait pas de qui Erika se moquait le plus - leur interlocuteur ou lui. Au moins abandonna-t-elle son ton chaleureux une fois dehors, à défaut de ses effets de manche.
Et voilà qu’elle remettait Alix sur le tapis. Il inspira.
Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de répliquer. Alix, ne pas parler de lui ? Évidemment, leur relation avait été secrète jusqu’à ce qu’elle soit officiellement de la Congrégation ! Qu’en savait Erika, elle qui habitait la taverne où la joueuse de cartes passait tant de temps ? Elle pouvait la voir en plein jour tous les jours. Elle n’avait même pas besoin de lui écrire ou d’apprendre la langue des signes dans un livre - pourquoi faire ? Alix était là, à côté, à portée de main.
Il se passa une main sur le visage.
-Oui. Vaast. Elle m’en a parlé, en effet.
Voilà. C’était court, concis, il ne donnait pas d’ouverture à une humiliation supplémentaire. Il avait très envie d’ajouter qu’Alix était probablement dans son lit à faire la grasse matinée à l’heure où ils parlaient… mais il se retint.
-Pas de soucis.
Il ajusta son chapeau et guida Erika dans les rues de la ville, encore calmes à cette heure matinale. Il ne mit pas longtemps à trouver ce qu’il cherchait : le quartier, proche des portes, où les marchands itinérants s’installaient quand ils venaient en ville. Il y avait là plusieurs de ces gros animaux, il avait oublié leur nom… Peu importe.
Il accosta un des marchands, qui venait apparemment de Nouvelle-Sérène. Vaast marchanda rapidement. Il connaissait suffisamment les coutumes de la Congrégation pour être rapide et efficace, et quand les pièces d’or changèrent de main lui et leur cocher improvisé semblaient tous deux satisfaits.
-Monsieur va nous amener près de la grotte, annonça-t-il à Erika, mais il faudra faire la fin du chemin à pied. Il ne connaît pas bien les parages et ne voudrait pas s’embourber.
Il grimpa à bord, tendit la main à la tenancière pour l’aider à faire de même, et attendit que le marchand attèle sa bête. Enfin, la caravane s’ébranla et quitta San-Matheus.
Elle gardait son idée en tête, elle se tiendrait sur ses gardes mais elle voulait sonder cet homme, être sûre qu'il ne voulait du mal ni a elle, ni à Alix.
Après quelques secondes, Erika retrouva son sourire et lui emboîta le pas gaiement. Pendant le court laps de temps, Erika eu le temps de raconter à Vaast comme Nouvelle-Sérène était différente, que même le matin il y avait déjà des gens dehors et d'autres comparaisons. Elle n'émettait aucunement l'idée que la ville de la Congrégation Marchande était mieux que San Matheus, elle relevait juste les changement d'une ville à une autre.
Elle resta derrière le thélèmite quand celui-ci échangea les pièces contre leur cocher. Voilà une affaire rondement menait, pas un sous était sortie de sa bourse et cela l'enchantait. Elle comprenait pourquoi il pourrait être l'ami d'Alix.
- Ah ! C'est parfait, ce sera déjà ça de gagné et un peu de boue sur les bottes n'aura jamais tué quelqu'un...Quoi que sur cette île il faudrait se méfier.
Elle ria de bon cœur et saisi la main tendue de Vaast en portant l'autre main sur le haut de son torse, mimant qu'elle était très flattée. Une fois assise, et sur le trajet, la rouquine discuta tout le long du trajet de tout et de rien, surtout de rien que ce soit avec le cocher, avec Vaast ou même seule.
to play without passion is inexcusable. »
On amènera donc le duo au plus proche de la grotte, jusqu’à ce que le sol devienne tellement détrempé qu’il soit impossible pour le cocher d’aller plus loin. Il a tant plu ces derniers jours qu’on distingue certes des traces mais elles sont difficiles à discerner. On a en tout cas piétiné la terre, à plusieurs reprises. Etait-ce un animal ? Des animaux ? Un groupe de personnes ? Difficile à dire.
Erika et Vaast peuvent se diriger vers la côte, autour d’eux se découpe un paysage d’affleurements sédimentaires. La pierre ressemble en des endroits à un mille feuilles géant qui prend les formes les plus étranges, plié, plissé dans tous les sens. La végétation est plutôt éparse, tordue par le vent qui vient de la mer. On sent les embruns d’ici, on a l’impression d’un grand corridor qui descend, qui descend, en pente douce et mène à… la grotte, probablement. La symétrie est à noter, elle est rare dans la nature, et donne l’impression que si on mettait un tapis par terre, on se trouverait dans le hall de quelque bâtiment. Car on aperçoit la falaise où est fichée la grotte d’ici. Elle est haute et pâle, à des endroits d’un blanc si pur que le soleil qui la touche en devient éblouissant. Elle s’élance vers le ciel comme la flèche d’une cathédrale, le mat d’un navire. Elle est couverte d’une mousse qui s’entortille en entrelacs presque parfaitement ronds, semblables aux marques des Natifs. C’est à sa base que doit se trouver la grotte mais avant de l’atteindre, Vaast et Erika ont d’autres chats à fouetter que d’observer les miracles de la nature.
Il y a une calèche, une sorte de carrosse même, très décoré. Il se trouve sur le côté, sous un épineux petit mais dont la taille du tronc indique qu’il a probablement plusieurs siècles. L’attelage composé dandrigs paisse tranquillement tout près de cette voiture aux courrois massives, aux rideaux rouges, aux hautes rouges peintes, à présent couvertes de boue.
Dans la calèche se trouve non pas une noble dame de la Congrégation mais un Natif, entre deux âges. Il a le cheveux longs, noirs comme ses yeux dont la simple paupière est soulignée d’une peinture que Vaast peut connaître : il appartient au clan qui occupe Vigsoneigad. Assis là, il a surtout l’air las. Il dit quelque chose en Natif aux dandrigs avant de pousser un soupir. C’est un drôle de spectacle, à n’en pas douter. Le Natif est habillé de peaux pour l’été, qui soulignent une carrure athlétique mais il n’est pas armé, et ne porte aucun objet appartenant de près ou de loin à un étranger. La calèche a l’air intouchée, si ce n’est qu’il est assis sur le rebord du marche pied. La porte est simplement ouverte mais on distingue encore des bagages fermés à l’intérieur.
Bon, maintenant qu'ils étaient lâchés dans la nature, il fallait se montrer prudents. Heureusement, cette fois il faisait jour.
- Vous connaissez un peu l'île ? En dehors de la ville j'entends.
Elle espérait parce qu'elle n'y connaissait pas grand chose, elle. Elle avait remarqué les traces dans la boue mais elle n'était pas particulièrement une bonne pisteuse, donc ça ne l'aurait mené a rien de les examiner plus que ça et surtout elle regardait le paysage qui s'ouvrait devant elle mais n'eut pas particulièrement le temps. En effet, autre chose attirait son attention alors qu'ils avançaient.
Une calèche était laissée sur le côté de la route. Erika resta figée quelques instants, voyant les dandrigs qui eux, semblaient bien calme. Elle ne s'y ferait jamais a ces nouveaux animaux. Elle avait toujours l'impression qu'ils allaient lui sauter dessus sans prévenir. Elle continuait d'avancer prudemment et remarqua, une fois que ses yeux avaient réussi a se détacher de ces deux bestioles, le Natif qui lui aussi ne semblait pas agressif, pour le moment. La dernière fois qu'elle avait eu a faire avec une natif, elle avait eu l'impression qu'elle allait se prendre un coup de hache chaque seconde qu'elle passait a ses côtés.
Enfin bref, ce qui était sûre c'est qu'il était là ou dame d'Ortian n'était pas, et qu'elle doutait que ce soit lui qui avait voyagé avec cette calèche toute rouge. Elle ne savait pas si il allait la comprendre mais il fallait bien essayer de discuter. Il avait peut être des informations.
Elle leva légèrement ses mains pour montrer qu'elle venait amicalement.
- Bonjour ?
Elle accompagna son bonjour par le signe qu'Alix lui avait appris. Elle savait très bien qu'il ne comprendrait pas ça, c'était plus un réflexe qu'autre chose de tenter tous les moyens de communication qu'elle connaissait.
- Je suis Erika Acquisto, de la Congrégation Marchande, et voici Vaast, de Téhlème. Pouvons nous discuter ?
Elle était relativement calme, ce qui l'angoissait le plus était les créatures à côté. Elle accompagnait ses paroles par des gestes, mais pas des signes cette fois, elle se montrait puis montrait Vaast et souri chaleureusement en attendant la réponse. Elle faisait tout pour ne pas donner l'impression d'être hostile.
La fausse noteFeat Erika
Vaast sauta à terre dès que leur cocher signifia qu’il ne pouvait aller plus loin. A vue de nez, ils avaient tout de même gagné quelques heures, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
-Un peu. Mon équipe voyage souvent, répondit-il à Erika.
L’inquisiteur n’avait encore jamais trop exploré les alentours directs de San-Matheus. Il commençait à s’habituer à la terre, aux bruits incessants de la nature, aux arbres innombrables et impossibles à différencier ; mais la pierre attira brièvement son attention. Il n’en avait encore jamais vue de pareille. Ou alors, il n’y avait pas fait attention jusque-là.
Il prit une grande inspiration de l’air marin. Le sol était détrempé. Il indiquait certes que des gens ou des animaux étaient venus récemment, mais ça n’allait pas les avancer. Non, ce qui allait plutôt les intéresser, c’était la calèche embourbée.
Il s’arracha à regrets à la contemplation de la falaise. Il n’était plus aussi surpris que la cantatrice ait voulu entrer et espéra qu’ils seraient encore là à midi, pour voir le soleil se refléter sur la flèche.
Il s’arrêta, interdit, en voyant la personne assise sur le marchepied. Les peintures sur son visage lui étaient familières - Vigsoneigad. Pas d’armes. Bagages non ouverts.
Les Natifs étaient donc impliqués, mais visiblement ils n’étaient pas venus en pillards. Avait-on demandé à cet homme de servir de guetteur ? Non, il aurait hurlé depuis longtemps, Vaast et Erika n’avaient pas cherché à être particulièrement discrets en arrivant.
Voilà qu’Erika faisait une démonstration d’un des talents de la Congrégation - se montrer incroyablement amical pour obtenir quelque chose en retour. Le missionnaire ajouta simplement, avec un accent plutôt correct à force de l’entendre :
-Beurd tír to mad.
Il hocha la tête, un pas derrière Erika, et jeta un nouveau coup d’oeil en direction de la falaise en se retenant de mettre ses anneaux. S’il en arrivait là, c’est qu’Erika aurait échoué, et lui aussi.
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Erika ne peut s'empêcher d'être surprise en entendant l'autre parler la langue des natifs. Elle ne quittait pas le natif du regard cependant. Ses yeux balayaient un peu partout autour d'elle afin d'évaluer si il y avait du mouvement autre part.
Il avance vers eux d'un bon pas mais ne semble pas agressif alors elle abaisse doucement ses mains. Entendre quelqu'un parler sa langue illumine le visage du natif et elle se dit qu'elle devrait aussi l'apprendre. Ne serait-ce que pour savoir ce qu'il se dit autour d'elle lorsqu'elle sort de Nouvelle-Sérène. Rester dans sa ville et enfermé dans son établissement était tout à fait agréable pour Erika, mais après presque deux ans a avoir mis pied à terre, il était peut être temps de découvrir ce qu'il y avait autour d'elle.
Cette réflexion elle l'a pendant que le natif déballe tout un laïus en langue indigène qui lui est tout simplement incompréhensible. Alors elle regarde Vaast qui lui doit comprendre ce qu'il dit. Il a levé les bras et lui jette un coup d’œil. Elle hausse un sourcil, difficile de lire quoi que ce soit sur le visage du Thélèmite mais...elle n'est pas sûre qu'il ai compris un traître mot de ce que vient de dire le natif. Peut être que la prochaine fois il apprendra "Je ne parle pas du tout votre langue sauf pour me la péter" dans la langue native.
Elle fait un pas vers le natif en se raclant la gorge afin d'attirer à nouveau son attention. Elle ne fait pas particulièrement attention aux vêtements du natif, il ne ressemble pas à ceux qu'elle a déja croisé mais en même temps elle n'y connaît pas grand chose si ce n'est ce qui se raconte en ville.
- Vous avez vu...Elle pointe ses propres yeux avec son index et son majeur...la femme qui était dans ce truc. Elle se montre elle puis le véhicule et croise les doigts pour qu'il puisse les aider.
Si il ne comprend pas elle essaye d'insister un peu plus en s'approchant calmement vers la calèche afin d'indiquer des affaires qui aurait pu appartenir à la dame en question. Si il comprend, elle finira par mimer sur sa main quelqu'un qui marche et enfin la côte où semble être la grotte ou la forêt.
De temps en temps elle regardait Vaast, si il savait les mots qu'elle prononçait en langue native, alors elle retirerait à minima la réflexion qu'elle s'était faite à elle même plutôt. Si il ne l'aide pas plus que ça, elle lâchera, cette fois à voix haute mais qui semble plus comme une pensée qu'elle lâche que vraiment orienté pour blesser Vaast.
- Ca vaut la peine de parler natif si c'est pour ensuite servir à rien...
La fausse noteFeat Erika
Bonne nouvelle : le Natif parut enchanté d’entendre Vaast.
Mauvaise nouvelle : il lui répondit.
L’inquisiteur leva aussitôt les mains pour signifier qu’il n’y entendait rien. Bon sang ! Il avait juste voulu dire bonjour !
Tandis qu’Erika posait sa question sur la précédente occupante de la calèche, Vaast observa leur interlocuteur incompréhensible. Il portait des bijoux, chose qui l’intrigua. Les Natifs n’étaient généralement guère portés dessus. Peut-être les fabriquait-il lui-même ?
Plongé dans ses pensées, le faux missionnaire ne fut pas d’une grande aide à Erika. Il avait retenu quelques phrases toutes faites mais ne put lui fournir que peu de mots pour appuyer ses propos : “femme” quand elle désigna la calèche, et “chercher”, un des rares verbes retenus à force que des Natifs demandent à Juliette ce qu’elle cherchait dans le coin.
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- Je parle, je parle.
Il a cependant un fort accent, et il corrige, pas sans douceur, celui de Vaast lorsque ce dernier prononce plusieurs mots dans la langue des natifs. Puis il s’adresse à Erika :
- J’ai vu la femme. Vous, de son clan ?
Il les désigne l’un après l’autre. Alors qu’autour tout est paisible, les oiseaux pépient, un écureuil à deux queues saute d’un arbre pour en rejoindre un autre, et que le Natif semble tout à fait ouvert à la conversation dans ce majestueux panorama, un cri à glacer le sang perce le silence. L’écureuil va se réfugier près d’une souche. Les oiseaux s’interrompent brièvement. Deux d’entre eux s’envolent.
C’était la voix d’une femme, à n’en pas douter, et elle ne la ménage pas – quel coffre ! Impossible de deviner ce qu’elle dit à cette distance, mais sa voix résonne en ricochet entre les magnifiques parois de calcaire. Le Natif se pince brièvement l’arrête nasale. Il n’a pas l’air alerté, plutôt las.
Erika ne peut s'empêcher de sourire lorsque le natif fait des remarques à Vaast sur sa prononciation. Elle ne lui faisait pas confiance alors chaque petit désagrément lui procurait un sentiment agréable. Est ce qu'elle était de son clan ? Etait-ce une bonne chose ou non d'être de son clan, c'était la question que se posait la rouquine.
- Je suis de sa faction oui...de son clan, de la Congrégation Marchande.
Elle aurait bien dit le nom du village qui se trouvait à côté de Nouvelle-Sérène mais impossible de s'en rappeler correctement et elle préférait ne pas blesser le natif. Puis un cri. Elle sursaute et dégluti. Machinalement sa main se porte au niveau de sa ceinture mais elle bloque sa geste et fini par laisser tomber. Le natif n'avait pas l'air surpris alors il devait être de la partie. Si ils étaient plusieurs en bas, ça ne servait à rien d'ouvrir les hostilités maintenant ou alors ils finiraient peut être eux aussi disparue dans une grotte. Elle jeta un coup d’œil à Vaast, avait-il une quelconque arme sur lui ? Allait-il attaquer le natif ou elle, voir les deux. Elle se pinça les lèvres et pris une respiration pour avoir les idées clair.
- Ce doit être la femme que nous cherchons. Il semblerait que vous l'ayez plus que vu. Nous ne voulons pas de problème. Nous sommes là pour la récupérer et la ramener chez elle, tout simplement.
Quelle idée d'aller s'aventurer là-bas, Erika se posait encore la question.
La fausse noteFeat Erika
Voilà que l’homme avait l’air déçu, mais au moins il pouvait parler un peu de leur langue.
Vaast avait suffisamment d’expérience avec les Natifs pour savoir que l’humilité fonctionnait mieux que l’arrogance. Il ravala donc les répliques ironiques qui lui venaient et répéta les mots qu’on corrigeait avec application, allant jusqu’à remercier le Natif. Après tout, grâce à lui il s’améliorait. Il y arrivait bien avec Alix.
Même si le sourire suffisant d’Erika lui donnait envie de la secouer.
L’inquisiteur tressaillit au hurlement et porta immédiatement une main à sa poche intérieure. Il se retint de justesse en voyant que le Natif avait tout au plus l’air las, comme s’il entendait cela dix fois par jour. Erika avait eu exactement le même réflexe, et elle aussi posa les yeux sur ses mains.
Elle devait avoir sa réponse, maintenant, pour peu qu’elle connaisse les habitudes thélémites. Oui, il était armé.
-J’y vais, lança-t-il.
Erika avait l’air partie pour discuter. Inutile d’être deux pour mener cette conversation. Il partit au trot en direction de la grotte, prêt à lever les mains en signe d’apaisement sitôt qu’il croiserait du monde… ou à enfiler pour de bon ses anneaux.
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Il jette un coup d’œil à Vaast lorsque celui-ci s’en va et pousse un gros soupir. Il avise ensuite Erika et a un geste vague de la main.
- Récupérer ? Oui, oui. Allez.
Il se contente de dire.
Vaast traverse le paysage enchanteur jusqu’à déboucher sur l’ouverture magistrale d’une grotte encadrée par deux piliers d’un basalte si noir qu’on peut se demander si ça n’a pas été fait exprès, surtout vue la façon dont il tranche sur la blancheur immaculée de la pierre alentours.
- Sanchoooooooo ! Sancho. SanchoOoOoOoOo !
Il peut entendre s’époumoner une femme – qui module décidemment très bien - alors qu’à l’entrée de la grotte sont réunis un groupe de cinq Natifs ; quatre femmes et un homme. Ils sont tous dans les mêmes âges que ne l’était celui dans la calèche, certains plus âgés. Singulier, il est rare de trouver des Natifs aussi vénérables en-dehors de leur village si on y réfléchit un instant. On n’en croise ni dans les rangs des chasseurs, des guides, des cueilleurs ; bref, jamais par hasard, notamment cette femme dont les cheveux sont devenus complètement blancs. Elle se tient en retrait avec la majorité du groupe si ce n’est le seul homme qui lui a avancé, poings serrés, et lance quelque chose dans sa langue à quelqu’un qui se trouve plus haut, sans vraiment pouvoir jauger où. La grotte semble étagée de façon complexe à l’intérieur, elle s’élève comme le fait la falaise, comme le toit d’une cathédrale… Mais Vaast peut aussi apercevoir un conduit qui semble s’enfoncer plus profond.
Une mousse qui s’est formée à force des embruns, et forme ces entrelacs singulièrement géométrique, a été retiré à plusieurs endroits, visiblement de façon intentionnelle. Le calcaire y a noirci et des coulées noirâtres le tâchent à ces endroits. On dirait qu’il est corrodé, comme si on l’avait attaqué à l’acide. La vision est désagréable car elle n’est pas sans rappeler la peau d’un être humain ; comme si la pierre pouvait souffrir.
Quoi qu’il en soit, les femmes se retournent pour aviser Vaast et se mettent à parler dans leur langue entre elles, en se serrant un peu les unes contre les autres tandis que la plus âgée se met au-devant. Elle a un couteau, à la ceinture, et c’est la seule qui semble armée de tous ses comparses. L’homme qui est un peu plus avant dans la grotte a fini de s’exprimer et se reçoit sur la tête ce qui semble être… un soulier. Il pousse un cri de douleur et se couvre la tête à deux mains. Vaast n’a pas vraiment le temps de faire quoi que ce soit que les femmes se dispersent aussi rapidement que possible alors qu’une deuxième chaussure vole droit dans sa direction… et son talon est plutôt pointu.
La fausse noteFeat Erika
Au moins le Natif réagissait-il bien à ses tentatives, ce qui le réconforta un peu, même si Vaast s’interrogeait sur l’origine de sa fatigue. Que faisait-il dans le coin ? Il n’était certainement pas seul. Les Natifs avaient-ils agressé la cantatrice ? La retenaient-ils en otage pour exiger une rançon ? Avait-elle mis les pieds dans un endroit sacré ? Les avait-elles offensés ?
Il n’avait ni le temps de s’appesantir sur ces questions, ni celui d’admirer le paysage, et c’était bien dommage parce que l’entrée de la grotte était magnifique. Il n’était plus si surpris que d’Oranet se soit rendue ici.
…Qu’est-ce que c’était que ce hurlement ?
Il n’eut que quelques secondes pour comprendre ce qui s’offrait à ses yeux. Des sortes d’étages. La grotte était profonde. De la mousse retirée des murs. Un groupe de Natifs. Vieux. Un couteau. Un soulier.
Un deuxième soulier, qui arrivait droit sur lui.
Vaast se jeta au sol sans réfléchir pour éviter le projectile, et cette fois-ci, il enfila ses anneaux pour de bon avant de se relever. Il voulait bien être gentil, mais il n’allait tout de même pas se présenter désarmé face à des gens qui comptaient manifestement le bombarder de…
Il regarda le soulier retombé au sol. Ce n’était absolument pas une chaussure Native.
Il releva la tête et leva aussitôt les mains en l’air. Quand il prit la parole, il fit bien attention à hausser la voix pour qu’on l’entende aussi loin que possible - ça ne serait pas difficile vu comme le son résonnait ici.
-Je m’appelle Vaast, je suis de Thélème. Je viens en paix. Que se passe-t-il ?