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Raconte-moi | Brid

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Elle n’a voulu en parler à personne.

Ni à Marwan, entre deux bières ou deux services – ni même à Aziz. À Tarik, le patron du Griffon, et au tenancier de la taverne du Denier d’Hikmet, elle a seulement dit qu’elle allait s’absenter quelques jours. Sans donner davantage de détails.

C’est tout.

C’était peut-être imprudent, de partir comme ça sur un coup de tête – de se volatiliser, purement et simplement, en sautant dans la première caravane venue. S’il devait lui arriver quelque chose, personne ne saurait où la chercher – personne ne saurait même qu’elle a quitté la ville… Mais la prudence, parfois, ne l’intéresse pas. Pas quand elle fuit le sommeil depuis des jours, parce qu’elle a peur de ce qu’elle pourrait y trouver – pas quand elle a l’impression d’osciller, au fil des nuits et des journées, au-dessus d’un gouffre qui ne cesse de se creuser. Quelquefois, au beau milieu de la matinée, lorsqu’elle est attablée dans l’auberge seule devant son café froid, des cris explosent dans ses oreilles, des taches sombres dansent devant ses yeux, et elle doit se retenir pour ne pas vomir son petit-déjeuner.

Ça fait une semaine qu’elle a recommencé à rêver de Selim. Ça ne lui était encore jamais arrivé, ici, sur Teer Fradee. Et à Al Saad, c’était devenu de moins en moins fréquent d’ailleurs – de temps en temps, ça lui reprenait, mais elle avait appris à se barricader de l’intérieur. Elle sait que ce n’est qu’une mauvaise période, que ça finira par passer – car tout passe, tout se tasse, tout se casse. Tout. Mais en attendant, ça lui fait mal, et lorsqu’elle a mal Rim a des réflexes de chatte de gouttière solitaire. Elle s’isole. Et feule sur quiconque a l'inconscience de s’approcher un peu trop près.

Généralement elle se sent bien, pourtant. Si bien qu’elle croit presque avoir cicatrisé tout à fait – mais alors la blessure se rouvre et elle a la sensation de n’être plus qu’une plaie béante, saignant à vif. Amputée du bras, ou de la jambe. Selim est partout, en elle, autour d’elle, dans sa tête, dans ses cauchemars, dans les visages des hommes qu’elle croise, dans les sourires qu’elle rencontre – partout, sauf là où il devrait vraiment être, et c’est tellement douloureux à concevoir qu’elle voudrait ne plus jamais penser. Mais voilà, elle pense – alors elle souffre.

Et à force de penser, elle a décidé que quitter Hikmet pendant quelques jours lui ferait du bien. Voir, sentir, entendre autre chose… Et en profiter pour aller enfin à la rencontre des Natifs, aussi. Elle n’a pas oublié les paroles de Dilay à la taverne du Denier, ses conseils de se rendre à Vígnámrí où elle pourrait à la fois discuter avec les habitants du village et profiter du paysage – et la jeune femme a pris soin de compléter les informations données par la mathématicienne en écumant les livres de la bibliothèque.

Alors elle a pris sa décision. D’un coup. Parce qu’elle se sentait prête – et parce qu’elle avait l’impression que c’était ce qu’elle devait faire, pour se changer les idées, tenir les peines et les souvenirs à distance… Aller mieux, en somme.

Se préparer et trouver une caravane n’ont guère été compliqués – c’est à présent la troisième fois qu’elle s’aventure hors de la ville, et elle commence à en avoir l’habitude. Puis abandonner la caravane avant son arrivée à Nouvelle-Sérène, s’orienter jusqu’au village des Natifs, hésiter un instant en apercevant au loin d’immenses os dressés vers le ciel… Et continuer son chemin, finalement. Vers les falaises qu’elle devine par-delà la plaine, aux cris des oiseaux marins qui tournoient dans le ciel nuageux. Vers la mer.

Et maintenant, c’est là qu’elle se tient. À ses pieds, un océan houleux agité par le vent, rugissant de vagues et d’écumes – il n’est même plus bleu mais gris, d’un gris de songe et de brume. Rien que de l’eau, à l’infini, sous un ciel blanc de nuages fouettés par la bise. L’espace d’un instant, la violence de ce vent lui rappelle Al Saad, avec ses rues de poussière ocre et blonde, et ça lui fait étrange de se dire qu’au-delà de la mer il y a le continent, avec l’Alliance du Pont, ses vies et ses morts… Mansour et sa bibliothèque, Nawel et son nouveau travail, Zoubaïda et son fiancé – ses pertes et son passé, ses amis et ses disparus… Tout ce temps gaspillé à essayer de survivre, à mendier des miettes et des regards, sans réaliser qu'une silhouette est aussi volatile qu'une empreinte de sable...

Quelque chose la fait vaciller, au creux des genoux – une bourrasque de vent, sans doute, un vertige. Quelque chose qui ressemble à de la… solitude ? Et elle comprend soudain qu’elle n’a jamais été aussi nue qu’à ce moment-là, face à la mer, en haut de cette falaise – avec ses courtes boucles brunes et ses tatouages, ses yeux noirs et ses piercings, sa peau hâlée et ses vêtements bouffants. Jamais aussi nue que giflée par le vent, et par toute la colère qui gonfle en elle – la colère, et la peur, la tristesse, l’amertume, les remords. Ces putains de remords qui la tuent et qu’elle voudrait crever à son tour, si c’était possible – si elle était sûre de ne pas en mourir. Mais ici, devant l’horizon, il n’y a soudain plus de cuirasse, plus de carapace – juste elle et toutes ces émotions qui l’étouffent, la lacèrent, la poignardent.

Elle. Toute nue. Les joues salées de larmes. Et son armure craquelée qui tombe en morceaux à ses pieds.

Peut-être que dans ces cas-là, il n’y a rien d’autre à faire que de pleurer.
Brid
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Brid fut réveillée par un cri niché dans son rêve. Ce n’était pas le sien, et elle ne savait pas à qui il appartenait, mais elle le connaissait. Elle ne savait pas non plus ce qu’il exprimait peur, douleur, ou même, qui sait, de la joie…  

Elle ne conservait jamais le souvenir du cauchemar, à peine une ombre sur le mur ou un goût étrange dans la bouche. Elle était restée étendue sur le dos à contempler les ténèbres, le cœur battant.

Il était rare d’occuper une maison absolument seule, sans aucune famille pour égayer les murs de pierres. Mais Brid ne se plaignait ni de sa situation familiale ou géographique. Sa demeure était à la limite du village. Peu la voyaient entrer ou sortir.

Brid ouvrit la porte. Dehors, il faisait encore un peu nuit, mais le limbe du soleil illuminait la base des collines. Saya, alerte, était posée sur la branche de l’arbre tout contre chez Brid, son perchoir habituel. A croire qu’elle avait senti le trouble de sa maîtresse. Brid y croyait vraiment.

Elle vint passer son gantelet de cuir pour que Saya puisse se poser sur son bras et elles frottèrent leurs têtes l’une contre l’autre doucement.

Brid ne savait pas de quoi elle avait rêvé. Ce qu’elle savait, en revanche, c’est que le songe avait éveillé en elle une inexplicable nostalgie, qu’elle embrassait sans hésitation. Mieux valait incarner l’émotion, lui donner corps pendant un instant, qu’elle puisse glisser, couler, reprendre son chemin tout de suite après.

Bientôt, ce fut l’aube et Saya retourna plus loin dans la pénombre des bois, là où le soleil ne pouvait pas le dérager. Brid se vêtit. Elle coiffa ses cheveux et elle peignit son visage de noir et de blanc, les couleurs de son village. Comme ce n’était pas jour de fête, elle ne fit que se barbouiller des pommettes aux tempes au lieu de couvrir son front, sa bouche, son nez, son menton, ses yeux…

Aujourd’hui, Brid n’allait pas à la cueillette, en tout cas pas à celle qui se fait dans les bois, alors elle ne couvrit pas ses traits de la peinture verte qu’elle utilisait pour passer inaperçue des animaux les plus belliqueux.

Brid prit son sac où étaient accrochés de nombreux coquillages, et sa méthodique journée put commencer. D’abord, elle alla saluer Efa. Elle se restaura avec elle et d’autres aînés et les écouta parler. Cela représentait en soit une tâche car l’un d’eux parlait très lentement et se répétait beaucoup mais Brid faisait preuve de patience. Que l’on se retrouve diminué n’était pas bien vu parmi son peuple, une question d’utilité et d’honneur, mais Brid n’aimait pas laisser les plus vulnérables seuls parmi leurs pensées, avec pour toute distraction la contemplation de l’aube et du crépuscule.

Et elle aimait aussi leurs histoires, sincèrement. Il n’y avait pas toujours toute la sagesse qu’on prêtait à cet âge avancé de la vie mais les souvenirs n’avaient pas besoin d’être chargés une leçon pour valoir la peine qu’on les mémorise.
Tout le monde savait où trouver Brid à cette heure, c’était donc l’ouverture du bureau des réquisitions. Le tanneur avait besoin d’un champignon pour faire une poudre et une chasseresse voulait la tige ligneuse d’une plante pour renforcer sa fronde. Brid écoutait et se restaurait.

Elle ne leur dit pas qu’elle n’avait pas l’intention d’aller tout de suite dans la forêt mais peut-être le savaient-ils car elle ne se chargeait de son sac que quand elle se rendait à un endroit : la plage.

Brid l’arpenta pendant quelques heures, à ne penser à rien et à tout à la fois. Chaque détail trouvait à ses yeux son intérêt, tout ce qui était différent de la veille – et avec la marée, tout ou presque changeait. On répétait parfois à Brid qu’il était absurde de retourner tant de fois au même endroit mais à son avis, ses détracteurs n’étaient simplement pas attentifs. Les renaigse laissaient échapper une foultitude de choses de leurs bateaux, ou faisaient tomber des choses dans les rivières de l’île… Tout parvenait ici, à un moment ou un autre. Ce jour-là, Brid trouva un médaillon avec des initiales gravées. Ces symboles, bien étranges pour elle, elle passa un moment à les contempler, à s’imaginer qui pouvait bien arborer ce bijou. Pourquoi il avait été perdu. Quel était le but de la miniature peinte, à présente méconnaissable parce qu’elle avait pris l’eau. Brid toucha le pigment gorgé d’eau du bout des doigts.

En ce moment, ce qu’elle désirait plus que tout, c’était arriver à fabriquer un de ces grands filets que lançaient les pêcheurs au port de Nouvelle-Sérène. Brid les avait observés au loin. Ils paraissaient très lourds, tant qu’il fallait une sorte de mécanisme centrifuge pour les remonter autour d’un grand tube de bois. A défaut de pouvoir voler un de ces objets – car Brid l’aurait volontiers fait si elle avait eu l’occasion de ne pas se faire prendre – elle récoltait ceux qui s’échouaient, déchiquetés. A peine des fragments des originaux mais oui, Brid était patiente. Elle avait bon espoir de pouvoir reconstituer quelque chose, à force. Et si ça n’avait pas encore été le cas, ce qu’elle avait ramassé avait toujours servi. Ce serait peut-être même mieux pour la chasseresse que la tige ligneuse, à bien y réfléchir. Plus solide, mais moins élastique…

C’était ce genre de débats qui habitaient l’esprit de Brid tandis qu’elle cheminait entre sable et galets. Elle ramassa son lot de mollusques aussi, parce qu’elle ne rêvassait jamais sans se rendre utile. Elle mangerait probablement aussi avec Efa ce soir. Les mollusques dans les conques n’étaient pas bien durs à mâcher pour ses dents.

Brid remonta par le chemin habituel et elle arpenta la falaise sur le retour. Saya surgit d’un bosquet et la suivit en planant. Elle attrapa un rongeur sur le chemin. Tout était habituel, jusqu’à ce que Brid remarque une silhouette perchée là, parmi les hurlements des bourrasques. La cueilleuse fit encore quelques pas. Elle marchait dans le plus grand des silences, par habitude, sans volonté de surprendre ou d’effrayer la femme. Car il semblait effectivement s’agir d’une femme mais pas du clan de Brid, ou d’aucuns clans de l’île.
Que faisait une étrangère seule ici ? Une étrangère qui semblait habitée par le souci ?

Brid ne la salua pas. Elle craignit de l'effrayer ou de la faire sursauter, or le vide n'était pas si loin. A la place, elle siffla sa chouette pour marquer sa présence puis, une fois assez près, elle se tourna à son tour vers la falaise pour contempler la côte qui se découpait sous leurs yeux.

Que distinguait l’étrangère, se demanda Brid, qu’elle-même ne pouvait entrevoir ? Était-ce la mer qui lui causait du chagrin ? Songeait-elle à sa demeure par-delà les flots ? Ou alors, peut-être que cela n’avait rien à voir… Brid espérait que la femme n’était pas montée si haut pour de sinistres raisons.

- Que vois-tu ?

Interrogea Brid, sans préambule. Son ton était tranquille.
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Ce pourrait être le souffle du vent, le sifflement d’un oiseau – ou un autre son, plus humain. Sur le coup, Rim n’y prête pas réellement attention – du moins jusqu’au moment où elle sent une présence se glisser à ses côtés. À quelques pas d’écart, une distance respectueuse, sans nul doute, mais tout de même assez proche pour créer un contact. La proposition d’un lien, d’un échange, aussi ténu qu’un fil d’araignée… mais présent. Palpable. Suffisant.

La jeune femme tourne la tête une fraction de seconde avant que la voix, paisible, ne résonne sur la falaise. Un visage peint de blanc et de noir, encadré de courts cheveux bruns – la silhouette svelte et menue d’un elfe des bois, à l’expression sereine et tranquille. Dont le calme tranche avec les vagues qui s’écrasent plus bas, sur les rochers, dans leurs incessants grondements d’écume.

Que vois-tu ?

Un accent chantant, aux intonations incontestablement étrangères, mais parfaitement compréhensible – et la chouette qui tournoie au-dessus de la tête de l’inconnue rajoute encore une touche de singularité à ce tableau barbouillé de vent et d’embruns.

Une Native.

Saisie par la surprise, Rim met quelques secondes à réagir – et son premier réflexe est de s’essuyer rapidement les yeux de la paume de la main. Une ombre de honte, de gêne, de pudeur, devant cette femme qu’elle n’a jamais vue et qui vient de l’apercevoir en larmes, alors qu’elle a toujours eu horreur de pleurer en public. Elle déteste montrer sa vulnérabilité – aussi bien par fierté que parce qu’elle sait à quel point cela peut se révéler dangereux. Pourtant, elle ne distingue aucune trace de jugement ou de désapprobation au fond des yeux noirs de l’inconnue – son regard n’est même pas posé sur elle, d’ailleurs, mais fixé au loin, à l’horizon. De la Native, elle ne peut observer que le profil, songeur, rêveur, tendu vers le ciel et l’océan. Et interrogatif.

- Je…

Sa voix est enrouée, et elle est obligée de s’interrompre pour se racler la gorge. Un bref instant, elle hésite à s’excuser, lui demander qui elle est, ce qu’elle fait là, se présenter à son tour. Mais la femme lui a posé une question. Et tout le reste lui paraît tellement vain, tout à coup.

- Je n’ai pas l’habitude de voir la mer. Alors je suis venue ici pour… pour la regarder. Avec le reste du paysage. Et puis les bruits. Les odeurs. C’est… c’est beau.

Piètre réponse – elle s’empêtre dans les mots, dans les phrases, sans vraiment savoir ce qu’elle essaie de dire. Ça ne lui ressemble pas. Mais ça sonne vrai. Sans parvenir à retenir un reniflement bien peu élégant, elle s’essuie le nez dans sa manche. Que vois-tu ?

Je vois des oiseaux, je vois des nuages. Je vois des silhouettes, des fantômes, des visages. Qui dansent dans le ciel, joueurs et facétieux. Qui plongent dans les vagues. Et ne ressortent pas.

- Je vois… les falaises, bien sûr. Les rochers. Je n’en ai pas l’habitude non plus. La végétation. Ça ne ressemble pas à là d’où je viens. Et au-dessus de toute cette eau, ou au-delà… Il y a des gens. Beaucoup de gens.

Des sourires qui, mêlés aux remous de l’océan, se confondent en grimaces, en appels ou en sanglots perlés d'écume.

- Enfin, non, pas beaucoup, mais… importants. Aussi grands que des navires. Qui transportent avec eux, sur leurs ponts, dans leurs cales, tellement, tellement de choses… Certains navires sont encore sur la mer, en train de voyager. D’autres ont coulé au fond de l’océan. Mais ce sont eux les plus précieux.

Une boule est en train de grossir, dans sa gorge, alors elle s’arrête de parler parce qu’elle sent que, si elle continue, elle risque de se remettre à pleurer.

- Et toi ? Qu’est-ce que tu vois ?

Dans le ciel, la chouette continue à tourner, avec la légèreté d’une caresse. Ou d’une larme.
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Brid écouta patiemment la femme sans l’interrompre. Elle nota en silence la façon dont l’étrangère essuya ses yeux. Brid comprenait la fierté. C’était quelque chose dont son peuple n’était pas dénué, bien au contraire.

L’étrangère avait une voix enrouée qui se dénouait un peu à mesure qu’elle parlait. Brid ne disait rien. Elle marqua simplement son assentiment d’un geste de la tête quand l’étrangère annonça que ce qui s’étendait devant leurs yeux était beau.

C’était simple mais c’était vrai. Brid n’avait pas l’âme d’une poétesse et aucun superlatif n’aurait de toute façon pu vraiment rendre justice, à ses yeux, à ce qui se jouait à leurs pieds. Le fracas des vagues, les arbres penchés à s’en briser par les bourrasques… On aurait dit que vent et mer s’acharnaient contre l’île et qu’elle résistait malgré tout.

Ce n’est pas comme là d’où elle vient, disait l’étrangère. Brid se demanda ce que se devait être de ne pas voir la mer souvent. Cela ne devait pas manquer à la femme ? Mais non – on ne peut pas manquer de ce que l’on ne connaît pas.
Des gens, racontait ensuite la femme. Evoquait-elle les bateaux ? Les grandes coques qui prenaient d’assaut le large ? Ils pouvaient couler, cela Brid le savait déjà. Elle en avait vu des fragments le long de la côte, depuis avant l’arrivée des étrangers. La mer rejetait parfois des bouts de bois, grands comme plusieurs hommes et une figure de proue s’était un jour plantée entre deux bouts de falaise. Elle était restée là plusieurs jours, coincée, avant que les vagues ne parviennent à la décrocher et ne l’engloutissent à nouveau.

Eux les plus précieux ? Ceux qui ont coulé ? La femme parlait assurément en métaphores, à moins qu’elle ait réellement perdu des proches dans le ventre d’un de ces navires. Pour toute l’envie que Brid avait de monter à bord de l’un d’eux, elle connaissait bien la force des tempêtes d’hiver. L’idée de se retrouver non pas protégée par sa solide maison de pierres, bien à l’abri avec Saya sous des fourrures, mais au creux de planches de bois, en plein milieu d’une étendue liquide, avait de quoi donner des frissons.

- C’est à eux que tu penses en regardant la mer ?

Demanda Brid très directement. Elle s’abstint de demander si c’était pour cela que l’étrangère avait du chagrin, car cela aurait été relever ses larmes et elle voulait lui cacher.

Que voyait-elle ? Brid s’intéressa aux flots, à la côte. Il ne lui fallut pas très longtemps pour dire :

- Je vois ma maison et mon vivier. Je vois que… je le vois tellement souvent que je ne le vois plus vraiment. C’est dommage. C’est beau, oui. Je devrais davantage prêter attention.

Sa voix était toujours tranquille. S’il avait fallu un mot pour décrire son être, c’était aérien. Peut-être parce qu’on n’aurait pas été étonné de la voir s’envoler à la moindre bourrasque, ou que ses pensées avaient toujours l’air un peu tournées vers ailleurs, un ailleurs imprenable, qui ne semblait pourtant pas fait de mauvaises choses.

- Je n’y réfléchis que quand quelque chose de l’ordinaire. Dès que je vois un bateau crever l’horizon, par exemple. Je me demande combien de temps il a été en mer et quand il va repartir et qui est à son bord. Ce qu’ils veulent. Je n’ai pas de mal à imaginer un endroit très différent d’ici. Les montagnes de Tir Fradi ne sont pas comme ses plaines, et ses marais très différents des forêts.

… Mais Brid avait entendu dire que les étrangers soutenaient que leur continent était encore autrement. Peut-être était-ce dû à la façon dont ils construisaient qui leur donnait ce sentiment de contraste ? Car il était vrai qu’en regardant leurs villes, on n’avait déjà plus vraiment l’impression d’être sur Tir Fradi.

- C’est pour venir voir la mer que tu es venue ici ?

Ce ne serait pas la plus étrange raison pour laquelle un étranger se serait glissé jusqu’au visage, raisonna Brid. Ils en avaient eu des excentriques, ces dernières années, notamment depuis l’installation des yeux jaunes en amont de la rivière.
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La présence de la Native, à ses côtés, est étrangement réconfortante. Une présence étonnante mais légère, attentive, apaisante. Presque aussi naturelle que la brise marine ou les nuages effilés de lumière. Pleinement là, face à la côte, mais d’une délicatesse de libellule, à la fois ici et ailleurs. Voletant d’herbe en herbe, de plage en plage, de falaise en falaise.

Puis elle lui pose une question et la libellule se pose, papillonne une dernière fois des ailes, redevient humaine.

- Oui.

À interrogation directe, réponse directe. Oui, c’est à eux qu’elle pense, lorsqu’elle regarde la mer. À eux et à autre chose, aussi. Mais beaucoup à eux.

C’est ensuite au tour de la jeune femme de répondre à la conteuse, et Rim l’écoute en silence. Elle parle bien, vraiment. Bien mieux que ce à quoi elle s’attendait en arrivant à Vígnámrí. Elle a fait des efforts pour commencer à apprendre la langue des Natifs, bien sûr, mais elle-même serait bien incapable de soutenir une conversation de ce type avec un inconnu – alors que c’est elle qui, d’une certaine manière, se trouve chez eux. Et que cette femme, qui est chez elle, entourée des siens, ait tout de même eu la volonté de découvrir et d’assimiler cette langue, avec autant de succès… Au-delà de la surprise, cela force le respect – et l’admiration, chez Rim, est loin d’être facile à susciter.

Maison. Vivier. La conteuse n’a jamais réellement ressenti cela, pour aucun lieu, à moins que l’on ne puisse considérer Al Saad en son entier comme une maison, mais elle comprend ce que la Native veut dire. Cet endroit lui est familier, évidemment – ce qui lui semble si nouveau, à elle, n’est que l’ordinaire de cette femme. La beauté finit souvent par se détacher de l’habitude, elle le sait – enfin, peut-être pas la beauté, mais l’attention. L’attention fine, précise, à tous ces petits détails qui créent la singularité, ou au contraire à ces immenses panoramas de ciel et de brume. Regarder, sans voir vraiment.

Puis la Native parle des bateaux, et Rim perçoit la curiosité sous-jacente qui effleure ses paroles. Les questions non-dites qui s’accrochent au poids de ses mots. Quand, qui, pourquoi, combien de temps… L’ailleurs de Teer Fradee. Différent. Si elle savait à quel point.

- Est-ce que ça t’intéresserait ? D’en connaître davantage là-dessus ? Sur les gens comme moi, la terre d’où nous venons ?

Peut-être même a-t-elle déjà eu l’occasion de discuter avec des continentaux ? Cela pourrait expliquer l'aisance et la qualité de son expression…

- Là d’où je viens… Il n’y a pas de mer, mais en plus…

La femme parle de plaines et de montagnes, de marais et de forêts – des paysages qu’elle connaît, propres à Teer Fradee. Sans doute est-ce difficile, pour elle, d’imaginer quelque chose d’aussi radicalement différent que l’Alliance du Pont, et plus encore Al Saad.

- En fait, là où je suis née, il n’y a ni plaines, ni plages, ni forêts, ni montagnes, ni falaise, ni marais. Absolument rien de tout ça. Seulement une très grande ville, aussi immense que des dizaines et des dizaines de prairies mises bout à bout. Avec, tout autour, des steppes très sèches, sans beaucoup de plantes ou de végétation. Pas d’arbres, pas de bois, pas de bosquets… C’est pratiquement désertique. Rien à voir avec ici.

Elle observe un temps de silence, avant de préciser :

- Mais ce n’est pas pareil partout, bien sûr. Et puis, nous avons du vent, nous aussi. Beaucoup de vent. Ça, ça ne change pas.

Le vent pour relier Vígnámrí à Al Saad… D’ailleurs, serait-ce possible que ce soit le même, entre Gacane et Teer Fradee ?

C’est alors que la Native lui pose une nouvelle question. Est-ce pour voir la mer qu’elle est venue jusque là… L’espace d’un instant, la jeune femme hésite – vaut-il mieux qu’elle se montre totalement sincère ? Ou qu’elle attende encore un peu avant de révéler son intérêt pour la culture et les personnes de son peuple ? Son interlocutrice n’a cependant pas dissimulé sa curiosité à propos des continentaux, et Rim en conclut qu’elle peut sans grand danger faire de même. Et puis, quelque chose la pousse à être honnête, avec cette femme. Avec elle, elle sent que mentir ne l’avantagerait pas. Au contraire.

- Je suis venue pour voir la mer, oui… En partie.


Elle tourne la tête et, pour la première fois depuis le début de leur conversation, regarde directement la Native en reprenant la parole. Face-à-face. Visage contre visage, sans la barrière du profil et l’échappée des yeux vers le lointain.

- Mais pour te dire toute la vérité, j’avais aussi envie de découvrir le village de Vígnámrí… Le tien, je suppose ? Et essayer de… discuter avec les gens. Faire leur connaissance.

Embarquer sur un nouveau navire.
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L’étrangère posait une bonne question. Selon Brid, beaucoup dans son peuple se leurraient en disant qu’ils ne voulaient rien apprendre des étrangers. Rien dans les coutumes de Tir Fradi ne condamnait la curiosité. Il fallait être malin pour séparer le fruit pourri des autres et ne pas le laisser contaminer le panier. Certains renaigse ne valaient même pas la peine qu’on les regarde, mais Brid ne voyait dans son interlocutrice qu’une femme. Une femme aux jolis cheveux et avec les yeux pleins de chagrins. Elle ne représentait pas une menace et Brid détestait ceux qui prétendaient le contraire en arguant qu’arme à la main, chaque renaigse pouvait être dangereux.

C’était vrai pour tout un chacun. Avec leurs bâtons cracheurs de feu, même un enfant pouvait blesser, lui ou les autres.

S’éloigner des renaigse comme s’il s’agissait de plantes venimeuses paraissait ridicule à Brid. Ces grands guerriers pleins de hargnes étaient, aux yeux de la cueilleuse, surtout habités par la peur. Elle aussi avait peur, parfois, et elle écoutait sa frayeur quand il était sage de le faire. Elle ne pouvait pas tout à fait jeter la pierre à ceux qui avaient été blessés. Se faire mordre donnait cette tendance à retirer la main de tout ce qui claquait, piège, mâchoire, ou quoi que ce soit qui y ressemble.

Elle avait appris des récits de ceux qui avaient été mordus par les renaigse avec beaucoup de scrupules et la leçon qu’elle en avait tiré c’est qu’elle saurait retirer sa main au bout moment.

- Cela dépend.

Répondit Brid avec franchise à l’étrangère.

- Je n’ai pas grand-chose à donner en échange.

Les relations que son village avait eues avec les renaigse étaient surtout transactionnelles jusqu’ici, et la proximité du village des Yeux-Jaunes tendait à donner à cette impression l’air d’une vérité. Les renaigse semblaient chercher un équilibre dans le commerce avec une manie que Brid ne cherchait pas vraiment à comprendre.

La femme devant elle saurait peut-être quelque chose sur la mer. Peut-être pas. Mais ce serait bien, tout de même.

En réalité, Brid avait probablement beaucoup de choses qui intéresseraient les renaigse dont certaines qu’elle n’aurait pas soupçonné. Elle avait déjà réfléchi scrupuleusement à ce qu’elle était prête à donner ou non.

Pas de mer ? Brid cilla et contempla les vagues. La femme ne devait donc pas être experte du domaine, à moins que l’on fasse des embarcations pour sillonner les fleuves de sa contrée ? Y en avait-il seulement ? Sûrement. Rien ne pouvait vivre sans eau.

Brid tenta d’imaginer ce que la femme lui décrivait. Elle se fit l’idée du village des Yeux-Jaunes et tenta de le démultiplier en des dizaines de fois. Les renaigse devaient avoir des engins pour abattre des montagnes, ou peut-être construisaient-ils dessus ? Ou alors ils n’en avaient pas non plus.

- Est-ce que cela te manque ? Est-ce que c’est beau ?

Demanda Brid. Elle pourrait déclarer que ce ne devait pas l’être du tout mais elle n’avait jamais véritablement pénétré dans Nouvelle-Sérène et encore moins dans les autres villes des renaigse. Le de steppes n’évoqua rien à Brid. Elle ignorait de quoi il s’agissait. Sa question lui semblait plus sage et plus importante pour comprendre le pays dont parlait la femme et la femme elle-même.

Elle évoquait le vent, le vent qui n’avait pas changé et Brid offrit son visage aux bourrasques. La même pensée traversa la cueilleuse : était-ce le même souffle que dans la terre que décrivait la femme ? Le Dieu aux mille visages pouvait chuchoter à travers les branches quand le vent soufflait fort. Une de ses facettes habitait probablement la bise et qu’il exista une d’elles sur le continent des étranges n’aurait pas étonné Brid. En inspirant, elle tenta de sentir autre chose que les embruns et l’odeur de la terre humide, un fragment de ce que décrivait l’étrangère.

- Oui, je suis Sísaíg cnámeis.

Approuva Brid alors que l’étrangère l’interrogeait au sujet de son héritage.

- Es-tu venue seule ?

Brid se demanda comme procéder. Elle avait déjà vu des étrangers accueillis dans le village à plusieurs reprises. Plusieurs avaient eu un traitement spécial. Il n’était pas secret que leur roi espérait commercer avec eux de façon pérenne et quoi que Brid pensa à ce sujet - car elle avait un avis sur la question – il aurait été très inconvenant de remettre en question la parole du roi Ullan.

Elle avait déjà fait partie des troupes qui conversaient avec les étrangers et leur donnaient assez d’attention pour qu’ils aient envie de revenir, mais jamais elle n’en avait amené une au village. Elle ne savait même pas si la femme venait commercer, si elle était importante en son village, ni même si elle était une Yeux-Jaunes et savait que personne n’avait rien organisé aussi on n’attendait pas de visite particulière.

- Il n’y a pas grand-chose d’intéressant au village aujourd’hui mais tu peux venir quand même. Il y est des gens qui aiment rencontrer des renaigse.

Brid avait eu une idée : peut-être pourrait-elle amener l’étrangère à l’assemblée des ainés ? Ils n’avaient pas grand-chose à faire et cela les distrairait probablement. Brid n’aimait pas l’idée de troubler le travail d’autres pour une conversation. La journée n’était pas finie mais le repas était proche, c’était un bon moment pour aborder les plus oisifs.
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Quelque chose à donner en échange… L’espace d’un instant, cette formulation surprend Rim, puis elle se souvient que la femme appartient à un village de commerçants qui ont pris l’habitude de vendre et d’acheter aux continentaux – enfin, surtout de vendre, si ce qu’elle a entendu à leur sujet est exact. Sans doute lui est-il ordinaire d’effectuer des transactions avec eux – donnant-donnant, selon les bonnes vieilles coutumes de la Congrégation qui, elle le sait, accueille sur les places marchandes de Nouvelle-Sérène des habitants de Vígnámrí. Elle esquisse un sourire.

- Tu penses que, si je te parlais de là d’où je viens, je te demanderais forcément quelque chose en contrepartie ? C’est comme ça que ça fonctionne, chez toi ?

Une question moins désintéressée qu’elle n’en a l’air – guidée avant tout par la curiosité qu’elle ressent vis-à-vis de son interlocutrice… et de son peuple. Rim a envie de savoir si la Native parle ainsi en raison des relations commerciales que son village a tissées avec la Congrégation, ou si cette manière de penser, de concevoir le monde et les gens qui y naissent, y vivent et y meurent, est propre à sa culture.

Est-ce que cela lui manque… La jeune femme laisse son regard dériver vers l’horizon, cherchant à raviver dans son esprit tous ces petits détails propres à l’univers dans lequel elle a grandi – la couleur d’un tissu, le sifflement d’un vendeur de galettes, l’odeur des épices et des caniveaux. Elle hausse les épaules.

- Il y a des choses qui me manquent – des choses toutes bêtes, parfois, comme la chaleur, ou le goût d’un plat que je ne retrouve pas ici – mais il y en a d’autres que je suis heureuse d’avoir quittées. Ce qui manque, en fait, ce sont moins les choses que les gens. Et si c’est beau…

Difficile à dire avec l’habitude, la familiarité – avant d’arriver sur Teer Fradee, Al Saad représentait tout ce qu’elle avait jamais connu. Pour elle, ce n’était ni beau ni horrible, juste… normal. Mais injuste, ça, oui. Tellement.

- Certaines choses étaient belles, oui. En tout cas d’après les étrangers qui venaient visiter la ville. Vraiment, vraiment très belles – de hauts bâtiments s’élançant vers le ciel, des toiles, des pierres et des métaux colorés, des pointes, des dômes, des flèches en cascade… Et d’autres non. Juste à côté d’un immense monument, d’un superbe jardin ou d’une ravissante fontaine, il y avait la crasse, la saleté, la pauvreté. Des gens qui dorment dehors, sous un porche magnifiquement sculpté. Qui mendient entre deux statues splendides, éblouissantes d’argent et de richesse, et mangent les quignons de pain, les vieux rognons et les épluchures de légumes qu’ils trouvent par terre. Les rats qui sortent la nuit, l’odeur de l’urine, les aboiements des chiens excités par une bagarre… La beauté et la laideur sont si proches, là-bas, qu’elles s’entremêlent toujours. Et ceux qui ne parlent que du beau… ils refusent simplement de voir le reste. Ça les arrangerait bien, certains, que la laideur soit invisible. Mais elle est là.

Tout au long de ses paroles, la colère a enflé dans sa poitrine, vibrante, brûlante, grondante, et ce n’est que lorsqu’elle se tait qu’elle se rend compte qu’elle a serré les poings – à s’en faire blanchir les phalanges. Respirer. Congédier les images, les souvenirs. Laisser la rage et la rancœur retomber, doucement – ou plutôt les enfermer de nouveau dans ce petit coin de son cerveau qu’elle prend toujours soin de cadenasser à double-tour. Trop de choses, sinon, risqueraient d’en sortir.

- Oui, je suis seule. J’ai pris un convoi pour venir jusqu’ici, mais je l’ai laissé en chemin.

Et puis, tout aussi naturellement que si elle lui avait proposé de s’asseoir pour contempler plus confortablement la mer, la Native l’invite à l’accompagner chez elle. Dans son village. Incrédule, Rim la fixe tout d’abord sans réagir – ce curieux visage peint de blanc et de noir. Si elle avait su que ce serait aussi simple… Mais elle ne tarde pas à se reprendre, laisse un sourire se dessiner sur ses lèvres, gagner ses yeux.

- Je… Oui, oui, j’aimerais beaucoup. Enfin, si c'est possible... Ça me ferait très plaisir, oui.

Elle se passe une main dans les cheveux pour essayer de remettre un peu d’ordre dans ses boucles noires décoiffées par le vent. Encore un peu déstabilisée par la proposition – et toute cette peine, cette colère, ce tourbillon d’émotions qui s’est levé en elle et souffle avec la brise… Mais elle a de la force, et de la pratique. Elle va réussir à reprendre le contrôle. Elle le sait.

- Et au fait… Comment tu t’appelles ?

Se maîtriser, dominer les sentiments qui rugissent encore dans sa tête – dans son ventre, dans sa gorge. Inspirant profondément, elle happe une grosse goulée d’air marin – ce serait si pratique, si les embruns pouvaient tout purifier. Tout nettoyer de l’intérieur.
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Comme il ne pouvait pas exister un fonctionnement plus éloigné de celui de son village, Brid répondit avec honnêteté.

- Pas du tout.

Cependant, elle réfléchit à sa propre affirmation formulée avec peut-être un peu trop d’aplomb. Certains villageois commençaient à s’inspirer des renaigse pour marchander. Ils n’étaient certes pas nombreux. C’était peut-être cela qui les rendait remarquables.

- Les renaigse… Les étrangers qui viennent chez nous sont des Yeux-Jaunes. Ils sont ainsi.

Estima Brid, bien que ladite estimation ne soit basée que sur quelques cas rencontrés au hasard. Elle se souvenait de son scepticisme quand une femme des Yeux-Jaunes lui avait assuré que les symboles sur leur cape n’étaient pas, en réalité, une paire d’yeux dorés, mais deux pièces, ces choses avec lesquelles ils faisaient commerce. Brid n’avait pas trouvé ce blason ni inventif, ni poétique. Il manquait même, à son sens, d’imagination.

Le récit que l’étrangère fit de son pays était plein de mots dont Brid ne connaissait pas le sens. Elle ne savait pas ce que mendiait signifiait, mais les mots avaient davantage de sens quand ils étaient mis bout à bout dans la phrase que pris séparément, c’était en tout cas ainsi qu’elle s’était entêtée à apprendre la langue des étrangers. Elle se fiait au contexte. L’étrangère évoquait la faim à côté de la beauté, peut-être que cela signifiait souffrir de la disette ? Il n’y en avait eu une au village quand Brid était jeune, après qu’une partie du clan ait mené bataille avant des gens d’au-delà des mers. Avant l’arrivée des renaigse. Ce brusque trou dans l’effectif des chasseurs les avait laissés vulnérables à l’avancée de l’hiver.

La pauvreté, en revanche, ce n’était pas un concept que la cueilleuse maîtrisait très bien. Elle pouvait cependant se la figurer mieux que n’importe qui dans son clan car elle était fille d’exilés.
Brid était de l’avis que l’étrangère avait raison. Il fallait regarder les choses avec franchise, sans se voiler la face.

- Et pourtant… Tu es là.

Conclut finalement Brid. Elle ne savait pas si « et donc » était une formulation plus adaptée car l’étrangère disait que son pays lui manquait et qu’il ne lui manquait pas à la fois, qu’il était tout aussi beau que laid. Peut-être était-elle partie pour fuir tant de contradiction, ou peut-être qu’elle-même n’était pas du bon côté de cet exposé.

A la façon dont l’étrangère avait serré les poings, peut-être Brid avait-elle vu juste. Elle les lorgna avant de regarder le visage de la femme, oscillant entre la compassion et la curiosité. C’était une inlassable question dans l’esprit de Brid. Elle n’était pas la seule à se questionner au sujet des renaigse mais chez elle revenait toujours une interrogation : qu’est ce qui les poussait à partir, à faire tous ces efforts, juste pour se poser là, sur Teer Fradee ? Evidemment, Brid aimait sa terre et n’aurait voulu vivre nulle part ailleurs. C’était peut-être pour cela qu’elle ne comprenait pas qu’on veuille quitter la sienne – surtout pas pour celle qu’elle habitait qui lui semblait si banale.

Ainsi, l’étrangère était seule. Brid fut soulagée à cette réponse qui lui simplifiait grandement la vie.

- Viens. Je vais t’amener jusque là.

Ce serait une bonne première étape, décida Brid.

- Je m’appelle Brid.

Fille et petite-fille de personne.

- Et toi ?

Brid avança, comme elle l’avait dit. Elle calla son sac sur son dos. Sa récolte sentait fort l’eau de mer, il ne fallait pas la laisser trop longtemps à l’intérieur sans la cuire ou elle deviendrait impropre.
Brid mena Rim le long de la falaise, là où les arbres se courbaient jusqu’à ce que leurs branches semblent toucher terre. Elle passa près d’un tronc immense, cinq fois centenaire, frappé par la foudre voilà des lustres et pourtant toujours debout. A sa gauche se découpait la côte et les falaises, et à sa droite les prémices de la forêt. Saya partit s’y réfugier.

Le terrain, très légèrement en pente, était bordé d’herbes sauvages qui arrivaient aux genoux si ce n’est plus haut. Des grappes de fleurs blanches fleurissaient entre les tiges, accompagnées de délicates coroles dont les tons allaient du violet au bleu. Un tetran détala devant Brid tandis qu’elle arrachait un brin d’herbe dans un geste distrait.

Le village apparut en contre-bas. Appuyé contre l’embouchure d’un fleuve, il était cerné d’immenses os de baleines sculptés qui formaient comme des palissades tout autour, et jaillissaient de l’imposante demeure du Màl dont les fondations reposaient à demi sur la plage. Ici, le vent était moins vif que plus haut. Le retrait que formait le bras du fleuve face à son estuaire, les falaises qui s’érigeaient autour, protégeaient les habitations. Elles étaient toutes assez semblables : des maisons rondes de pierres, bien compactes, avec un trou en leur sommet pour laisser passer la fumée de leurs âtres. Certaines étaient plus moussues que d’autre. En retrait, il y avait un pavillon sans mur, d’où s’échappait une longue trainée saumâtre. Probablement le lieu où les chasseurs ramenaient leur butin pour l’équarrir.
L’esplanade entre toutes les maisons étaient de terre battue. Il y avait des feux. Des ateliers pour divers travaux d’artisanat, comme tanner le cuir ou fabriquer des poteries. Tout semblait bien organisé, bien huilé. Chacun vaquait à sa tâche sans nécessairement prêter attention aux autres. Le village était parfaitement ancré dans le décor, sans se laisser envahir par la végétation pour autant. Quelques centaines d’âmes devaient y résider, si on en jugeait par sa taille.

En avisant sa comparse, Brid lui demanda :

- Que veux-tu voir ?

La Native n’avait pas la moindre idée de ce qui pouvait attiser la curiosité d’une étrangère ici et doutait qu’elle eut parcouru tout ce chemin sans aucun plan en tête.

L'emplacement du village ne semblait pas particulièrement secret. Dans une plaine de cette taille, il suffisait de se trouver en surplomb et on le repérait facilement.
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Et pourtant… Elle est là.

Rim laisse la formulation, un peu étrange, se lover dans son esprit. Et pourtant, oui. Ou et alors. Les deux à la fois.

À vrai dire, elle ne fuit pas la laideur, comme elle ne recherche pas la beauté – pour elle, il y a toujours eu des choses plus importantes sur lesquelles se concentrer. Elle suit sa curiosité, son indépendance, son envie de découverte – et puis sa colère, sa rancune, sa haine. La beauté est agréable, certes, mais accessoire – et la laideur, si elle peut servir ses objectifs, ne la rebute pas outre mesure. Il faut seulement réussir à la connaître suffisamment pour l’apprivoiser, s’y mouvoir sans en souffrir – et peut-être, un jour, la dominer. Oh, il serait hypocrite d’affirmer que la laideur ne lui a jamais fait mal – hypocrite de nier que, petite fille, elle a souvent envié les autres enfants bien habillés accrochés à la main de leurs parents, des friandises plein les poches, le regard brillant et le visage propre. Mais l’habitude finit par venir à bout de toutes les douleurs.

Ou presque.

La femme s’appelle Brid – un joli prénom. Court, léger, aérien. Il lui correspond bien.

- Moi, c’est Rim.


Rim, Brid… Ça se ressemble un peu, finalement. Le sourire de la conteuse s’accentue tandis que la Native la conduit le long de la falaise – sans un mot, elle laisse les sensations affluer en elle. Le frôlement des hautes herbes et des fleurs sauvages contre son pantalon bouffant, le parfum délicat de leurs pétales aux tons pastel qui ne tarde pas à remplacer l’odeur de la mer… C’est, en sens inverse, le chemin qu’elle a emprunté un peu plus tôt, mais il lui semble que les sons, les couleurs, les mouvements et les senteurs sont plus profonds à présent qu’elle est accompagnée de Brid. Ou peut-être, tout simplement, leur accorde-t-elle davantage d’attention.

Puis le village apparaît, et plus elles se rapprochent plus la jeune femme sent l’enthousiasme et l’excitation poindre en elle. Enfin, elle y est. Après toutes ses lectures, ces images rêvées, projetées, espérées… Elle va visiter un village, faire la connaissance de ses habitants, discuter avec eux.

Enfin.

C’est avec un intérêt et une curiosité non dissimulés qu’elle observe les immenses os blancs qui l’entourent, qu’elle avait déjà aperçus de loin à son arrivée mais qui, de près, lui paraissent encore plus imposants. Des os de baleine, a-t-elle lu dans un ouvrage spécialisé. Ont-ils une symbolique particulière, pour le clan ? Il faudra qu’elle pose la question à Brid. Elle détaille en silence les petites maisons de pierre rondes qui, posées dans la plaine, lui font un peu penser à des carapaces de tortues moussues, parsemées de l’orangé des feux et d’ateliers d’artisans qui ne sont, tout compte fait, pas si différents de ceux qu’elle a pu côtoyer à Al Saad. Cuir, bois, poterie… Les gens travaillent, absorbés dans leurs tâches, quelques enfants trottinent en babillant sur la terre battue. Une vie de village tout à fait normale, en somme.

À la question de Brid, Rim hésite un instant, puis se souvient de son interrogation initiale.

- Ces grands os, tout autour du village… Est-ce qu’ils ont un sens, une signification particulière pour vous ? Tu sais pourquoi ils ont été dressés là ?

Elle réfléchit ensuite un instant.

- Eh bien… Pour commencer, je crois que j’aimerais bien visiter un peu le village. Faire un petit tour… Enfin, si ça ne dérange pas les gens, bien sûr.

Elle n’a pas envie de perturber la vie et le fonctionnement du village – être perçue comme une intruse la handicaperait pour la suite, et n’inciterait pas les habitants à accepter de parler avec elle. Elle doit avant tout gagner leur confiance – ou, en tout cas, ne pas apparaître comme un facteur de trouble ou de gêne.

- Et après, si certaines personnes avaient envie de discuter un peu… Ce serait avec plaisir.
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- Rim.

C’était un nom simple. Brid le répéta pour s’assurer qu’elle le prononçait correctement.

A la question de l’étrangère, Brid contempla les os familiers. Elle se rappelait la première fois qu’elle les avait vu, elle aussi. Elle était enfant, les adultes se réduisaient à des armées de jambes, de grosses voix, de mains qui la poussaient dans la bonne direction.

Une fois derrière la rangée d’os elle s’était sentie en sécurité pour la première fois depuis longtemps. Peut-être pour la première fois toujours.

Deux oiseaux de mer survolèrent les femmes en lâchant des criaillements tandis qu’ils se disputaient un seul gros poisson. Brid leva les yeux vers eux avant de répondre.

- Les os veulent dire que nous vivons avec la mer. Nous sommes les… souffleurs d’os, c’est ce que signifie Sísaíg cnámeis. Si tu allais à Vigsoneigad, tout serait différent parce qu’ils ne sont pas proches des plages.

La réponse était pragmatique et Brid n’étant pas doneigad, elle n’en avait pas d’autres. Les os montraient ce qui faisait la spécificité du village, ses artisans. Si Brid y réfléchissait, elle ne savait pas si des artisans s’étaient installés ici à cause des ressources abondantes de l’océan ou si les villageois étaient devenus, au fur et à mesure, doués dans ce domaine précisément à cause de leur environnement.

- Ce sont des décorations.

Brid ne connaissait rien à l’art guerrier. Elle ne s’était jamais demandé si la palissade pouvait avoir un quelconque but dissuasif. Si elle avait conscience que les clans n’avaient pas toujours en paix, elle n’était pas née à une époque de discorde et Vígnámrí avait longtemps été un village très influent sur l’île. Personne n’aurait osé l’attaquer.

- Il peut aussi s'agir d'une marque de... grandeur.

Ajouta Brid après s’être fait cette réflexion, sans parvenir à trouver le mot qu’elle cherchait dans la langue des étrangers. Prestige.

- Je dois aller préparer à manger. Tu verras le village sur la route. Reste pour partager le repas.

Proposa Brid avant de demander :

- Tu veux acheter des choses ?

Il fallait qu’elle s’en enquiert car, de cela, les artisans de son village lui seraient reconnaissants. C’était probablement ce que le Màl aurait attendu d’elle.

Une fois suffisamment proche des portes de Vígnámrí, Brid pressa un peu le pas pour aborder une femme qui prenait de l’eau au fleuve.

- J’amène une étrangère.

Lança Brid à la cantonade, dans sa langue, pour tous ceux qui avaient probablement déjà commencé à les dévisager.

- Elle souhaite visiter le village et rencontrer les nôtres.  

Ajouta Brid, ce qui fit naître sur les lèvres de la femme une question : d’où venait l’étrangère ? Brid y avait songé tout en omettant de s’en enquérir directement auprès de Rim. Elle pivota sur ses talons pour l’aviser avant de dire :

- D’où viens-tu ?

Cela ne changerait pas grand-chose. Brid n’avait pas de préférence pour un groupe d’étrangers ou un autre. D’autres pouvaient ne pas partager son avis. Mais c’était l’invitée de Brid et elle était décidée à poursuivre l’idée qu’elle s’était mise en tête, aussi lui fit-elle signe de lui emboîter le pas derrière la rangée des immenses os de baleine.

Brid remarqua à peine les quelques têtes qui se tournaient sur son passage. Saisie par la familiarité des lieux, elle se rappela de ralentir pour permettre à Rim de scruter les alentours tout son saoul. La terre battue sous leurs pieds était parfois truffée de gravier pour qu’elle garde sa structure malgré les précipitations. Un groupe de chasseurs passa devant Rim et Brid, sur leurs épaules de belles peaux tannées et des os d’andrigs, larges comme quatre mains, sculptés et reliés par des cordes pour que les scènes illustrées à leurs surfaces se suivent.

- Ils préparent la Grande Chasse.

Expliqua Brid à l’intention de Rim face à cette procession. Parce que cette dernière était inhabituelle – inhabituelle pour une Native – elle se sentait obligée de fournir un éclaircissement. Autant de chasseurs ne devraient pas être rentrés des bois et des plaines à cette heure-ci !

Brid prit particulièrement soin de passer devant l’atelier des travailleurs de cuir et près de celui dont sortaient les poteries lui servaient de rangement pour presque tout. A coté de ces bâtiments, comme près des habitations, pendaient des globes suspendus par des fils. Pour le moment inertes et éteints, on ne pouvait guère distinguer leur utilité, mais l’absence de bougies dans les environs était manifeste.

Après une dizaine de minutes, Brid arriva près de son feu – il ne lui appartenait pas mais c’était tout comme. Il était marqué par une petite pille de coquilles vides dans laquelle fourrageait un oiseau de mer. Brid le chassa d’un sifflement.

Son feu était excentré du chemin principal qui menait de l’entrée du village à la demeure du Màl autour duquel se trouvaient la plupart de l’agitation. Brid fit signe à Rim de s’installer à son aise, l’âtre comptant des sièges de cuir et d’os, pas un similaire à l’autre.

Brid s’assit sur la chaise qu’elle prenait toujours, à la place qui lui permettait d’avoir un œil sur la falaise et d’apercevoir l’écume qui sautait parfois à sa rencontre et léchait la pierre en longues bandelettes blanches. Elle raviva les braises avec une barre de métal qui n’avait rien de native. Trouvée sur la plage, probablement échappée du ventre d’une épave, il devait s’agir à première vue d’un barreau ou du pied métallique d’un objet. Pour se protéger de la chaleur, Brid lui avait fixé une poignée de cuir.

Brid creusa son trou habituel, puis enroula les coquillages dans une peau propre laissée à sécher non loin. Elle enfouit le tout dans l’âtre et le borda de braises ondoyantes, pour permettre à la fumée et à la chaleur de cuir le tout. Elle aimait l’arrière-goût de fumée.

Avant qu’elle ne se prenne de passion pour les trésors de la plage, on mangeait moins de crustacés et de mollusques dans son village. Il avait fallu tester des cuissons différentes avant de trouver celle qui lui plaisait. Brid avait trouvé l’entreprise amusante et stimulante. Elle aimait découvrir par elle-même.
Cependant, maintenant, elle avait une renaigse sous la main et pouvait donc avoir son avis sur la question. Elle lui adressa un regard et désigna leur futur repas.

- Tu en as déjà mangé ?

Dans un instant, il serait temps de partager la pitance et Brid savait qu’en plus de venir en réclamer, des villageois sauteraient sur l’occasion pour s’intéresser à Rim.
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Rim acquiesce doucement en entendant l’explication de la Native à propos des grands os blancs qui entourent le village. Le clan des souffleurs d’os… Ça lui dit quelque chose, en effet – des artisans doués pour sculpter les os de baleine, si ce qu’elle a lu est juste. Elle aimerait bien sortir son carnet pour prendre quelques notes, mais elle craint de troubler Brid, de lui faire perdre son naturel – et de ralentir ensuite leur traversée du village. Comme souvent, c’est à sa seule mémoire qu’elle va devoir se fier pour retenir les informations que lui livre la femme. Elle a l’habitude.

La Native lui propose ensuite de l’accompagner préparer à manger et, après un court moment de surprise, la conteuse approuve de nouveau. Aucune solennité dans la visite que lui offre Brid, nulle grandiloquence un peu gênée ou affectée qui les aurait sans doute mises toutes les deux mal à l’aise. L’aider à cuisiner, partager son repas… Rim est à la fois étonnée et heureuse de tant de simplicité, de la part d’une femme qui la connaît à peine. Et, même si elle ne l’avouerait pour rien au monde, touchée, aussi.

- Merci.

Son sourire est pleinement sincère.

Sur le chemin, Brid lui demande si elle souhaite acheter des choses, et Rim réfléchit un instant – à vrai dire, elle n’avait pas songé à cette possibilité, mais puisque le clan est réputé pour ses artisans… Pourquoi pas ? La jeune femme n’aime pas amasser des biens inutiles – disons plutôt qu’elle n’en a jamais eu l’occasion – mais rapporter un objet de Vígnámrí lui plairait. Son premier village natif… Oui, ça lui ferait plaisir. Et puis, ça pourrait peut-être lui servir pendant ses veillées de contes, qui sait ? Tâtant dans la poche de son pantalon, elle constate qu’il lui reste encore quelques pièces de monnaie, et elle hoche la tête avec enthousiasme.

- Absolument, oui ! J’aimerais bien me procurer une petite sculpture en os, puisque c’est la spécialité de votre village…

Lorsque les deux femmes arrivent à proximité de l’entrée de Vígnámrí, Brid hâte le pas et abandonne brièvement la conteuse pour, sans doute, annoncer leur venue – bien que Rim soit tout à fait incapable de comprendre la totalité des échanges, elle parvient à saisir quelques mots au vol : étranger, village… Son début d’apprentissage de la langue des Natifs ne se révèle finalement pas si décevant qu’elle l’avait cru.

Puis Brid se retourne pour demander à la conteuse d’où elle vient – une question certainement initiée par les autres villageois – et Rim, un très bref instant, hésite. Elle sait que les relations entre l’Alliance du Pont et les Natifs sont tendues, et devine qu’il est possible qu’elle se fasse moins bien accueillir si elle révèle cette appartenance… Mais un mensonge risquerait d’être aisément découvert. Aussi décide-t-elle d’opter pour la vérité – sans insister dessus.

- D’Hikmet, se contente-t-elle donc d’énoncer d’un ton neutre, le visage impassible. Puis, laissant un sourire gagner ses lèvres et essayant d’articuler du mieux possible la formule rituelle qu’elle a apprise, à destination des habitants qui la dévisagent toujours : Beurd tír to mad. Merci de m’accueillir chez vous.

Sa dernière phrase a été prononcée dans sa propre langue, mais elle suppose que Brid ne doit pas être la seule à la parler et que d’autres, dans la foule, ont pu la comprendre.

Quelques secondes plus tard, les deux femmes pénètrent dans le village sous les œillades curieuses ou scrutatrices des Natifs – mais sa guide semble n’y attacher aucune importance, et Rim décide de suivre son exemple. Les gens finiront bien par s’habituer à sa présence – et puis, elle sait qu’elle n’a pas l’air très menaçante, avec sa silhouette mince, les tatouages sombres qui se devinent sous ses cheveux et ses vêtements et le sac usé qui lui pend à l’épaule… La jeune femme laisse donc la curiosité guider son regard – elle aimerait pouvoir tout voir, tout distinguer, et tout graver définitivement dans sa mémoire. Les maisons, les ateliers, les objets – certains dont l’utilisation est évidente, d’autres bien plus énigmatiques. Au passage d’un groupe de personnes chargées d’os et de peaux, Brid évoque la préparation d’une grande chasse, et Rim hausse les sourcils tout en détaillant la procession avec intérêt :

- La grande chasse ? Qu’est-ce que c’est ?

Au bout d’une dizaine de minutes de marche, toutes les deux arrivent finalement à côté d’un feu où s'installe la Native. La conteuse s’assied près d’elle tandis que la femme ravive les braises d’une main experte, avant d’enfouir dans l’âtre une poignée de coquillages. Si Rim n’en a jamais vu à Al Saad – la ville est bien trop loin de l’océan pour proposer des fruits de mer au tout-venant et, là-bas, même le poisson est un mets de choix –, elle a en revanche eu l’occasion d’en goûter à Hikmet à quelques reprises. Une texture qu’elle juge un peu étrange et un goût qu’elle ne trouve pas très prononcé, mais pas déplaisant.

- Un peu, oui. J’ai déjà dû en manger deux ou trois fois.

Puis, se rappelant soudain des règles les plus élémentaires de la politesse :

- Je ne suis pas très bonne cuisinière, mais tu veux que je t’aide à quelque chose ?


Même si Brid a l'air de très bien se débrouiller toute seule.
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Ce fut un joli sourire tout simple que Brid rendit à Rim. Ce langage-là semblait universel entre les étrangers et son peuple, nota la cueilleuse.

Quand Rim acquiesça à l’idée d’acheter quelque chose, et qu’elle formula son choix, Brid prit un instant pour réfléchir. Elle connaissait plusieurs sculpteurs personnellement. D’autres, elle n’avait fait que les croiser. Freyja, qui jadis chassait, partageait à une époque les chemins que Brid empruntait toujours. A présent, elle pliait l’os entre ses doigts habiles. Brid ne savait pas à quoi Freyja était occupée, aujourd’hui. Il lui suffirait de zieuter dans le village qui était en vue mais il n’était pas question de remettre Rim entre les mains de n’importe quel sculpteur. Il en faudrait un qui ait l’envie de commercer directement avec les étrangers, parle leur langue. Brid savait que plusieurs artisans cochaient ces critères et espérait qu’attirer l’attention de Rim ne se transformerait pas en combat de mouettes.

Si les villageois furent surpris de voir débarquer une femme du Pont chez eux, peu marquèrent davantage qu’un haussement de sourcils. L’un d’eux opina machinalement du chef. Brid n’était pas plus encline vers un groupe d’étrangers ou un autre. Elle se contenta donc de dire :

- Ah. Tu es donc une lionne.

Brid n’avait jamais très bien compris ce qu’était vraiment un lion, et c’était le nom qui avait le moins de sens à ses oreilles. Cela avait à voir, lui avait-on expliqué, avec le symbole qu’arborait les membres de l’Alliance, une sorte de silhouette fantasque qu’ils nommaient ainsi. Peut-être le premier émissaire de l’Alliance avait-il tenté d’expliquer cette effigie aux premiers Natifs qu’il avait croisé et que le mot était ensuite parti de là.

- Tu viens du Nord. Tu as bien fait de venir dans ce village car d’autres ne vous aiment pas.

Brid se sentit tout de même obligée de le préciser tandis qu’elle avançait dans le village. Peut-être Rim le savait-elle déjà, ce n’était pas un rappel désuet. Brid ne le prononçait pas avec désapprobation, elle semblait parfaitement indifférente à l’animosité de Vigsoneigad envers le Pont, comme elle était indifférente à l’établissement du Pont sur Teer Fradee.

Brid suivit du regard les offrandes pour la Grande Chasse qui s’éloignaient sur les épaules des chasseurs tout en se demandant ce qu’il lui était permis de dire au sujet de l’évènement. Elle savait que les renaigse n’avaient découvert qu’une partie infime de l’île et de ses habitants, qu’aucun n’avait été vu près du village où se déroulait l’évènement, caché dans les épaisses forêts de la montagne. Cependant, rien n’obligeait Brid à révéler la localisation de la Grande Chasse en expliquant son fonctionnement :

- On choisit un chasseur qui porte le costume d’un andrig blanc. Il se fait chasser toute la nuit par les autres chasseurs. S’il est assez malin pour ne pas se laisser attraper, il y aura beaucoup de gibier dans l’année à venir. Sinon… On fait plus de provisions.

La fin de l’explication était assez pragmatique mais Brid n’envisageait pas les choses autrement. Plusieurs années, elle avait vu l’andrig blanc être attrapé, et plusieurs années elle avait simplement chômé davantage avant l’hiver, au cas où. C’était un avertissement qu’il ne fallait pas ignorer, rien de plus.

Une fois près de son feu, Brid déclina l’aide de Rim d’un signe de la main.

- Il n’y a rien à faire sinon attendre.

Jugea-t-elle en se laissant aller dans sa chaise qui aurait pu facilement en contenir deux comme elle tant Brid avait la silhouette étroite.

- Que mange-t-on dans ton pays ?

Demanda Brid, à la place, puisqu’il fallait attendre que la cuisson se finisse. Elle ajouta :

- Que mange-t-on quand on est longtemps sur un bateau ?

Cela l’intéressait tout particulièrement. Elle avait tant de mal à se figurer la vie sur ces planches… Les embruns gâtaient les aliments à une vitesse vertigineuse sur terre, alors soumis uniquement à leurs caprices ils devaient s’amollir le temps d’un battement de paupière.
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- Je sais, se contente de répondre Rim à l’avertissement de la Native.

Certains clans de Teer Fradee sont effet hostiles à l’Alliance du Pont, elle ne l’ignore pas – comme ce fameux village des montagnes dont lui a parlé Dilay… Mais par chance, son annonce ne semble provoquer aucun remous parmi les habitants qui l’entourent – à peine quelques haussements de sourcils de-ci de-là – et Brid elle-même ne paraît guère réprobatrice. Ses paroles sont énoncées sur le ton de la constatation, rien de plus – et la cordialité de cet accueil soulage immédiatement la conteuse. Se faire accepter par les villageois ne devrait pas être si compliqué que cela.

La jeune femme écoute avec intérêt les explications de la Native à propos de la grande chasse – qui n’est en fait pas une vraie chasse mais plutôt une sorte de célébration, apparemment… Ou une chasse métaphorique. Un homme déguisé en animal – elle doit fouiller dans sa mémoire pour se rappeler ce qu’est un andrig –, poursuivi par des chasseurs afin d’augurer de l’année à venir… Les yeux brillants, elle observe avec un regain de curiosité le petit groupe qui s’éloigne – elle adorerait pouvoir assister à ce genre d’événements. À présent qu’elle y réfléchit, les Natifs organisent sans doute de nombreuses cérémonies… Certaines d’entre elles sont-elles ouvertes aux étrangers ?

- Est-ce que tous les clans de l’île participent à cette grande chasse ?

Au vu de la description de Brid, cela ne l’étonnerait pas, et elle ne peut s’empêcher de s’interroger sur les relations exactes qu’entretiennent entre eux les différents villages. À quel point sont-ils unis, ou au contraire isolés et repliés sur eux-mêmes ?

Une fois assise près du feu, Rim incline la tête lorsque sa compagne lui conseille de patienter – puis, à la question de celle-ci, réfléchit un peu :

- Mmmh… On mange beaucoup de choses à base de céréales, de blé surtout – comme du pain, des galettes… De la viande, aussi, ou du poisson si on se trouve à proximité de la mer ou d’un cours d’eau… Des fruits, des légumes… Et puis des œufs, et aussi beaucoup de produits à base de lait comme du fromage, du beurre, de la crème…

D’ailleurs, ça lui fait penser qu’elle n’a jamais vu d’animaux d’élevage, sur l’île, ni aucune culture – en tout cas chez les Natifs. Cela signifie-t-il qu’ils ne consomment ni lait ni œufs ni céréales ?

Elle s’apprête à poser la question, mais Brid est plus rapide et l’interroge à nouveau. Ce qu’on mange… sur un bateau ? La demande la surprend – et, au souvenir de ses repas à bord du navire qui l’a conduite à Teer Fradee, elle ne parvient pas à réprimer une grimace. La nourriture n’était clairement pas la meilleure partie de son voyage.

- Eh bien… Quand on reste longtemps sur un bateau, c’est très difficile de bien conserver les aliments… On mange donc assez mal, et un peu toujours la même chose – et puis tout est toujours très salé, pour favoriser la conservation. Des biscuits secs, du lard, du fromage, du poisson, quelques légumes secs de temps en temps… Je me souviens qu’ils avaient aussi embarqué des animaux vivants pour les tuer en cours de route – des poules, des porcs, des moutons… Mais leur viande était surtout réservée aux passagers les plus importants.

Pas elle, en somme.

- Et puis il y avait de gros problèmes avec l’eau, aussi… À la fin, il restait tellement peu de stocks d’eau potable que pour la remplacer, ou l’accompagner, on était obligés de boire de l’alcool. Plein de gens sont tombés malades…

Ce souvenir lui fait froncer le nez.

- Pourquoi ? Les bateaux t’intéressent ?

Vígnámrí étant proche de la mer, peut-être Brid entretient-elle une relation particulière avec l’océan et les étranges créatures qui chevauchent son écume ?

- Et chez vous ? Qu’est-ce que vous avez l’habitude de manger ? interroge-t-elle à son tour avec curiosité. Vous cuisinez souvent des fruits de mer ?

Elle ponctue sa question en désignant le plat qui cuit doucement face à elles, tandis qu’une odeur délicatement salée se répand lentement dans l’air.
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- Oui.

Répondit Brid à la mention de la Grande Chasse. Elle se corrigea cependant, avide de se montrer la plus précise possible :

- C’est rare qu’un ne vienne pas.

Il y avait toujours de drôles d’années ou des défaites amères qui poussaient un clan à ne plus se montrer aux célébrations de l’île. Ou alors le Grand-Roi devait trancher un désaccord et il ne l’avait pas encore fait, les clans ne voulaient pas se fréquenter tant que les affaires en cours n’étaient pas départagées.

Brid avait à peine des bribes de souvenirs du visage du Grand-Roi tant elle l’avait croisé peu de fois. Le précédent n’était pas ainsi lui avait appris Efa. Maintenant n’était pas tout à fait le moment d’y réfléchir. Brid était dure au labeur mais rêvassait facilement quand elle en venait à socialiser, et il était inconcevable de confier ces pensées à une étrangère.

Bien installée, Brid écouta Rim lui décrire le régime alimentaire des Lions. Son visage étroit était détendu dans une expression qui mélangeait la curiosité et le contentement. Elle aimait s’assoir dans cette chaise et regarder la mer, une invitée en plus rendait la chose plus intéressante, c’était, aux yeux de Brid, aussi simple que cela.

- Je ne sais pas ce qu’est du… fro-ma-ge ? Du beurreuh ?

Lança Brid en articulant bien, d’une façon presque comique. Les sonorités faisaient naître dans l’esprit de la cueilleuse des images qui ne devaient pas vraiment correspondre à ce que Rim évoquait. On ne peut pas imaginer ce qu’on n’a jamais vu, mais il n’en fallait pas beaucoup à la routinière Brid pour se sentir dépaysée. Quelques mots suffisaient.

Ce qui était moins charmant, ce fut la description de Rim de son voyage sur les flots. De l’alcool ? Brid avait une vague idée de ce dont il s’agissait, elle avait vu des étrangers en amener pour faire du troc. C’était une boisson dont l’odeur l’incommodait. Elle n’imaginait pas devoir se passer d’eau pour ne boire que ça. Elle n’imaginait pas devoir se passer d’eau tout court. Si Tir Fradi avait une chose en abondance, c’étaient bien ses rivières, ses rus et ses fleuves. La cueilleuse sourit pour elle-même, sourit de sa propre naïveté. Stocker l’eau, elle n’y avait même pas pensé, tant elle était habituée à l’abondance, mais évidemment l’eau de mer était impropre à la consommation.

- L’intérieur du bateau n’est pas assez grand pour prévoir plus ?

Brid retourna le mot « sel » dans son esprit. Celui-là non plus elle ne savait pas ce qu’il désignait, même si elle en avait en réalité déjà vu.

- Comment dis-tu que vous protégez la nourriture ?

Elle demanda avant d’avoir une petite moue en scrutant Rim, comme si elle pouvait déceler dans les méplats de son visage la trace d’un mal quelconque.

- Tu ne décris pas quelque chose de joyeux. As-tu été malade ?

Il semblait à Brid avoir le ton que prenait Efa pour s’inquiéter de sa prétendue maigreur. Cela aussi amusa la cueilleuse.

A la question de Rim au sujet des bateaux, Brid se contenta de répondre :

- Oui.

Elle ne savait pas décrire davantage la fascination qu’ils lui inspiraient ni les raisons de son engouement à l’idée de pouvoir copier, de façon réduite, les embarcations de bois. Elle réfléchit, en se grattant légèrement la joue du bout de l’index, à se lancer dans une explication mais comme elle craignait que cela finisse comme un plat dans une mare, elle n’ajouta rien. L’étrangère lui avait posé une question, une question que Brid interprétait comme fermée, et elle lui avait répondu.
L’autre interrogation de l’étrangère était, elle, plus large, et Brid prit soin d’y répondre :

- Nous ne cuisinons pas beaucoup de coquillages ou de poisson. Nous mangeons de la viande, des tiges, des feuilles, des racines, des baies, des champignons, de la mousse… Selon ce qui est bon à être mangé. Il y a des œufs quand la saison le veut. Les villages mangent différemment parce que ce qui peut y être consommé est différent.

Brid se redressa. De son tison improvisé, elle déterra sa peau, et la tire vers elle avant d’en sectionner ce qui la retenait fermée. La peau semblait servir de grande table, et Brid divisa sa cueillette en portions, qu’elle mit chacune dans des récipients en terre cuite. La chaleur des coquillages s’y diffusa immédiatement, d’une façon plutôt agréable pour les mains dans le climat rigoureux de l’île. Brid remit sa part à Rim, qui n’était pas franchement plus grande ou plus petite que les autres. La cueilleuse mit une partie des récipients d’un côté de sa chaise, loin de la route, comme préservés avec en tête des gens précis. Les autres, elle les plaça à portée de tous et alla passer son tison sur un tas de bout d’os qui pendaient d’une grande perche de bois, placée à l’horizontale, soutenues par deux autres. Les os s’entrechoquèrent, comme pour lancer le signal tacite que l’heure de venir se servir était venue. Brid disposa avec soin plusieurs tabourets autour de l’âtre et le raviva avec du bois pour que les braises deviennent flammes. Elle vint ensuite se rassoir et leva un coquillage vers Brid, dans un geste qu’un continental aurait pu prendre pour un toast.

- Le fait de manger des coquillages c’est moi qui en ai l’idée. Elle prend.

Brid eut un bref sourire malicieux. Elle était fière d’elle, pourquoi le cacher ? Avec satisfaction, elle se mit à manger.
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Comme Rim le supposait, Brid ne connaît pas les produits préparés à base de lait, et la jeune femme réfléchit quelques secondes pour en donner une définition aussi simple et précise que possible.

- Eh bien… Chez nous, en Gacane, nous élevons des animaux. Nous leur donnons à manger, nous les gardons enfermés dans des prés… Et ces animaux produisent du lait – tu sais, c’est ce que boivent les bébés ou les petits des animaux quand ils tètent leur mère. Nous prenons ce lait et, avec, nous produisons des aliments : c’est de là que viennent le beurre et le fromage. Le beurre est souvent ajouté à la préparation de certains plats, comme les gâteaux, tandis que le fromage peut se manger seul. Ça a souvent une odeur et un goût très forts, il y a des gens qui n’aiment pas beaucoup ça…

Elle esquisse un sourire.

- Un jour, je pourrai te faire goûter, si tu as envie de découvrir !

Sa description de la vie à bord d’un bateau arrache ensuite une petite moue désapprobatrice à la Native et, à la nouvelle question qu’elle lui pose, Rim secoue légèrement la tête.

- Ça dépend des bateaux, je suppose… Et aussi du nombre de passagers. Mais dans le navire où j’étais, nous étions vraiment beaucoup : il y avait donc à la fois moins de place pour la nourriture et plus de bouches à nourrir. Les repas étaient toujours rationnés. Et puis il faut aussi faire attention au chargement du navire : si c’est mal réparti, ça peut déséquilibrer le bateau et le faire couler plus facilement…

Pas les souvenirs les plus joyeux de sa traversés – et, en se rappelant cette anxiété diffuse qui ne quittait jamais réellement les passagers, elle ne peut s’empêcher de froncer les sourcils.

- On protège la nourriture avec du sel.


Sa réponse ne fait naître chez Brid qu’un regard perplexe, et la conteuse s’efforce de réfléchir de nouveau à une définition. Ce n’est pas facile d’expliquer et de décrire des choses qui lui ont toujours paru aller de soi – mais c’est incontestablement un bon exercice.

- Le sel… Comment expliquer…

Son regard dérive sur la mer qui scintille au loin, hérissée de vaguelettes et d’oiseaux-acrobates, et une idée lui traverse l’esprit.

- Tu vois la différence entre l’eau de mer et l’eau qui coule dans les fleuves ou les rivières ? Quand tu la bois, l’eau d’une rivière est douce, comme l’eau de pluie. Mais tu ne peux pas boire l’eau de la mer, elle pique, elle a mauvais goût, elle assèche la bouche… C’est parce qu’elle est salée. C’est ça, le sel.

Le ton que prend alors la Native pour l’interroger est soucieux, presque inquiet, et Rim laisse échapper un petit rire amusé.

- Malade ? Oh, presque tout le monde est malade, la première fois qu’on monte sur un bateau… Mais ce n’est pas à cause de la nourriture. Les vagues et le balancement du navire donnent souvent mal au cœur, mal au ventre… Alors oui, il y a très souvent des gens qui vomissent, au début. Et je n’y ai pas échappé non plus.

Et, puisque Brid semble réellement curieuse et intéressée, elle rajoute, d’un ton docte où se disputent le faussement sentencieux, l’ironie et l'aversion :

- Ça s’appelle le mal de mer.

Si la Native n’est ensuite guère diserte sur sa curiosité vis-à-vis des bateaux, la conteuse décide d’insister un peu :

- Pourquoi ?

Puis, pour aider son interlocutrice qui paraît hésiter à se lancer :

- Vous n’avez pas de bateaux, vous ? C’est pour ça que ça t’intéresse à ce point ?

La description du régime alimentaire des Natifs est en revanche beaucoup plus fournie, et Rim l’écoute attentivement. Viande, œufs, champignons, végétaux… Visiblement, ils mangent donc tout ce qu’ils peuvent chasser, cueillir ou ramasser sur l’île – et même, encore plus précisément, autour de leur village. Ni agriculture, ni élevage.

- Et vous n’avez pas d’animaux… à vous ? Dans le village ? Apprivoisés et domestiqués pour vous servir à quelque chose, vous être utiles ? Ou même… vous donner de la viande ?

Elle ne connaît pas encore très bien la faune de Teer Fradee mais certaines des bêtes qu’elle a déjà eu l’occasion d’apercevoir – les andrigs, justement – lui font penser aux bœufs du continent : les Natifs les utilisent-ils de la même manière ?

Rim demeure immobile lorsque Brid se redresse pour sortir les coquillages de l’âtre et en tendre une part à la conteuse, qui l’accepte avec un sourire. C’est avec curiosité que la jeune femme observe ses gestes, de la valse des récipients en terre cuite à la mélodie des os qui s’entrechoquent – mais elle ne retient pas le nouveau sourire qui se dessine sur ses lèvres quand la Native lui apprend qu’elle est à l’origine de l’idée des coquillages.

- C’est une bonne idée. Tu aimes donc les expériences, la nouveauté.

Une constatation appréciatrice.

- Merci pour la cuisine, et bon appétit !
répond-elle au mouvement de la Native, avant de porter un coquillage à ses lèvres et de souffler doucement dessus.
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Brid hocha la tête vers Rim pour lui indiquer qu’elle savait effectivement ce qu’était du lait. Elle n’avait jamais songé qu’on pouvait en faire grand-chose d’autre que de le boire frais. Parfois, il caillait… Et dans ce cas, son goût était effectivement particulier. Peut-être était-ce cela que Rim évoquait. Mue par une curiosité paisible, Brid répondit :

- Oui. Merci.

Cela sous-entendait qu’il faudrait que Rim revienne, si elle voulait lui apporter des produits de son peuple. Cela ne dérangeait pas Brid. Certains étrangers aimaient rendre des visites régulières au village.

- Es-tu une aventurière ?

Demanda Brid en articulant bien le dernier mot. C’était ainsi qu’un Yeux-Jaune particulièrement volubile s’était présenté au clan. Son nom était Adamo. Brid faisait en sorte de rarement le croiser, car il parlait vraiment beaucoup et en agitant les bras si fort qu’elle avait peur qu’il éborgne un jour quelqu’un.

Elle écouta la description du navire que Rim lui fit. Tout ce que disait l’étrangère semblait logique avec ce que Brid s’était imaginée, mais une fois encore elle n’aurait pas pensé à ces contingences seules. Cependant, à la lumière de ces explications, elles semblaient tomber sous le sens.

- C’était mal fait.

Nota Brid puisque Rim soulignait qu’il n’y avait pas assez de nourriture pour tout le monde. Comme elle participait à la planification de l’amassement de denrées chaque hiver depuis bientôt vingt ans, Brid se sentait en droit de critiquer une organisation aussi hasardeuse.
L’information sur le sel piqua particulièrement l’intérêt de Brid.

- Je ne connaissais pas le mot.

Dit-elle, car elle savait bien, grâce à la description de Rim, de quoi elle parlait. Il existait des gisements de cristaux sur l’île qui avaient les propriétés de l’eau de mer qu’on fait sécher au soleil, ces gros dépôts de matières grisâtre. Brid s’abstint cependant d’en faire part à Rim. Elle n’éprouvait peut-être aucune inimitié envers les étrangers, il y avait cependant des choses qu’il fallait garder pour soi. Elle nota mentalement d’essayer ce dont Rim lui parlait, d’enrouler une venaison ou un morceau de poisson dans une croute de sel, de patienter et de voir.

Le sel était trop rare sur Tir Fradi pour être utilisé quotidiennement, mais ce serait une expérience intéressante.

- Mal de mer.

Répéta Brid. Une maladie que donnait l’océan.

- Est-ce aussi le cas sur d’autres eaux ? Sur la rivière, sur les lacs ?

S’enquit-elle avant d’avoir un mouvement de la tête. Elle semblait vouloir la secouer et la hocher à la fois. A la place, elle parla :

- Non, nous n’avons pas de bateaux. Rien qui y ressemble. Oui, c’est pour cela.

Inutile de faire des secrets à ce sujet, l’information n’avait rien de compromettante. Une fois Rim assez accommodée aux alentours, elle verrait bien que les Natifs n’avaient ni filets, ni radeaux, ni navires.

- Nous avons des andrigs pour des charges lourdes. D’autres villages savent faire manger des ulgs ou des vailegs dans leur main… J’ai Saya.

Expliqua Brid tout en réfléchissant. Quelqu’un dans le village avait adopté un tetra et elle savait que certains clans des marais utilisaient des moutons qui paissaient parmi la tourbe pour leur laine. De là à les garder tout près d’eux…


- Nous chassons pour la viande. Pourquoi nourrir un animal que nous comptons tuer ?

En plus de rendre obsolète tout ce que les chasseurs savaient faire, Brid se serait elle retrouvée avec un sacré labeur. Si chaque cerf, chaque oiseau abattu avait dû être élevé à la main jusqu’à l’âge adulte… Elle eut un bref sourire. La prairie aux alentours ne suffirait pas. Dix semblables non plus.

- S’il reste des choses à découvrir j’aime les trouver.

Approuva la native après un silence. Elle semblait chercher ses mots. Elle eut un sourire pour Rim en la voyant manger. Elle-même ne se priva pas. Deux personnes vinrent successivement prendre une portion de coquillages, en saluant à chaque fois Brid, puis Rim après un regard surpris ou dubitatif. Brid n’eut rien à leur expliquer. Son attitude paisible devait signifier pour quiconque passait près que la renaigse était une invitée, et si Brid n’avait jamais personnellement invité qui que ce soit dans le clan, elle ne comptait pas se justifier.

Brid couvait du regard Rim, en coin, s’assurant qu’elle se restaurait à sa fin, car elle aurait fait une bien piètre hôte dans le cas contraire. En outre, elle n’avait pas oublié ses larmes quand elle s’était dirigée vers elle.

- C’est une belle vue. C’est une vue reposante.

Nota Brid à cette pensée en désignant les alentours. Puis, elle demanda :

- Tu parles un peu notre langue ?

Elle l’avait entendu saluer les veilleurs à l’entrée du village mais n’avait pas encore croisé de renaigse qui parle réellement correctement le yecht fradi.
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Une aventurière ? Rim réfléchit un instant. Elle n’aurait pas utilisé ce terme de son propre chef mais, après tout… C’est vrai qu’elle a décidé de partir s’installer sur une île où elle ne connaissait personne, pour faire un travail qu’elle n’avait jamais exercé jusqu’alors. Est-ce que ça fait d’elle une aventurière pour autant ?

- Je ne me définirais pas vraiment comme une aventurière… Mais j’aime découvrir les choses que je ne connais pas, c’est vrai. Elle laisse s’écouler une seconde de silence avant d’ajouter : En fait, mon travail à moi, c’est conteuse. Je raconte des histoires aux gens. Est-ce qu’il y en a aussi, chez vous ?

Le mal de mer semble intéresser la Native, qui interroge davantage la jeune femme à ce sujet. Rim esquisse un sourire à sa question.

- C’est possible, oui… Mais c’est surtout le cas quand l’eau bouge beaucoup. C’est pour ça qu’on a surtout le mal de mer sur l’océan – parce qu’il y a souvent des vagues, alors que l’eau d’un lac est beaucoup plus calme. Et puis ça dépend des gens, certaines personnes y sont plus sensibles que d’autres. Et c'est aussi une question d'habitude...

Les Natifs élèvent donc des animaux, eux aussi – mais uniquement pour les aider dans certaines de leurs tâches, visiblement. Pas pour la viande. Prendre soin d’une bête que l’on finira par tuer… C’est vrai qu’énoncé de cette manière, cela paraît un peu absurde – ce qui tire un sourire ironique à la conteuse. Tellement de choses sont de toute façon absurdes, en Gacane…

Le silence s’installe pendant quelques minutes au début du repas. Les coquillages ont vraiment bon goût – Rim ne se rappelait pas apprécier à ce point les fruits de mer, et elle ne peut s’empêcher d’en faire le commentaire à la cuisinière :

- C’est très bon, bravo !


Quelques personnes se rapprochent pour chercher à leur tour une portion de coquillages, coulant vers la conteuse des œillades curieuses ou intriguées avant de lui glisser une salutation à laquelle elle répond en souriant, interrompant brièvement son repas. Elle aimerait bien entamer la conversation avec eux, mais pour le moment ils ont sans doute plus envie de manger que de discuter avec une inconnue. La jeune femme essaiera de parler avec eux un peu plus tard.

Comme en écho à ses pensées, Brid l’interroge alors sur sa pratique de leur langue et Rim prend soin de finir de mastiquer son coquillage avant de lui répondre :

- J’ai commencé à l’apprendre, un peu… Mais ce n’est pas facile, toute seule. D’ailleurs, est-ce que tu accepterais de m’aider à la pratiquer ?
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Conteuse. Brid adressa un regard un peu sceptique à Rim et lui répondit :

- Des gens qui racontent des histoires ou des histoires ?

Son visage se fendit ensuite d’un sourire un rien malicieux.

- Il existe un endroit où il n’y a pas d’histoires ?

Cela lui semblait impossible. Outre les histoires que les clans se racontaient, chacun avait sa propre narration, bien installée au fond de son petit crâne. Elle-même s’était bercée comme on se gorge de la voix d’un conteur en observant les flots ou la forme particulièrement biscornue d’un arbre dans la forêt, la taille de son tronc… Depuis combien de temps était-il planté sur Tir Fradi ? Qu’avait-il vu et connu ? Et elle se prenait à rêver sur ce temps dont seul le vent parlait, quand il murmurait entre les branches…

Si certains renaigse n’avaient pas d’histoires, leurs vies devaient être tristes, décida Brid.
Alors qu’elle écoutait Rim décrire le mal de mer, la cueilleuse se demanda si certains clans, tout là-haut dans les montagnes, savaient mettre du matériel en flottaison. Ils avaient des lacs dans les hauteurs, où l’eau était tranquille. Autour de Vignamri, il n’y avait que des rivières, des fleuves et des rus et tous étaient plus ou moins verticaux. Il allait plus vite de les remonter à pied que de lutter contre le courant.

- Qui fabrique les bateaux ? Comment appelle-t-on ce qui le font ?

Relança Brid comme Rim avait l’air disposée à répondre à ses questions. La cueilleuse lui en était reconnaissante. C’était une drôle de rencontre, mais une rencontre bienvenue. Brid ne cernait toujours pas très bien ce que Rim voulait. On aurait dit que se trouver ici, regarder les alentours, le village, la contentait. Elle ne venait pas faire commerce, mais elle avait dire être conteuse…

- As-tu des histoires que tu viens donner ?

Cela, ç’aurait été intéressant, une façon plus amusante d’échanger que les bouts de métal que les étrangers donnaient d’habitude.

Tandis que Brid gobait ses coquillages, elle sourit à Rim parce que celle-ci venait de la complimenter.

- Merci. C’est un secret de fabrication de mon peuple maintenant. Il faudra le garder. C’est la première épreuve.

Le ton de Brid faisait paraître la chose très solennelle mais ses yeux brillaient, espiègles. Ce n’était pas comme si la façon de fumer les coquillages étaient le premier jalon pour devenir doneigad… Brid aimait taquinait tout le monde mais il fallait bien dire que les réactions des étrangers étaient parfois les plus amusantes.

Ce fut avec décontraction qu’elle accueillit la demande de Rim. Après tout, pourquoi pas ? Elle n’avait cependant jamais rien enseigné à personne et ne savait pas vraiment par où commencer.

- Qu’en feras-tu, si je t’apprends ?

S’enquit Brid, davantage par curiosité que par méfiance. Elle n’avait guère d’idée quant à l’usage néfaste qu’on pouvait faire de l’usage d’une langue, peut-être parce que la guerre sur l’île ne ressemblait jamais à une guerre d’informations, et qu’il n’y avait pas d’espions parmi les Natifs, ni de traces écrites.

- Dis-moi quelque chose. Toute une phrase.

Proposa-t-elle. Ce serait peut-être le meilleur point de départ ? Fallait-il la corriger sur son accent ou ses accords en premier ? Ou plutôt tenter d’enrichir son vocabulaire ? Brid avait pris la dernière voie pour apprendre la langue des étrangers, mais il lui avait fallu connaître un rien de structure en premier, à bien y réfléchir. Elle avait appris les mots selon la situation et avait écouté parler parfois pendant des heures. De la nécessité naissait plus de ressources. Les étrangers étaient venus sur l’île pour la première fois quand Brid était déjà jeune fille. Il n’y avait personne pour faire la traduction à l’époque.
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