Fiadh, fille d'Ena, fille de Sinald - Native - Voglendaiga

Comment osait il ?

Il l’avait traitée de gamine immature. Elle ! Tout ça parce qu’elle avait osé lui dire qu’il était temps qu’il fasse d’elle une Doneigad ! Cela faisait maintenant cinq cycles qu’elle était on ol menawi, cinq cycles qu’elle apprenait à se servir des plantes, qu’elle parcourait ces marécages puants, apprenait à apaiser les bêtes d’un simple contact ! Elle était par certains aspects plus puissante encore que cette vieille chouette hirsute d’Oisin, mais il osait la considérer encore comme une gamine !

Avec colère, elle crocheta une branche basse d’un de ses arbres favoris de son avant-bras droit, se propulsa dans les airs pour grimper avec plus d’aisance que n’importe quelle bête pourrait le faire, et s’étendit lascivement sur une branche épaisse et solide. Son regard se perdit dans le ciel.

Voilà qui l’attirait bien plus que les racines et la puanteur du marécage. Elle savait, bien sûr, que ce marécage était autant En on mil frichtimen que le vent, la forêt, ou les montagnes… Mais s’il avait donné Tir fradi à son peuple, c’était pour qu’ils choisissent l’endroit qui leur convenait le mieux. Et Fiadh savait une chose : sa place à elle était aux sommets.

Son but à elle était de faire partie des guerriers de la tempête, ou de n’importe quel clan qui lui permettrait de changer de vie. Elle savait une chose : elle détestait Vigsoneigad, sa routine, ses habitants qu’elle connaissait depuis toujours et qui refusaient de changer, se contentaient de l’immobilité !

Elle rêvait de plus. Elle savait qu’elle le méritait. Parce que… Alors qu’elle devait faire son rituel de lien, Oisin l’avait accompagnée à travers l’île pour trouver où elle ferait son rituel. Ensemble, ils avaient arpenté l’ile, et c’était encore aujourd’hui la plus belle semaine de sa vie. C’était la première fois qu’elle s’éloignait du village, et découvrir la nature dans toute sa diversité l’avait impressionnée. C’est en haut d’un col rocheux qu’elle trouva sa voie. Ses pas se firent plus pressés, jusqu’à pratiquement courir pour arriver au prochain lieu sacré.

Le paysage s’étendant devant elle la stupéfia. D’ici, elle pouvait voir presque toute l’île, du volcan aux côtes. La forêt, les marécages… Ce n’était pas le fait de dominer l’île qui la faisait vibrer, mais quelque chose de plus profond, de bien plus puissant. D’ici, elle prenait enfin conscience de la nature d’en on mil frichten. Ici, elle réalisait soudain sa place.

Et elle l’oublia presque aussitôt. Son épiphanie l’amena à effectuer le rituel, et elle demeura avec son maître quelques jours non loin de ce lieu, avant de redescendre. Et alors, toute cette sagesse, toute cette connaissance, toute cette sensibilité s’évanouit.

Cela la terrifia.

Alors, elle s’empressa d’apprendre toujours plus, toujours plus vite, elle exerça sa conscience à aller plus loin, plus vite, elle apprit les effets de toutes les plantes, de tous les baumes. Elle inventa même de nouvelles recettes, qui se révélèrent efficaces et faciles à mettre en place. Mais elle n’atteint jamais de nouveau cet état de grâce.

Alors, elle se mit à voyager plus loin, à partir en pèlerinage à travers l’ile, pour retrouver cette sensation. C’est ainsi qu’elle fit la rencontre de la Congrégation Marchande. D’abord un peu effrayée, elle finit par approcher d’elle-même un camp d’éclaireurs. Elle soigna un des leurs d’un poison violent, et discuta avec eux. Par la suite, elle se lia d’amitié avec eux et les revit régulièrement, ayant même une amourette secrète avec l’un d’eux.

Cette relation se termina cependant très vite, Fiadh préférant se concentrer sur ses études. Elle se plongea à nouveau dans ses recherches, bien que son amitié avec les Renaigse l’occupe de temps en temps au cours de ses pélerinages, et sa frustration ne fit que croitre.

D’une façon ou d’une autre, elle quitterait ce village et trouverait sa véritable place.

Demander aux membres de sa famille de décrire Fiadh ne serait pas très encourageant. Immature, Arrogante, Colérique, Capricieuse…

La vérité est moins simple. Dans sa jeunesse, Fiadh était une jeune femme dure, mais juste. Curieuse, éveillée, elle semblait à l’époque assez mature, en partie parce qu’elle était très calme et raisonnée. C’est pour cela que le clan choisit d’en faire une doneigad. C’était un choix judicieux : Certains allaient jusqu’à voir en elle la future tierna harh cadachtas.

Et cela devint la première chose qui la fit changer. Dans son esprit, une logique tordue, malsaine, commençait déjà à naître. Si elle était véritablement la future tierna harh cadachtas, ne méritait elle pas de vivre dans un clan plus prestigieux ? Elle serait un guide, et nul n’imaginait que les doneigada de l’île entière se rendraient à Vigsoneigad pour obtenir des conseils philosophiques. Non, lorsqu’elle serait doneigad, mieux, la première doneigad, elle irait trouver un clan qui serait à sa hauteur !

Son rituel de lien l’aida dans un premier temps. Il lui confirma son potentiel, et effaça ses doutes. Elle serait tierna harh cadachtas, c’était maintenant évident… Elle fut apaisée, et put enfin dormir sans angoisser, sans craindre de ne pas être à la hauteur.

Depuis toutes ces années où les adultes fondaient leurs espoirs sur elle, prétendaient voir en elle un grand avenir, toutes ces années où elle feignait la maturité pour être à la hauteur… Enfin, elle savait qu’elle y arriverait. Qu’elle n’était pas un imposteur. Elle en pleura de joie.

Mais en ol mil frichtimen était parfois cruel. Lorsqu’il lui retira cette sensibilité, cette sagesse, elle eut l’impression qu’on lui arrachait tout ce qu’elle avait jamais possédé. Redevenir une simple mortelle, éloignée de son dieu, si banale… Elle était de nouveau un imposteur. Une menteuse, si elle osait raconter son expérience. Qui sait ? Peut être même qu’elle serait bannie pour mentir ainsi sur son expérience, pour se prétendre plus en communion avec en ol mil frichtimen que les autres ?

Chaque nuit, Fiadh souffre de ces pensées. Avec le temps, sa peur est devenue de la hargne, de la rancœur. Elle en veut à ceux qui l’ont placé dans cette impasse, à ceux qui lui refusent ce qu’elle a vécu. Elle n’est pas devenue plus arrogante, plus colérique, ou même plus égocentrique. Elle n’a fait que devenir celle que les autres voyaient en elle.

Du moins… C’est ce qu’elle se dit. La vérité, c’est que les personnes l’entourant sont conscientes de cela. Sa mère, Ena, fut la première à s’en rendre compte, mais d'autres suivirent. Durant toutes les années de formation de sa fille, elle fit au mieux pour l’aider à dépasser ses démons, à comprendre que sa place dans le monde commençait par sa place dans le clan. Elle lui excusa tous ses caprices, toutes ses colères. Elle lui excusa ses injures et son mépris.

Et Fiadh, elle, ne s’en voulut jamais.