[Petite annonce] Eden - Augustus, Octavius et Aldéric

-Tout à fait une native avec des bois sur la tête ! Loué soit le Lumineux elle vient s’instruire chez un professeur ! »

-Ah ! Moi aussi j’ai déjà croisé une native avec des bois sur la tête, la mienne était même Voglendaig ! » répliqua Aldéric à son interlocutrice, une jeune demoiselle soignée sur elle et aux cheveux blonds.

Et donc un Nádaig, c’est un ancien doneigad, mais bien sûr avant ça c’était un voglendaig. Mon père est doneigad et il a deux voglendaiga. Pensa-t-il pour lui, décidemment ce virelangue ne le quittait plus. Il esquissa un sourire vers la demoiselle, il faudra qu’il le lui enseigne à l’occasion.
Le notaire ne savait hélas toujours pas comment prononcer « Voglendaig » correctement. De manière amusante par ailleurs, ni lui ni celle avec qui il échangeait ne savaient qu’ils parlaient de la même personne.

C’était la première fois qu’Aldéric venait à San-Matheus. Il avait accompagné l’un de ses clients pour rencontrer des contacts commerçants de ce dernier. Il s’était presque perdu en chemin dans un détour improbable en pleine nature et de fil en aiguille il c’était retrouvé à accompagner une jeune chanteuse prometteuse au Grand concours annuel d’Art Thélémite, sur la place centrale de la ville.
Ce fut pour lui l’occasion de découvrir un peu la ville, du moins le trajet entre son auberge huppée, la demeure d’un tailleur (l’un des fameux partenaires commerciaux de son client) et la place principale de San Matheus.

C’était à la fois une ville comme une autre et une ville totalement singulière. Un versant familier, un versant déconcertant. Il y avait quelques similarités avec Nouvelle-Sérène en ce que c’était un bastion de civilisation au milieu de nulle part fièrement installé en Teer Fradee.
Mais même pour lui qui venait de Peren, la singularité Thélémite était frappante. C’était difficile pour le notaire de percevoir certaines subtilités de l’architecture, de comment la ville était agencée. Tout cela lui apparaissait comme une drôle de fantasmagorie, ou le familier épousait constamment l’inconnu pour brouiller tous ses repères. Il se dégageait de San Matheus une impression de tranquillité, d’ordre et d’une population plus sage et rangée que celle de la Congrégation.

Avec aussi un goût parfois questionnable en matière de tenue vestimentaire. Les gens de bonne famille se drapaient dans une sobriété affolante, dans des vêtements ternes et froids. La demoiselle qui l’accompagnait, si elle était très sympathique au demeurant, en étant un excellent exemple : elle avait de jolis yeux bleus, une belle chevelure soignée mais tout son charme était éteint par sa tenue et son air de petite fille sage.

Ils étaient presque arrivés à destination. Cela faisait plusieurs longues minutes que le duo trottait dans la ville. La demoiselle lui appris, après une énième ode au Lumineux, que le thème de cette année était « Eden ». Elle en avait l’air tout à fait ravie, ça n’inspirait pas grand-chose au notaire en réalité. « Eden » c’était bien vague et suffisamment large pour englober un bon paquet de n’importe quoi.
Cela dit, de ce qu’il connaissait de l’art Thélémite il savait d’expérience que si l’on arrivait à passer outre le prosélytisme (Et il était une cible parfaite, dans son costume bleu et or qui criait « Congrégation marchande »)

S’il n’y avait pas autant de monde, Aldéric aurait certainement manqué la place centrale. D’accord elle vrombissait de belles gens, d’artistes et de leurs œuvres mais quoi, ça c’était une place centrale ?
Pas un étal de marchand à vue de nez, pas de commerçant qui beugle ses prix, pas de rabatteurs qui essaye de ramener le badaud dans son établissement louche.

Décidemment, cette ville était bien trop sage pour le notaire. Heureusement qu’ils savaient y faire en œuvre d’art, c’était bien le seul avantage des adeptes du lumineux, leur foi leur donnait une inspiration et une créativité inattendue pour réaliser des créations certes très codifiées mais aussi très jolies.

Allez Aldéric, pensa-t-il pour lui-même, il est l’heure de s’engouffrer pleinement dans le Concours annuel des arts ! Que ce premier jour soit mémorable !

Malgré les nombreux croquis qu'il avait sous les yeux, rien ne semblait fonctionner. Ils étaient loin d'être raté, il pensait même que plus d'une personne ne trouverait aucun défaut à ces anneaux. Mais lui il voyait, il savait que ça n'allait pas aller. L'anneau ne conviendrait pas à son porteur : c'était une certitude.

Depuis qu'il était arrivé sur l'île, il avait l'impression de ne plus avoir le même facilité qu'avant à créer. Un comble pour un artisan et un artisan réputé. S'il ne pouvait plus créer d'anneau qui soit à la hauteur des attentes de ses clients et surtout à ses attentes à lui, qu'allait-il bien pouvoir faire ? Ces ruminations revenaient souvent et il savait pourquoi. L'angoisse d'avoir laisser sa vie derrière lui, sa famille, son compagnon, son atelier...pour venir ici. Il était persuadé au fond de lui d'avoir fait le bon choix, il se sentait étouffer sur Gacane, comme si sa vie était au point mort, mais il n'arrivait pas pour l'instant a se faire à cette vie sur l'île.

Et voilà qu'il recommençait a réfléchir a tout ça. Ce n'était pas comme ça qu'il allait sortir de cette phase de blanc. Il fallait qu'il s'aère l'esprit, qu'il découvre de nouvelle chose et il se trouvait justement à un endroit où il avait tout à découvrir.

Il posa son nécessaire de dessin et se leva en faisant quelque tour dans son atelier. Il regardait les anneaux exposé en vitrine, peut être était-ce le moment de réfléchir à nouveau sur la fabrication d'un anneau. Augustus avait écrit plus d'un traité sur ce sujet car ça le passionnait réellement et il sentait que certain moment demandé une nouvelle réflexion. Il était songeur en regardant la rue, son esprit était remplie de questionnement et une se détacher des autres après quelques instants a regarder dehors...il y avait beaucoup plus de monde qui se dirigeait vers la place centrale.

Il fonça vers son calendrier, peut être avait il oublié quelque chose ? Il était toujours friand des différentes animations qu'il pouvait y avoir en ville et là, il avait failli oublier celle là. Sur son calendrier était écrit "Grand concours annuel d'Art Thélémite". C'était juste parfait !

Il monta à l'étage afin de mettre une veste, toujours dans les ton sombre et sobre. Ce n'était pas des étoffes bon marché, encore moins un noir produit en série. Ses vêtements était de très bonne facture, ce ne serait pas étonnant qu'ils viennent d'un tailleur et les noirs était parfaitement assortie. Dans la poche de sa veste était glissé un mouchoir rouge, c'était la seule touche de couleur.

Il sortie de sa boutique en fermant a clef et se dirigea de bonne humeur à travers les rues, en suivant les passants parce qu'il savait où se situer la place centrale mais il n’était pas à l’abri de se perdre quand même.

Lorsqu'Augustus arrivait sur la place centrale, l'excitation du moment montait en lui. Il avait hâte de voir ce que les artistes de cette année avait préparé pour le thème "Eden". De nouveau talent, des nouvelles idées, c'était tout ce qu'il lui fallait. Il salua quelque personne qu'il croisait avec le sourire. Peut être qu'il devrait participer à un prochain évènement ? Un marché ou une exposition d'artisan, ça lui permettrait de faire quelque chose de nouveau.

Son regard avait été attiré à une exposition d'une sculptrice tout à fait talentueuse avec laquelle il discutait sur ses idées, ses méthodes, son cheminement de pensée. Il se sentait étonnement à sa place, chose qu'il n'avait pas ressentie depuis des mois.

Le grand concours d'art Thélémite. Un événement de grande ampleur qui réunit aussi bien les plus démunis que les fortunés, les croyants et les hérétiques, les locaux et les étrangers. Un événement qui réunit petits et grands dans un bric à brac de joyeuseté, élégance et expositions diverses et variées. Enfin, il parait.

Depuis deux ans que je suis arrivé sur Teer Fradee, je n'ai eu l'occasion de m'y rendre qu'une seule fois. La première année, j'étais en plein aménagement et la logistique de cette nouvelle vie me prenait trop de temps. Sans compter la prise de contact avec mes nouveaux... collaborateurs. J'ai pu me rattraper l'année suivante, ayant adopté un train-train de vie plus confortable. Je n'y étais qu'en simple visiteur, laissant mes yeux vagabonder sur les œuvres et mes oreilles épiant toutes les conversations.

Cette année, avec l'autorisation du cardinal Ceasar, je me suis inscrit pour exposer mes propres créations. En toute humilité, je me débrouille plutôt bien en enluminures. Je suis même plutôt bon pour embellir tous les papiers qui s'y prêtent. Et d'ailleurs, même ceux qui s'y prêtent pas. Mêmes mes brouillons ont droit à des décorations plus ou moins subtiles, je m'amuse à tester des couleurs, des formes, des poudres, des feuilles d'or. Ces dernières, si elles servent uniquement pour m'entrainer, son récupérées après emploi. On ne gaspille pas l'or.

Néanmoins, ces essais sont précieux pour me permettre, à minima, de maintenir mon niveau ; au mieux, m'améliorer. Je prends grand plaisir à réaliser ces exercices qui demandent minutie et rigueur. Il faut bien l'avouer, au départ, j'ai appris la calligraphie et ce qui s'y rattache uniquement pour qu'Octavius, le personnage, ait un métier lui permettant un accès à des informations intéressantes. Pourtant, c'est réellement devenu une passion, pour moi. Je crois, par ailleurs, que c'est mon intérêt sincère pour cette discipline qui rend mes enluminures aussi belles et émouvantes.

Ce concours d'art doit me permettre de me renouveler, d'avoir un regard neuf sur ce qui peut se faire dans les autres arts. La peinture est, bien évidemment, une source d'inspiration inépuisable ! J'aime bien la sculpture, aussi, au niveau des reliefs ; ça permet de mettre de la profondeur dans mes illustrations. La musique et le chant, ça par contre, ça m'inspire autant que de voir une vache se soulager. Entendre les louanges du Lumineux pendant vingt minutes de ballades, je m'en passerais volontiers. Ca les défriserait de conter les mérites des guérisseurs qui se battent chaque jour contre la malichor ? Des mages qui vont au casse-pipe pour le bon plaisir d'une dizaine de personnes ?

Je sens que le thème de cette année va me donner mal à la tête. Eden. Oh ! bien sûr, il m'a beaucoup inspiré. D'ailleurs, j'expose aujourd'hui une première illustration : un poème en alexandrins sur ce paradis mystique. Le plus intéressant n'étant pas les vers mais la gigantesque enluminure que j'ai réalisé. Haute comme un homme, l'arbre prend racine dans les dernières lignes, engouffrant ses radicelles entre les lettres. Le sommet du feuillage arrive à ma hauteur, d'un vert émeraude éblouissant. La toute première lettre représente un fruit, défendu ou non, je laisse libre l'interprétation. Pour l'occasion, je n'ai pas lésiné sur la feuille d'or et Ceasar m'y a plus qu'encouragé. Le vieux cardinal tient à montrer l'ampleur de sa richesse.

Alors, venez ! Et admirez.

-Pour sûr qu’il est magnifique votre tableau ! Quel dommage que mon jardinier ne soit pas avec moi ! Si seulement il avait ne serait-ce qu’une once de votre inspiration… » susurra le notaire au jeune homme, sur le ton du complot.

Son interlocuteur, le fameux jeune homme, souriait grand jusqu’aux oreilles avec l’air espiègle et ravi d’un premier de la classe qui se fait remarquer par son professeur. Même si le ton d’Aldéric était un peu léger et paternaliste, en grande partie parce que le garçon vu son âge pourrait très bien être son fils, il y avait le ton et la gestuelle chargé de félicitations.

C’était la grande inégalité entre les gens de la Congrégation marchande et ceux de Thélème. Les premiers, parce que leur but ultime était toujours le commerce se devaient d’exceller dans le relationnel, la flatterie voir la séduction. Et puis il n’y a pas meilleure école pour apprendre à glisser le bon compliment, employer le ton adéquat et chanter des mots doux que la vie des gens de bonne noblesse.
Les gens de Thélème eux, sauf quelques exceptions, étaient bien plus simples mais à ne pas sous-estimer. Sobres mais pas simplets.

-Vous honorez mon travail, mais ça n’est pas juste le fruit de mon travail c’est aussi le Lumineux qui guide ma main, loué soit-il. Et pour votre jardinier…. J’ai été inspiré par un bosquet qui n’est pas très loin de San-Matheus. Parfaitement dans le thème. » répliqua le jeune peintre, tout bas aussi avec un sourire polisson de garçon sage qui partage avec son camarade de classe un secret connu de tous.
-A la bonne heure ! J’irai le ramener dans mes valises la prochaine fois que je visite San-Matheus ! Très bonne continuation et bonne journée mon garçon, vous avez un sacré don cultivez le ! »
-Le Lumineux vous accompagne, monsieur de l’Aulnay. » répondit le jeune homme avec la plus grande des courtoisies.

Le notaire lui accorda une rapide demi-révérence avant de continuer d’explorer la place qui commençait doucement mais surement à grouiller de monde. Plus la fourmilière s’agitait et plus Aldéric était à l’aise, plus il pouvait se perdre (et par sa tenue typique de la Congrégation se démarquer) dans la foule et plus il était heureux. Le comble c’est qu’il avait été enchanté quand un habitant manqua de lui rentrer dedans par inattention et lui percuta l’épaule (Le pauvre c’était confondu en excuses), car c’était le signe qu’il y avait beaucoup de monde venu assister au concours.

Ils étaient bien charmants ces gens de San-Matheus. Dommage qu’ils soient comme tous les Thélèmites ; trop sages pour être réellement amusants.
En avançant vers un nouveau stand, Aldéric croisa un jeune homme soigné avec une « jolie » veste sombre, le jeune homme le salua d’un sourire alors Aldéric y répondit avec politesse. Une beauté toute relative que celle de sa veste toutefois ; une beauté de Thélème. Le vêtement était dans une belle harmonie de noir et les tissus d’excellente facture, semblable à ce que pouvait porter les gens de Thélème qu’il avait croisé dans sa jeunesse en Peren.

Pour quelqu’un de la Congrégation marchande bien sûr, une telle tenue était une double insulte au bon goût et à l’ordre social, c’était sombre, triste et d’une sobriété si violente qu’elle donnait envie de se faire du mal. Et par-dessus le marché, puisque c’était un tissu évidemment coûteux c’était un immense gâchis d’argent ! Quel gentilhomme est si peu respectueux des autres qu’il se permet de dépenser énormément pour un résultat si mauvais ? Quel gentilhomme est si peu respectueux de l’artisan qu’il lui commande avec le même budget qu’une pièce de haute qualité quelque chose de si creux ? Quel gentilhomme enfin, est si peu respectueux de lui-même qu’il ose sortir dehors avec un accoutrement d’une telle laideur ?

Bien sûr, tout cela n’aurait concerné ce jeune homme que s’il avait été un membre de la Congrégation marchande. Mais il fallait juger sa tenue dans son contexte, pour quelqu’un de San-Matheus il était très bien habillé.

En poursuivant son vagabondage sur la place, Aldéric eu l’œil attrapé par une grosse enluminure. Un arbre très bien réalisé, couronné d’un smaragdin éclatant. Décidemment, il aurait mieux fait de venir avec son jardinier parce qu’il était encore pris de l’envie de décorer sa demeure en voyant le tableau, à défaut d’être pris d’une inspiration religieuse.

Il s’avança alors vers le jeune artiste, un grand gaillard qui avait l’air charmant, propre sur lui et avec une moustache parfaitement soignée. Plus zélé qu’un missionnaire pour ressembler au parfait Thélèmite. Décidemment, l’uniformité de ces gens et leur ressemblance les uns avec les autres était troublante. (En réalité Aldéric, étranger de son état ne savait pas très bien différencier les différences subtiles dans les tenues des uns et des autres.)

-Bonjour mon garçon ! » lui lança-t-il chaleureusement, avec des grands gestes un peu exagérés. Aldéric était à Thélème, alors il devait jouer sa partition avec plus de grandiloquence que d’habitude, après tout il représentait toute la Congrégation pendant le laps de temps d’un échange !
-C’est un magnifique travail que vous nous présentez, vous devez en être très fier ! Qu’est-ce qui vous as donc inspiré ? Vous aviez un modèle ? Dites-moi tout ! »

- Et la main légèrement levé vers le ciel pour indiquer que le Lumineux l'accompagne. C'est tout bonnement prodigieux d'avoir fait de tel détail.

Il était penché au dessus d'une sculpture représentant un homme assis au pied d'un arbre. Sur le sol on pouvait voir ses traces de pas, comme s'il venait de s'y asseoir pour prendre le temps. Son visage était calme et il semblait s'endormir, les yeux fermés, la tête contre l'arbre. C'était Saint Matheus qui était représenté et dans cette position à demi éveillé, il levait légèrement la main dans un signe de remerciement. Augustus était vraiment stupéfait. La sculpture n'était pas très grande mais pourtant elle fourmillait de détail. Autour du saint, des fleurs parsemé le sol qui semblait être recouvert d'herbe grâce à la technique parfaite de la sculptrice.

- Eh bien, je vous remercie et je tiens encore à vous féliciter pour votre art. Puis-je prendre vos coordonnées ? Afin de pouvoir peut être vous commander quelque chose.

Il sorti un carnet et une mine de sa poche intérieur et nota ce que la sculptrice lui indiqua. Il était ravie d'avoir un contact qui lui permettrait de personnaliser un peu là où il vivait. Il n'avait emporter avec lui le nécessaire et son lieu de vie semblait encore bien vide.

Il remercia la dame et lui souhaite une bonne chance pour le reste de la journée. Il déambula encore quelque temps et c'est cette fois sur un enlumineur que l'attention d'Augustus fût attirée. Il se faufila parmi la foule de gens et atterri à côté d'un jeune homme de la Congrégation. Le concours avait fait venir aussi des gens de Nouvelle-Sérène. Il ne savait pas encore où était située la ville de la Congrégation alors il était agréablement surpris.

- Bonjour messieurs. Nous avons de la chance le Lumineux nous souri pour ce grand concours.

En effet, il se trouve qu'il faisait beau en cette journée, aucun doute sur le fait que le Lumineux éclairait cette journée qui avait l'art comme thème principal. Rien de mieux pour se sentir bien que de sentir son dieu avec soit, chose qu'Augustus avait du mal à ressentir parfois.

- Je ne savais pas que la Congrégation avait entendu parlé de ce concours. Dit-il en direction d'Aldéric avant de se concentré sur Octavius. Votre travail est vraiment magnifique, je suis d'accord.

Il regarda Augustus en souriant, attendant sa réponse à la question que l'homme avait posée. Ça promettait d'être intéressant.

Les passants passent et repassent, les badauds se bousculent, trépignent, chahutent, s'esclaffent et repartent. Bref, le concours se passe à merveille et chacun semble trouver son bonheur.

"Bonjour mon garçon !"

Ce n'est quand même pas à moi qu'il s'adresse, j'espère ? J'ai l'air d'avoir dix ans, peut être ? Il veut me donner une friandise, tant qu'on y est ? Venir de Nouvelle-Sérène ne lui donne pas le droit de me rabaisser à un âge, qu'il ne connait même pas !

Et pourtant, je lui fais un sourire aussi éblouissant que le soleil, ravi de son intérêt pour mon œuvre. Oh oui, brosse moi dans le sens du poils, dit moi à quel point c'est merveilleux. Ce serait bien la première fois qu'un escroc, pardon, un citoyen de la Congrégation serait sincère.

Je n'ai pas le temps de répondre qu'un autre homme s'approche, bien thélémite, cette fois-ci. Il me complimente à son tour et j'incline humblement la tête pour le remercier. J'adore, continuez.

"Le savoir faire thélémites n'a pas de frontière, il semblerait !" je m'exclame à la suite du baraqué.

Je maintiens mon sourire de façade en réajustant mes gants. Il est tant de charmer l'assistance.

"Cher monsieur, je commence en direction du premier venu, c'est le Lumineux qui m'a inspiré et qui a guidé mes doigts. Qui a guidé ma vie, également. Sans lui, jamais le cardinal Caesar n'aurait jeté son dévolu sur le simple secrétaire que je suis. Sans lui, jamais je n'aurais eu accès à toutes ces ressources qui me permettent aujourd'hui de lui rendre grâce. Mon don est infime à côté de tout ce qu'il m'a donné."

Euark ! Je me dégoûte. Ce goût acide, dans ma bouche, serait-ce le mépris que je m'inspire lorsque je déblatère des stupidités pareilles ? Allez, du nerf ! Ce concours doit assoir ma réputation et m'ouvrir de nouveaux cercles. Je regarde à présent les deux hommes.

"Pour tout vous dire, cet arbre n'est pas le fruit de mon imagination. Ce chêne, je l'ai vu au couvent où j'ai été recueilli. On m'y a donné nourriture et instruction alors que je n'avais plus rien. Représenter l'arbre du lieu qui m'a sauvé la vie me semblait être une belle façon de rendre hommage à un paradis dont nous rêvons, je pense, tous."

Sortez les violons et les mouchoirs, voici la tragique histoire du pauvre Octavius, orphelin, seul et malheureux ! Dix ans plus tars, c'est toujours aussi vrai. Pour autant, je revois clairement l'arbre qui m'a inspiré. Il était si beau. Il m'est apparu comme une évidence qu'il pourrait illustrer Eden. Un sourire nostalgique nait sur mes lèvres

Quelle hypocrite.

En voilà une paire de jeunes hommes (L’un n’était pas si jeune d’ailleurs à mieux y regarder) bien élevés et courtois, tout sourire et bonne manière. Contrairement à ceux de ses concitoyens de la Congrégation, en général les sourires d’ici étaient sincères et venus tout droit du cœur.

« Je ne savais pas que la Congrégation avait entendu parlé de ce concours » lui lança le jeune homme avec la jolie-laide veste sombre avant qu’il ne complimente à son tour l’artiste pour son travail.

-Ah ! C’est le fruit de la chance, ou bien peut-être était-ce le Lumineux qui a guidé mes pas ! Pour être parfaitement franc j’étais venu pour une tout autre raison à San-Matheus mais mon séjour coïncidait avec le concours. Je ne fais que voir des belles choses depuis ce matin ! C’est si agréable ! »

Le notaire était des plus sincère, sauf peut-être dans son compliment du Lumineux mais il fallait être agréable à ses interlocuteurs, une formule de politesse même si un peu malhonnête était toujours préférable à la vulgarité de l’ignorance. Rien de plus énervant que quelqu’un qui se prétend sophistiqué alors qu’il a la même connaissance des codes sociaux qu’un âne.

L’artiste alors qu’il expose humblement l’inspiration de son œuvre et de sa vie glisse, certainement sans le faire exprès, un grand nombre d’informations et de détails qui piquent l’intérêt du notaire. Il était donc secrétaire d’un cardinal ? Mais enfin mon garçon, il faut commencer par cela et utiliser la grandeur de l’homme dont on est l’ombre pour se donner de l’importance lorsque l’on se présente ! Ils ne savent vraiment pas y faire pour attirer l’attention sur eux ces Thélèmites….
Aldéric hocha doucement la tête pour ne pas interrompre le jeune homme, régulièrement il coulait même un regard approbateur vers Augustus comme pour vérifier s’il était lui aussi impressionné par la qualité du travail d’Octavius.

Et avant de répondre, le vieux corbeau lança un « Oh ! » impressionné, comme un croassement de validation. Même s’il avait un peu l’impression de surjouer son propre rôle, son expérience lui avait appris qu’il était capital pour ses relations avec les Thélémites d’exacerber son comportement, à défaut de quoi on le retiendra le lendemain comme un citoyen de la Congrégation comme un autre.
« Simple secrétaire…d’un cardinal ? Mon garçon vous êtes trop humble ! Nous y connaissons deux trois choses au travail d’un secrétaire dans la Congrégation, c’est un honneur de servir et d’assister un grand personnage chez nous, je suis sûr que ça l’est ici aussi ! Je suis sûr qu’il doit être très fier de vous si vous êtes aussi dévoué à son service que pour votre art ! »

Pas question de relever ce que dévoilait le jeune homme sur sa jeunesse d’orphelin en revanche, ce serait hautement discourtois de rappeler sa différence à quelqu’un qui semblait si dévoué dans son travail et si sérieux ! Tout de même, c’était un peu curieux de se livrer ainsi à deux inconnus. Peut-être était-ce une manifestation du vice d’un artiste ; ceux de la Congrégation avaient un tel égo qu’ils étaient souvent incapables de ne pas ramener la conversation à eux et utilisaient leur œuvre pour transcender leur vécu et donner du sens à leur traumatismes.

Bah. Ce devait être la même chose ici.

En effet, il semblait ne pas y avoir de frontière pour ce qui était de l'art sur cette île, du moins avec cet évènement.

- Ah ! C'est une heureuse coïncidence. C'est vrai que nos artisans ont du talent. Il y a beaucoup de chose très belle.

Augustus ne vantait pas le talent des artisans de sa faction comparé aux autres factions. Ça ne lui avait même pas effleurer l'esprit de penser à la Congrégation Marchande ou à l'Alliance du Pont. Il était juste très content de cet évènement et de sa journée. Il se vidait la tête, voyait des œuvres diverses et variées. C'était simplement une bonne journée.

- J'ai vu un sculptrice avec un coup de burin très interressant juste avant de m'arrêter ici. Vous devriez y jeter un coup d’œil plus tard.

Il s'adressait autant à Octavius qu'à Aldéric puis il écouta avec attention l'enlumineur parler de comment le Lumineux avait guidé ses pas jusqu'à sa création. Il avait l'air d'être quelqu'un de vraiment très passionné pour faire un tel discours, ou alors il avait un petit peu trop traîné avec des membres de la Congrégation, qui sait ? En tout cas, Augustus haussa les sourcils d’intérêt pour les dires du jeune homme, ainsi que de surprise lorsqu'il annonça qu'il était le secrétaire d'un cardinal. Ça ne changera pas son attitude, il se comporte toujours de façon correct mais c'est une information qu'il ne valait mieux pas prendre à la légère.

Cette œuvre représentait donc quelque chose de très personnel, un moment de sa vie qui n'avait pas été facile et il a décidé de représenté le souvenir de cette épreuve avec l'arbre qui trônait au couvent où il était. C'était assez touchant et c'est pour cela qu'Augustus aimait entendre les histoires derrières les œuvres, il y avait toujours un souvenir, un morceau de soi que l'on mettait dans ce que l'on créait.

- Je suis d'accord avec notre ami de la Congrégation. Vous n'êtes pas un "simple" secrétaire si vous êtes celui d'un cardinal. De plus je doute que ce soit une occupation aisée.

Un cardinal ne prendrait pas le premier passant comme secrétaire. Les affaires des gens hauts placés de Thélème étaient loin d'être simples et banales. Non, il devait avoir entre ses mains des documents importants, des informations confidentielles...ça devait être gratifiant et épuisant.


- C'est un bel hommage à l'llluminé, de voir en la terre qu'il a trouvé celle qui nous rassure le plus. J'aime beaucoup votre message.

En tout cas, c'est comme cela qu'Augustus l'avait compris.


- Puis-je me permettre de vous demander comment vous ai venu la passion pour l'enluminure ? Ce n'est pas très commun comme art que l'on exerce à côté de son travail et c'est une activité que je trouve sublime. Aviez vous accès a des livres très enluminés étant jeune au couvent ou est-ce venu plus tard ?

Ces questions l'intéressait réellement. Si c'était un art courant pour orner des manuscrits, en tant qu'exposant ça ne l'était pas tant que ça.