Courrier de Rosmunda

Nouvelle-Sérène

Madame Fornaro,

Je suis flattée que vous écriviez. Je vous remercie de cette attention, elle me va droit à cœur. Vous-même, comment allez-vous ? Cette soirée était atroce. Je n’ai qu’une joie, c’est que nous en soyons toutes sorties en vie, vous, Erika, et moi.

J’ai malheureusement dû garder le lit quelques temps. Le médecin dit que j’ai l’épaule froissée, quelque chose comme ça. Le muscle est abimé, ce n’est rien de grave. Je refuse tout bonnement que les bêtises de Kamil puissent me terrasser.

Vous ne me devez rien. Je n’aurais pas laissé le destin me mettre la mort de quiconque la conscience. Nous avons failli nous faire joyeusement zigouiller par un assassin Natif pour des affaires auxquelles nous ne sommes absolument pas mêlées. C’aurait été à la fois idiot et injuste.

C’est normal d’encore rêver des évènements. Peut-être qu’avec le temps, ce sera moins effrayant.
Vous-même, que faites-vous en ce moment ? Comment se porte le commerce ? Je ne peux pas vraiment sortir mais tout m’a l’air très morose au-dehors.

Joue-t-on aux cartes dans votre établissement ? J’y joue souvent à la taverne d’Erika. Je pourrais passer faire une partie chez vous.

Portez vous bien.

Nouvelle-Sérène

Madame Fornaro,

Vous êtes bien aimable. Je suis contente de vous avoir rencontré également. Je ne me rappelle même pas la façon dont Erika vous a présenté à moi. Dans quelles circonstances vous êtes-vous rencontrées ?

Vous avez bien raison de vous concentrer sur le futur au lieu de ressasser ce que nous venons de vivre. Comme je refuse que Kamil puisse me garder au lit, je refuse que les évènements hantent mes pensées. Malgré tout, il faudrait être sot pour ne pas agir même un petit peu en fonction d’eux.
L’argent est notre plaie à tous. Je ne suis pas dans une situation financière bien reluisante non plus. Investir dans un commerce semble très sage si on suit l’essor de Nouvelle-Sérène. Soyez pionnière en quelque chose et les gens fréquenteront votre établissement parce qu’il a été l’un des premiers et qu’ils ont l’habitude.

Je crois que c’est la façon la plus sûre de s’assurer un futur, l’immobilier. Ces belles leçons ne s’appliquent malheureusement pas à moi. Je n’ai aucune liquidité, et ainsi aucun moyen de même m’acheter le centième de la moitié d’une parcelle.

Mes projets ne sont pas bien différents des vôtres : je suis également aux abois et à la recherche de fonds. Quant à mes rêves, voilà un tout autre sujet. Ce qu’on fait dans nos songes a rarement d’emprise sur nos vies car ils ne sont pas très raisonnables.

Je ne saurais vous conseiller l’endettement. C’est comme une soirée très arrosée, ça paraît une bonne idée jusqu’à ce que vous vous réveilliez avec une gueule de bois carabinée. Mais si c’est là la seule façon de procéder, ne pouvez-vous contacter personne qui était présent à la fête ce soir-là ? Il y avait tout un tas d’importants personnages. Vous pourriez vous présenter comme une protagoniste des évènements qui font tant jaser. Je ne sais pas bien ce que ça vous rapporterait mais ma tutrice avait coutume de me dire qu’en affaires comme en amour, on jette plusieurs hameçons histoire de voir ce qui mord. Peut-être finirez-vous avec davantage de contacts ?

Ou quelqu’un pour venir jouer aux cartes. Je viendrai m’y atteler aussi vite que ma santé me le permet.

Nouvelle-Sérène

Madame Fornaro,

Avec tout ce barouf, j’ai été retenue loin de la ville pendant quelques temps. Je n’ai pu répondre à votre courrier ni même le lire, à dire vrai. J’ai trouvé votre pli en revenant. J’ose espérer que vous vous portez au moins un peu mieux. Je suis moi-même sur pieds.

Vous n’avez nullement à vous blâmer pour ne pas avoir mené cette mission à bien. On pourrait croire qu’un noble ne serait pas tant pingre qu’il embaucherait des gardes. Loin de moi l’idée d’insinuer que vous n’êtes pas capable de vous défendre mais enfin, ce n’est pas votre métier.

Vous êtes gentille. J’aimerais bien qu’il suffise d’être brave pour que les emplois tombent sur moi comme cette fichue pluie qui tombe depuis des jours.

Avez-vous songé à vous eu vent de ce Thaddeus Altieri ? Il a acheté de la terre et souhaite la revendre dans une vente aux enchères dans quelques temps, à ce qu’on m’en a dit. La ville va s’agrandir, il n’y a pas de toute là-dessus.

Les déboires récents font de Nouvelle-Sérène ma seule et unique villégiature. Je suis également, il se trouve, sans emploi. Une femme m’a conseillée d’écrire à Altieri si j’avais besoin de redorer un peu mes finances. Je trouve l’offre un peu trop belle pour être vraie car elle n’a pas été faite qu’à moi : ce type semble remuer l’adoration des foules qui cherchent à investir et à se bâtir leur coin de paradis sur cette île.

Je n’ai pas tout à fait confiance mais enfin, j’ai songé à vous malgré tout.

Il y a du travail, oui. A la caserne, on parlait du fait que le palais recrute pour racheter les terres d’un homme. Peut-être un peu de mercenariat ne ferait-il pas de mal s’il faut se mettre dans l’œil de Madame de Morange.

Quant au fait de savoir se vendre, nous sommes toutes les deux filles de la Congrégation, si je ne m’abuse. Il y en a probablement des plus douées que nous, mais être sous-estimées a son charme, à mon avis. Personne ne s’intéresse assez à vous pour comploter à vous faire des ennuis, ce qui vous laisse toute latitude pour concocter vos intrigues dans votre coin.

On ne vous accordera pas la confiance d’un prêt si vous n’avez pas confiance en vous en premier lieu – pas besoin que ce soit vrai, l’important c’est qu’on le croit.

Nouvelle-Sérène

Madame Fornaro,

Recevoir de vos nouvelles me réjouit.

Excusez mon écriture un peu emmêlée. C’est moi qui ne devrais pas partir en envolées de style. Je ferai en sorte d’être plus claire à l’avenir.

Je disais plusieurs choses : je n’ai pas d’avis sur Monsieur Altieri. Je le trouve ambitieux et opportuniste. Ce n’est pas une mauvaise chose. J’ai rencontré une femme qui travaille avec lui. Elle m’a fait une proposition mais je pense qu’Altieri propose de l’argent ou du travail à qui il peut. Il semble vouloir beaucoup de soutiens. De son côté, Madame d’Ortian semble vouloir des soutiens qui ont de l’argent.

Je disais également que, puisque vous disiez ne pas savoir vous vendre, je ne pensais pas que ce soit un problème. Je crois qu’il est bien de ne pas être toujours la personne que l’on remarque en premier. Être discret a ses avantages, ne pensez-vous pas ?

Je suis d’accord avec vous. Je n’ai pas besoin que mes employeurs aient une moralité parfaite. J’ai des valeurs personnelles et je ne veux pas les trahir. Parfois, il faut faire des compromis. Quand on a peu d’argent, on doit faire encore plus de compromis.

Je comptais aller voir Monsieur Altieri de toute façon. Y aller à deux serait très bien. Nous pourrions nous voir avant pour discuter de nos projets respectifs et de ce que nous allons lui dire exactement ?
Faites-vous toujours des cauchemars ? J’espère que non. Que vous allez bien.