Le Lumineux nous enseigne l'entraide ! [PV : Eulalie]

L’église à San Matheus est pas l’endroit que je fréquente le plus souvent. Et pourtant, par la Lumière, comme j’aimerai ! J’y suis pas allé assez pour m’en lasser et à chaque visite c’est une redécouverte ! En même temps, les fidèles s’emploient à l’embellir toujours plus, une dévotion qui fait plaisir à voir sur cette île qui reconnaît que trop peu son créateur… D’aucun me dirait que si j’aime tant San Matheus, j’ai qu’à y déménager, mais c’est pas si simple ! C’est à Nouvelle-Sérène que se gagne l’argent, que se rencontre le beau monde, qu’on sort de sa basse condition quand on est pas née avec une cuillère en argent dans la bouche, comme moi ! Alors oui, si il pouvait y avoir une belle église comme celle-là, ce serait parfait, mais en attendant je m’autorise six ou sept fois l’an à me rendre entre ces murs.

J’suis même pas encore dedans que j’entends une vieille qui sort en se plaignant « C’est si difficile de prier avec tout ce raffut ! » Oh comme je vous comprends ma bonne dame, mais si vous saviez comme ça l’est encore plus sans véritable temple près de chez soi… Mais moi, je ne compte pas me débiner. San Matheus c’est pas tout près, donc je compte bien en repartir le cœur léger. A l’intérieur, comme à leur habitude, les artistes et ouvriers y vont avec entrain pour rendre l’église aussi belle que celles sur le Continent ! Ce sera pas chose facile. Thélème existe depuis tant et tant d’années qu’il y a là-bas ce qu’ils appellent des « cathédrales » ! C’est des églises énormes, fleuron de l’architecture, mais j’ai jamais eu le loisir d’en visiter une seule. Et plus je passe d’années sur cette île, moins j’en aurais pour rattraper ce retard.

Je le concède à cette bonne femme, c’est bien bruyant là-dedans. A deux pas de la porte principale, le long d’un large pilier, ils ont carrément construit une petite grue en bois pour porter les imposantes statues qu’ils comptent disposer aux quatre coins de la nef ! Alors ça crie, ça avertit les fidèles de s’éloigner, ça beugle des ordres dans un franc parler assez choquant entre ces murs sacrés. Mais, à leur manière, ils oeuvrent pour le Lumineux alors je ne leur en voudrai pas. Ils font plus que moi, déjà. En parlant d’œuvrer pour le divin, la première chose que je fais à chaque fois que je viens ici c’est de glisser quelques sous dans un réceptacle fermé près de l’entrée. Ma façon à moi de me faire pardonner mes faibles visites et… mes péchés.

Puis j’avance entre les colonnes, entre les rangées de bancs en bois finement ouvragés. De nombreux fidèles y sont assis, tête baissée, alors qu’il n’y a même pas d’office en cours ! Ils sont juste dévoués à la Lumière. Inutile d’en parler bien longtemps, mais je suis on ne peut plus extatique à chaque pas supplémentaire que je fais en ce lieu. Ma foi est pareille à la soif qu’on peut ressentir. J’imagine qu’à la place de ces gens, à pouvoir m’entretenir tous les jours avec le Lumineux, à sentir sa présence à tout instant, j’aurai moins de bonheur à me retrouver ici, ce serait un rendez-vous plus ordinaire. Mais moi, Rosmunda, vivant à Nouvelle-Sérène, entourée par une impiété constante dans laquelle je me fourvoie parfois je dois l’admettre, chaque contact avec notre bonne église est comme un instant de respiration en pleine nage, il est vital pour moi.

A ce titre, lorsque je m’approche de l’autel principal, en marbre massif avec les vastes tentures colorées de partout et le grand soleil en or fixé dessus, je serais presque capable de sautiller sur place ! Mais je dois me contenir, tout le monde ici reste silencieux, je ne dois pas me faire remarquer. Alors je joins simplement les mains, sans pouvoir me débarrasser d’un sourire large et ridicule sur mon visage, et je salue enfin notre Seigneur.

- Lumineux, je murmure tout bas en fermant les yeux, ta fille Rosmunda te salue. Si tu savais comme je suis heureuse de te retrouver… Il m’arrive tant de choses en ce moment, sans ton secours je ne saurais comment survivre. Mais j’y parviens malgré tout, bientôt j’aurai assez d’argent pour ouvrir mon affaire et j’aurai plus de temps à te consacrer. Peut-être même pourrais-je édifier un petit autel à ta gloire dans la cave de mon auberge, afin d’y accueillir tes fidèles même dans cette pêcheresse de Nouvelle-Sérène. Il y a tant de choses que j’aimerai te dire, Lumineux, tant de choses…

Au fond de moi j’espère que je n’importune personne avec mes idiotes demandes, mais je ne peux concevoir que notre Seigneur m’entende parmi les autres si je ne prononce pas au moins faiblement ce que j’ai à lui raconter. Et puis ça me fait du bien, de sortir tout ça de mon corps, et le laisser entre ses mains. Un peu plus légère, je m’autorise à rouvrir les yeux, balayant mon environnement du regard et je sursaute presque en constatant qu’une jeune femme est proche de moi, face à l’autel !

Oh elle en fait une vilaine tête, ça oui ! A froncer les sourcils, face au Lumineux en plus ! Elle lui en veut ? Oh je ne pense pas, pourquoi en voudrait-on à Lui ? Allez savoir. Les gens ont parfois le cœur lourd d’histoires qu’on ne connaît pas ! Mais… oh j’ai de vilaines pensées. Ros tu es trop curieuse ! Tu veux savoir ce qui tracasse cette petite, ce n’est pas bien ! Elle est venue ici pour avoir passer un moment avec le Lumineux, pas pour bavarder avec une pauvre domestique ! Même si elle m’a pas l’air d’être de la grande bourgeoisie, mais on ne sait jamais !

Puis je fini par voir sa main. Elle a un bandage. Elle est blessée alors ? Est-ce que c’est une maladie ? La Malichor peut-être ?! Non, Ros, ne commence pas à voir le mal partout. Tu as déjà vu des pauvres malheureux atteints de cette horreur et ils n’ont pas juste une main blessée. Enfin, je n’en suis pas sûre… Et puis, atteinte d’un tel mal, je serais la première à me rendre ici pour quérir l’aide de la Lumière ! Mais je dois rester sérieuse, et réaliste, on est à San Matheus, cette malade serait déjà isolée et surveillée. Alors elle est simplement blessée, mais c’est déjà beaucoup !

Et voilà que nos regards se croisent. Tout mon corps me hurle de me cacher dans un trou de souris, mais je n’en ai pas vu dans les environs ! Je pourrais juste baisser les yeux, m’en retourner à mes prières, mais je n’y parviens pas. Son visage est absolument charmant. On sent qu’elle est jeune, mais qu’elle a vécu quand même ! Peut-être même un peu trop vécu, si elle est blessée. Mais le fait est que quand elle m’envoie un adorable sourire, j’y réponds tout de suite ! On peut dire que dans une telle cathédrale, c’est un rayon de soleil cette demoiselle ! Je m’apprête même à la saluer tout bas, pour pas déranger les autres fidèles, mais elle a l’air de se perdre dans ses pensées en tripotant son bandage. Quelque chose la tracasse, j’en mettrai ma main à couper !

J’y vais ? J’y vais pas ? J’y vais ! Hm. J’y vais pas. J’y vais… j’y vais pas ? Oh j’en sais fichtrement rien, c’est compliqué ! Dix contre un que je vais juste la déranger dans sa dévotion et foi de Rosmunda y’a rien de pire que ça ! Enfin, y’a la guerre sûrement, et avoir le ventre vide, et s’endormir avec les cheveux mouillés et devoir les brosser comme un forçat le lendemain en se maudissant de jamais écouter ses propres conseils. Oh puis zut, faut que je lui demande, sinon je pourrais pas dormir tranquille ! Je m’approche d’elle, gentiment, sans essayer de la surprendre non plus, et je commence à tendre ma bonne vieille main amicale qu’on me renvoie toujours.

- Dites, vous allez bien ? Vous vous êtes blessée ?

Le Lumineux nous enseigne l’entraide ! Alors qu’on s’entraide, bon sang ! Je vous le dis comme je le pense !

Son visage se tourna vers la personne qui venait de l'interpeller, affichant une surprise qu'elle ne chercha pas à camoufler ou à retenir, puis elle regarda la main tendue sans vraiment comprendre avant de la serrer également.

-Bonjour

Il faut dire qu'elle n'était pas des plus habituée au contact avec des nouvelles personnes, surtout quand les dites personnes avaient tendance à essayer de vous brûler. Elle se recomposa un sourire avant de poser son regard sur sa propre main.

-Oh, mh oui, je suis blessée, mais ce n'est rien du tout.

Fort heureusement, son bandage recouvrait bien sa brûlure, cela aurait quelque chose de fort embarrassant que de devoir raconter sa terrible origine. Surtout qu'elle ne pouvait pas vraiment dire que c'était accidentel, c'était trop flagrant.

-Je m'excuse de vous avoir dérangé dans votre prière.

Oh mais regardez-là, ses yeux ! Moi je fonds hein, moi une petite dame comme ça, qui a l’air de sortir d’un conte de fée, je peux pas résister à vouloir m’enquérir de son état ! Est-ce c’est une caractéristique des Thélémites que je connais pas ? Est-ce que les jeunes personnes de ce pays sont si choyées par un entourage aimant et baignant dans Sa Lumière qu’ils semblent plus purs ? Parce qu’à côté, vous avez Nouvelle-Sérène dont les enfants semblent déjà sortir de mille vies de misère ! Et j’exagère à peine ! Mais passons, cette jeune femme me dit qu’elle est blessée, que ce n’est rien du tout. Je dois être trop insistante, il faut que je me maîtrise pour ne pas lui faire peur…

- Oh j’espère que vous serez vite rétablie !

Voilà. Mieux vaut lui souhaiter un prompt rétablissement que de creuser jusqu’au bout du monde pour récupérer des explications. Si, à l’avenir, elle souhaite me dire d’où cela vient, elle le fera ! Mais voilà qu’elle me demande si elle dérange ma prière ! Et là vous voyez c’est la marque d’une personne aimable et bonne par nature, elle se demande très vite si elle dérange ! C’est vraiment adorable, je vous le dis comme je le pense ! Mais bien sûr que je ne vais pas lui confier tout ce que je me dis sur elle, sinon je vais passer pour une folle…

- Oh mais vous ne me dérangez pas le moins du monde ! Peut-être que moi je vous dérange ? Je suis désolé dans ce cas, vraiment, mais vous comprenez, vous avez l’air si… préoccupée. J’ai pas réfléchi, fallait que je vous demande si ça allait bien !

Armée de mon meilleur sourire, j’essaye de détendre l’atmosphère, même si le lieu ne s’y prête pas vraiment. Un petit silence s’installe, en espérant qu’il ne la mette pas mal à l’aise. Aller tant pis, j’essaye de le briser et si je vois qu’elle ne veut pas poursuivre cette conversation je m’en irais !

- Qu’êtes-vous venue demander au Lumineux, alors ? La santé j’imagine !

J’avouerai que, de mon côté, il s’agit de choses moins avouables, mais dont j’ai tout de même besoin pour vivre. A Nouvelle-Sérène, malheureusement, le Lumineux n’a pas grande emprise sur les âmes et on n’est pas aussi vertueux que dans cette bonne ville de San Matheus.

-Non, vous ne me dérangez pas le moins du monde, ne vous en faites pas. Je vous remercie pour votre préoccupation à mon égard, elle est touchante.

Et les mots d'Eulalie étaient pour une fois sincère dans un tel lieu. La jeune femme sourit en retour à Rosmunda, un sourire qui se voulait chaleureux même si elle n'était pas vraiment habituée à se composé un sourire, chaleureux ou non d'ailleurs.

-Absolument.

Un mensonge. Mais elle n'était ni dans le lieu ni en face de la bonne personne à qui dire la verité. Pourrait-elle la dire un jour à quelqu'un ? Rien n'était moins sûr à vrai dire.

-Je suis Eulalie, comment vous appelez vous ?

Elle lui tendit une main, pour la lui serrer, pas celle qui était bandée bien évidemment.

Quelle charmante jeune fille, pour sûr. Vous savez, moi j’ai pas vraiment l’occasion d’en croiser des comme elles. Des bonnes croyantes, simples, aimables, qui ont tout pour elles et seront bénies par le Lumineux aussi longtemps qu’elles garderont cette sublime vertu ! Par chez moi, on glorifie plus la ténacité avant toute chose, la roublardise, la richesse ostentatoire… Autant dire que la morale, les préceptes de l’Eglise, ce n’était pas monnaie courante de les voir respectés. J’ai toujours un peu peur qu’évoluer dans pareil milieu me pervertisse, moi aussi ! Mais quand je retrouve des personnes comme cette demoiselle, je me souviens qui je souhaite être et ce que je veux transmettre aux gens. La même douceur, la même lumière.

- Vous avez raison, c’est important la santé, c’est ce qu’on a de plus précieux. Le Lumineux souhaite que l’on vive pleinement sur le monde qu’il a créé, il faut le remercier en prenant soin de nous !

Un précepte que j’ai du mal à appliquer pour moi-même, toujours trop fatiguée ou lasse pour m’occuper convenablement de moi, mais ce n’est pas une raison pour pousser les autres, surtout les jeunes, à faire les mêmes erreurs ! Non vraiment, cette rencontre est de celles qui me feraient oublier tous les tracas du quotidien. Je sers la main douce et gracile que la dénommée Eulalie me tend. Elle sera sûrement surprise de sentir la mienne, caleuse et froide. J’en suis un peu gênée par ailleurs. Je baisse les yeux avec un sourire contrit.

- Enchantée Eulalie, moi c’est Rosmunda, ravi de vous rencontrer. Vous me paraissez jeune, depuis combien de temps êtes-vous sur cette île ?

Il est vrai qu’une demoiselle de son âge, je ne vois pas très bien pourquoi on l’aurait amené ici à part si elle accompagnait un parent. Elle doit avoir l’esprit robuste, pour supporter la vie ici à peine sortie de l’adolescence !