The Disaster Squad | Didi & Vaast & Lulu
Les distractions viendront, se disait-elle en pensant à Alix qui ne devait pas tarder à arriver. La grande pugiliste était douée d’une amusante curiosité, d’un humour digne de ce nom et elle savait se défendre. Cette dernière qualité lui avait valu une invitation de la part de la thélémite à rejoindre l’expédition. Ne prévoyant pas confronter les natifs ni chercher à les convertir, Luciana avait accepté la venue d’une personne extérieure à Thélème pour assurer leur protection lors de leur passage sur le territoire hostile.
Qu’elle ne fut pas sa surprise lorsque ce ne fut pas une belle grande brune qui entra mais un blond, à la tête encore plus haute et à l’air de… de… d’être tout sauf amusant. Le corps de Lucia se crispa et sa mâchoire se serra, une tension soudaine s’empara d’elle. Pour ne pas laisser paraître sa nervosité grandissante, la religieuse lança :
“Woah, Alix, t’as bien changée ! Tu boudes les couleurs maintenant ?”
En expédition, Lucia ne portait pas de grandes jupes -ça se prendrait dans toutes les branches et buissons de Teer Fradee !- mais un pantalon ample qui accentuait l’impertinence de sa position. Toutefois, devant cette nouvelle présence, ses pieds allèrent se planter au sol et son buste revint à une position perpendiculaire au sol. Dans sa poche, Lucia frottait nerveusement l’anneau magique qu’elle portait à son doigt.
La déserteur de l’Ordo Luminis se tenait prête à bondir et à fuir, plutôt mourir que de retourner au front. Ce qui l’empêcha de formuler à voix haute une remarque désobligeante à l’intention de son adversaire.
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
A ce qu’il semblait, il avait fini par réussir à épuiser les réserves de patience de soeur Juliette.
Non que ces réserves aient été particulièrement impressionnantes de base. Soeur Juliette n’avait pas le tempérament doux et compréhensif de ses subordonnés. Vaast n’avait jamais vu cela comme un problème avant - il fallait bien quelqu’un de déterminé pour mener tout ce petit monde à la baguette. Mais bien sûr, c’était moins drôle quand c’était à lui qu’elle s’en prenait.
-Vous m’écoutez, Vaast ?
Juliette faisait les cent pas dans son salon. S’il avait su qu’elle venait, aurait-il fait un effort pour au moins retirer les draps blancs sur les meubles ? Ce n’était pas dit.
-J’ai été indulgente. J’ai été compatissante. Le Lumineux sait que la guerre peut prélever un lourd tribut sur les esprits. Mais c’est une guerre sainte, Vaast ! Il nous faut être convaincus du bien-fondé de notre mission et avoir la conviction profonde que nous sommes là où nous devons être !
Elle ajouta quelque chose, mais Vaast décrocha. Il baissa la tête et se mit à examiner le parquet poussiéreux, espérant vaguement que sa fatigue passerait pour du remords.
-…pour ça que je vous envoie à tire-daube. Ou je ne sais plus comment ça se prononce. Mais bref, vous partez demain rejoindre une autre équipe le temps d’une expédition. J’espère que ça vous rappellera ce pour quoi vous êtes là. On aura besoin de vous pour protéger les autres.
Vaast releva les yeux, la bouche entrouverte. Il avait manifestement raté un chapitre important. Depuis quand pouvait-on l’envoyer au loin comme on envoie un mauvais élève au coin ?
Ah oui, depuis qu’il se comportait comme tel.
Soeur Juliette s’arrêta à la porte et posa la main sur la poignée. Elle avait presque l’air peinée quand elle reprit la parole.
-Et ne me dites pas non, ou je vais devoir avertir un inquisiteur, frère Vaast. Ce serait pour votre bien. Vous m’inquiétez.
Et elle partit, laissant Vaast seul dans la pièce avec la peur au ventre.
C’est ainsi qu’il arriva le lendemain à Nouvelle-Sérène, une valise à la main et deux autres sous les yeux. Il n’était pas revenu dans la ville depuis deux semaines. Pas le temps de faire un tour pour voir s’il pouvait croiser Alix à la taverne ; il marcha droit sur l’ambassade thélémite en enfonçant son chapeau sur sa tête.
On lui avait dit qu’il était là pour protéger des gens, pas pour en convertir, alors Vaast s’était autorisé quelques entorses vestimentaires. Il avait enfilé un pantalon et une chemise plutôt qu’une robe, et par-dessus ça, une cuirasse noire. Il en sentait à peine le poids. C’était visiblement une habitude qui ne se perdait pas.
-Woah, Alix, t’as bien changé !
Cette voix…
Vaast s’obligea à ne pas réagir. C’était une coïncidence. Alix devait être un prénom courant. Il était hors de question de sursauter ou de s’énerver.
Il fouilla la pièce des yeux, à la recherche du coupable. Quand il l’aperçut enfin, il serra les mâchoires.
Lucia. Oh, bon sang.
Avait-il fâché le Lumineux pour de bon ?
La rousse avait l’air de se poser la même question. Elle paraissait à tout le moins sur ses gardes. Sans doute se remémorait-elle leurs échanges passés. Ils étaient un peu loin, maintenant, mais Vaast se rappelait très bien l’insolence de la jeune femme - et son propre rigorisme.
Le connaissant, sans doute s’attendait-elle à une réplique enflammée. Allait-elle être déçue ? Ou ravie de pouvoir enfin lui clouer le bec ?
Vaast se contenta de hausser les épaules, de soupirer, et alla s’asseoir sur une autre chaise à deux mètres de là, son sac sur les genoux. Il ôta son couvre-chef pour le poser par-dessus.
-Bonjour, Lucia, dit-il d’une voix un peu éteinte sans la regarder.
Elle reste allongée. Et elle fixe la toile de tente.
Elle n’est pas immobile, bien sûr. Sa jambe est agitée d’impatiences, et ses ongles tapotent sur la couverture du livre. Mais ses yeux sont statiques.
« Pourquoi est-ce que j’ai lu ça ? » se demande-t-elle, et à chaque page durant sa lecture, elle s’interrogeait : pourquoi tournait-elle la suivante ?
Il lui semblait être happée entre les mots, incapable de résister à l’envie d’en connaître davantage. Une curiosité morbide.
Bien sûr, Dilay a entendu parler de l’inquisition avant. Elle se rappelle en avoir plaisanté avec Lucia, parlé de bûchers portables. Elle se rappelle ses imitations des fiers religieux pour ses collègues avec sur la tête une serviette de table pliée pour ressembler vaguement à une conque.
Le livre d’Hassan n’évoque rien de drôle ou de léger. Les témoignages sont glaçants : conversions forcées, confinement dans des établissements à l’allure de prisons où le programme se cantonne à la répétition de textes saints et à la prière. Accusations d’hérésie et de possession sous des prétentions ridicules pour l’Homme savant.
Le récit qui a le plus frappé Dilay ce n’est pas celui des victimes mais d’une perpétratrice avec qui Hassan affirme s’être entretenu. Une femme qui, dit-il, se vantait presque des épreuves par lesquelles elle était passée pour se prouver au Lumineux, alors que les mots qu’elle prononçait insufflaient une forme d’horreur muette chez son auditoire.
Dilay se mordille les lèvres, ses doigts s’arrêtent, caressent le cuir comme pour se faire pardonner de le martyriser ainsi. Dans ses pensées emmêlées se formule le souhait d’avoir sous la main quelque chose de plus chaud, de plus doux ; de plus vivant.
Difficile de se l’avouer à elle-même mais ainsi, seule, à l’abris des regards, elle peut bien se le dire : elle envie presque la résolution mais surtout le calme qui semble venir avec la foi. La sérénité qu’insufflait la prière à Isaure sur la fin ressemblait à une transe, quand rien d’autre ne pouvait calmer la douleur. Cela Dilay l’a vu de ses yeux, impossible de le nier.
Mais comment parvient-on à cet état de détachement qui semble surnaturel à la jeune fille très en colère ? La nature humaine est-elle si rétive qu’il faille la plier et la tordre ? Et alors, comme le fer au feu, on obtient ce que l’on veut ?
Dilay sait et ne sait pas d’où vient son malaise tout à la fois. Bien évidemment, elle pense à Vaast. Il est temps de renouer contact. L’idée de l’inquisiteur ne l’a-t-elle pas effleurée presque chaque jour depuis leur séparation ? Un amas confus mais agité au creux du ventre qui s’est de la façon la plus bizarre graduellement dissipé à mesure que les pages s’enchainaient. Dilay a envie – besoin, même – de lui poser des questions mais impossible de s’y résoudre, ni par papier, ni à l’oral. Elle se figure toutes les marques sur son corps, trace sur la reliure la forme indistincte de l’une d’entre elle, et elle a un nœud dans le ventre en se demandant d’où certains peuvent venir.
Mais il y a autre chose – quelque chose sur lequel Dilay n’arrive pas à mettre le doigt. Un écho, un fragment d’elle-même.
Non, elle, elle est libre. Et elle est seule. Et sans but. Surtout maintenant.
Dilay se redresse et le livre glisse à côté d’elle. Elle n’est pas tout à fait livrée à elle-même, il y a toujours Basir et Mitra. Cette-dernière est parmi le clan, comme souvent, quant au premier…
Il saurait sûrement aider Dilay à faire un peu d’ordre dans ses pensées. Après tout les parents de Basir viennent de Thélème. Déjà en temps normal, Basir et elle ne s’entendent pas bien, depuis qu’ils sont rentrés de leur expédition pour trouver de l’obsidienne, tout est allé de mal en pis. L’homme refuse catégoriquement d’adresser la parole à la mathématicienne qu’il juge responsable de leurs congés. Pour lui, qu’Hassan le laisse à stationner au camp au lieu de le prendre avec lui à Hikmet, c’est une mise à pied qui ne dit pas son nom. Il a piaillé sur Dilay que c’était sa faute pour avoir donné ces balles au Natif, que maintenant ni lui ni elle ne seront dans la confidence pour quoi que ce soit parce qu’Hassan les croit en collusion avec l’ennemi.
« Il a de la chance d’avoir gardé son nez intact » songe Dilay en se levant. Mitra a dû les séparer, étonnée que d’un côté comme de l’autre ils soient si fumasses de pouvoir passer du temps à faire plus ample connaissance avec l’île et le peuple qu’ils étudient sans aucun supérieur pour leur dire quoi faire.
Le truc, c’est que pendant que Dilay ne travaille pas, elle ne gagne pas d’argent non plus. Quant à Basir, il ne semble pas pouvoir s’empêcher de coller le train à Hassan.
« Il a beaucoup à prouver, va. » a tenté Mitra quand Dilay fumait au sujet de Basir après leur dispute.
Dilay sort de la tente. Elle n’y a jamais trop pensé avant, et pourtant elle connaît Basir depuis longtemps. Pendant un moment, ils ont été très proches. Trop proches.
Il est là, assis sur une pierre, à regarder les bois. On dirait qu’il boude. Ou peut-être qu’il pleure ? Sa silhouette est agitée d’étrangers soubresauts. Et Dilay reste à distance pour ne pas l’alerter de sa présence à court de mot ou de geste.
Non, elle ne s’est jamais dit que l’ascendance de Basir pouvait être un fardeau. La gorge de Dilay se serre. Peut-être que comme elle, il se sent incroyablement seul. Peut-être que comme elle, il a besoin de réconfort…
Il suffirait que Dilay fasse un geste dans sa direction, vraiment. Elle pourrait s’excuser. Ça se fait entre collègues. Ça se fait entre amis. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas réglé un différent autrement qu’avec les poings ?
Basir amorce un mouvement pour se retourner mais il ne voit rien d’autre que le crépuscule derrière son épaule. Dilay s’est prestement cachée et elle ne sait même pas pourquoi – ou de quoi.
Dilay est plongée dans la pénombre. Quelques rayons de soleil filtrent par les planches mal jointes du cabanon. Elle a passé la nuit dedans, dans le lit qu’occupe maintenant Abel. Il est rentré de son services et somnole depuis quelques heures. Dilay a griffonné des débuts de lettre à la flamme d’une bougie sans jamais trouver de bonne accroche.
Après l’âpre entretien avec Erika la mathématicienne s’est mise à trembler mais maintenant que l’adrénaline est retombée, elle a envie de tout raconter à Vaast. Elle-même a du mal à réaliser : elle a réussi à mener une négociation à bien sans s’énerver. Une première.
Les mots ne viennent pas. Les idées tapent contre le crâne de Dilay et aucune ne fait bien sur le papier. Le fait que l’heure tourne et qu’elle doive bientôt partir retrouver Lucia ne l’aide pas à détourner le flot de ses pensées du sujet de l’Ordre Luminis. Elle a essayé de le prononcer à voix basse, pour se faire à la sonorité. Les syllabes prennent plus de place qu’avant.
Fusil en bandoulière, pistolet à la ceinture, veste matelassée, bottes montantes, chapeau brun et chausses renforcées ; Dilay est si occupée à les fixer qu’elle en oublie presque son écharpe sur la chaise qu’elle occupait. Après l’avoie nouée autour de son cou, elle borde Abel et sort de son abri.
« Tu auras un endroit où poser tout ça en revenant » se dit Dilay en sanglant ses sacs autour de son torse. Au cours des deux semaines écoulées elle s’est demandée ce qui lui avait pris d’accepter la proposition de Lucia mais le jour arrivé, la temporalité ne semble pas si mauvaise. La mathématicienne aurait de toute façon rongé son frein, seule, en ville. Et quand elle s’ennuie, elle s’attire des ennuis.
Dilay pousse les portes du point de rendez-vous, la tête un peu ailleurs, l’air éternellement renfrogné. Elle s’apprête à lancer un « Bonjour » relativement peu motivé à la cantonade quand…
- Vaast ?
Dilay s’arrête sur le seuil. Son premier réflexe, un peu naïf, est de se réjouir de sa présence. Mais n’a-t-il pas l’air un peu… Et sa tenue… Contre quoi compte-t-il se battre ? Lentement, les yeux de Dilay se posent sur Lucia qui, elle, semble tendue comme un arc.
Est-ce qu’elle a fait quelque chose de mal ? Est-ce que Vaast est là à cause de ça ? Il a l’air étrangement peu motivé pour quelqu’un censé abattre le poing vertueux de la justice…
Après avoir grommelle quelque chose qui ressemble à « Pas assez payée pour des complications » se disant que cela fera oublier le début de sourire qu’elle a adressé à Vaast, Dilay toussote dans son poing.
- J-J'interrompts rien j'espère.
Lance-t-elle d'un ton goguenard à Lucia. Elle se laisse tomber dans une chaise et étire ses longues jambes devant elle.
- On est plus que prévu ?
“Bonjour, Vaast.” Répondit-elle en étendant ses jambes devant elle.
Son attention abandonna l’inquisiteur et Lucia reprit sa joie de vivre en voyant entrer Alix. Ses épaules furent prises d’une secousse en réponse à son rire étouffé dans sa gorge.
“Oui, tu interromps ! Merci !” Déclara Lucia dans un éclat de voix soulagé. Elle ajouta tout bas, plus aiguë. “Sauve-moiii.”
Elle se tortilla pour se redresser sur sa chaise sinon, à force de glisser, elle finirait par terre. Pour rallier Alix à sa cause, elle s’accorda quelques minutes de sérieux pour lui expliquer la situation.
“Nous sommes pas plus que prévu. Les théologiens ne sont pas reconnus pour se battre, tu vois ? Alors la responsable de l’expédition a demandé aux ordres d’envoyer quelqu’un capable de frapper là où il faut, si besoin. Moi, j’ai fait appel à toi, parce que tu es bien plus amusante que… que lui, là.”
La tension que provoquait Vaast chez Lucia était si palpable qu’elle jugea nécessaire de sortir sa main de ses poches pour le pointer grossièrement.
“Mais t’as l’air de le connaitre, alors je t’apprends rien. Heureusement pour nous, il est très doué dans ce qu’il fait et tu peux voir qu’une mâchoire comme celle-là est une bénédiction du Lumineux.”
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
Faisait-il un cauchemar particulièrement réaliste ? Vaast se pinça discrètement le bras et se fit mal.
Raté. Il était véritablement dans l’ambassade de Thélème à Nouvelle-Sérène, à côté de la pire religieuse au monde, à deux doigts de partir pour une expédition, et Alix venait bien de débarquer pour y prendre part.
Il n'avait pas du tout prévu qu'ils se retrouveraient aussi vite hors de leur bulle intime, et encore moins que ça se passerait dans un tel cadre. Il était hélas trop tard pour avoir des regrets : il n'avait plus qu'à se conformer au vague plan qu'ils avaient établi et à prier pour que tout se passe bien.
La présence de Lucia réduisait néanmoins les chances que ce vœu soit exaucé. Et à voir leurs échanges, elles se connaissaient, en plus !
Il réécouta la voix d’Alix dans sa tête qui avait semé des indices sur le désastre à venir. “Je suis invitée à un petit truc, trois fois rien, organisé par la Thélémite dont je vous parlais.”
Par la Lumière.
“Sauve-moi”, pépiait maintenant la rousse. A croire que Vaast, même assis à deux mètres à ne rien faire, rendait un sauvetage nécessaire. Il leva les yeux au ciel.
-Bonjour, Alix. Lui, là, comme le dit délicatement votre amie, a en effet été demandé en sa qualité d'ancien inquisiteur.
Son ton, calme et aimable, s'était fait un peu goguenard. Malgré ses bonnes résolutions, il était difficile de ne pas rendre à Lucia un peu de ses sarcasmes.
Vaast détourna les yeux vers le fond de la pièce, où deux missionnaires se chamaillaient sur la quantité de parchemin à emmener. Il aurait aimé qu’ils se dépêchent. Avait-on idée de décider d’un tel détail à cinq minutes du départ ?
-Je croyais que nous étions tenus de respecter un horaire strict, lança-t-il.
-Nous réglons les derniers détails, frère Vaast, répondit sèchement l’un des deux religieux. Cette expédition exige de la minutie.
Allait-on sous-entendre jusqu’à la fin de son affectation chez les missionnaires qu’il était incapable de se montrer patient et diplomate ?
-Pardonnez-moi, répondit-il d’une voix faussement aimable. Je suis trop habitué à ce que mes supérieurs soient organisés.
L’autre s’étouffa, mais Vaast s’en détourna. Il serait quitte pour un rapport de plus sur le bureau de sœur Juliette.
Ça sort très naturellement de la bouche de Dilay. Elle qui a craint devoir mentir regarde la thélémite suppliante et l’autre grand blond, parfaitement sérieuse, d’un air presque de dogue. Apparemment, s’il faut revoir le contrat, c’est tout de suite.
Elle hausse les sourcils d’un air blasé vers Vaast.
- Voyez-vous ça.
Dilay lui lance d’un ton badin, un sourire canaille aux lèvres. Elle le réserve à l'inquisiteur puis s'en détourne pour regarder Lucia.
- S-Sûr que vous avez des spé-spécimens qui donnent presque envie de se convertir. Presque.
Dilay espère que Vaast percevra le compliment asséné de la même voix trainante que tout le reste.
- Faut s’attendre à du sérieux gra-grabuge ?
Elle demande à Lucia, arrêtant un instant les pitreries pour se concentrer sur la situation. Sa joie est douchée : bien sûr que Vaast allait se comporter différemment, et ça, Dilay l’a intégré. En revanche, que lui et Lucia ne s’apprécient complique la situation d’une façon franchement désagréable. La mathématicienne doit jouer sur deux tableaux…
Elle pousse un soupir à fendre l’âme, déjà épuisée. Tout ce qu’elle espère c’est que ses réactions sincères seront interprétées n’importe comment, en l’absence de tout contexte. Que personne ne devinera, magiquement, qu’elle et Vaast sont amants pour commencer. Et que Vaast ne prendra ombrage de rien. Elle tire inconsciemment sur son écharpe pour se sentir plus entourée.
Dilay détourne la tête en couvrant sa bouche pour ricaner sous cape à la remarque de Vaast au théologien. Vaast comme son interlocuteur ont l’air de premiers de la classe irritables, chacun à leur façon. Dilay a déjà Basir à la maison… Son visage se fige à la pensée de l’homme et elle se renfrogne. Elle lance à la cantonade :
- C-Comme vous y allez. J'ai pas été ponctuelle non plus.
Dilay adresse un sourire canaille à Lucia. Elle précise ça pour une seule raison, pouvoir ajouter la suite :
- J-Je me négociais un logement sur Nouvelle-Sérène. Faudra que tu passes.
Evidemment, Dilay le propose sincèrement à la prêtresse – mais, en sous-texte, pas qu’à elle. Elle daigne tourner la tête vers l’inquisiteur pour le regarder en face.
- ‘Coutez, si les risques ont augmenté, faut me le dire. Sinon, si vous avez ce qu’il vous faut, je peux partir.
Elle n’a pas envie de partir. Elle a besoin de cet argent. Mais elle n’est plus aussi acculée qu’elle l’était en acceptant la proposition de Lucia. Elle tente donc d’offrir une porte de sortie à Vaast s’il décide que la situation lui sera intenable.
Lucia avait remarqué la considération d’Alix par rapport à l’argent. Jusqu’à maintenant, elle ne l’avait jamais relevée. Payer des verres à la pugiliste ou la rémunérer pour un service se faisait avec naturel, sans hésitation. La religieuse vivait humblement, sans faste et peu de stratégies budgétaires.
Un ancien inquisiteur ? La réplique avait pris Lucia par surprise et elle n’eut pas la répartie de répondre une remarque cinglante. Ses yeux gris et scrutateurs toisaient Vaast avec suspicion. Ancien, ancien, ancien. Comment Vaast, le garçon doré, parfait, avait perdu son rôle d’inquisiteur ? Avait-il réalisé, tout comme elle, que la violence abattue sur les hérétiques et les ennemis ne pouvaient pas être les véritables mots du Lumineux ?
Ses dents blanches apparurent lorsqu’un large sourire s’étira sur le visage de Lucia. Elle l’avait prévenue, que certains inquisiteurs avaient la gueule bénie par le Lumineux ! Vaast, malgré son désagréable sérieux, en faisait partie. Celui-ci s’adoucit, distrait par l’échange entre l’ancien inquisiteur et le théologien. La religieuse ouvrit la bouche, prête à renchérir mais l’homme des parchemins fut plus rapide :
“N’y pense même pas.”
De drôles de liens se formaient entre ceux qui voyageaient ensemble, vagabondaient dans la nature et se nourrissaient de rations et autres denrées transportables. Le théologien et Lucia n’étaient pas amis, mais ils se connaissaient assez pour avoir une dynamique qui ressemblait à une amitié.
“Oh, mais moi je suis prête !” Exclama Lucia, peu offensée par la remarque d’Alix. “Le plus dur est à venir : me lever.”
Avachie sur son siège, elle était bien confortable. La suite fit arquer un sourcil à la thélémite qui ne comprit pas d’où ces paroles sortaient. Ses yeux se promenèrent de Vaast à Alix, observant le lien invisible qui les unissait, palpable dans le malaise qu’ils partageaient.
Elle inspira, puis échappa son air dans un soupir.
“Les risques n’ont pas changé, mais t’es pas obligée de venir, rien t’enchaine ici.”
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
Le sourire canaille d’Alix lui donnait envie de l’embrasser, mais Vaast songea avec causticité qu’il allait devoir mettre ce genre d’envie au placard le temps de l’expédition.
Il n’écouta le dialogue entre la mathématicienne et Lucia que d’une oreille. Sa nuit avait été trop courte, à cause du voyage vers Nouvelle-Sérène. Il espérait que le camp serait levé en début de soirée, qu’il puisse dormir. La seule chose qu’il retint fut qu’Alix s’était dégoté un logement en ville - une bonne nouvelle, une très bonne nouvelle même. Il aurait une adresse à laquelle écrire… Peut-être même un endroit où passer quelques nuits avec elle.
Il aurait aimé être seul avec elle pour la féliciter et se réjouir avec elle. Il le ferait plus tard, décida-t-il. Il l’inviterait à dîner quelque part pour fêter ça… Elle ne pourrait pas refuser.
Quand Alix l’interpella directement, il observa un court silence. C’était étrange de la regarder dans les yeux, ici, avec tous ces gens.
-Sœur Lucia dit vrai.
Il attrapa son bagage et se leva avec un bref grognement.
-Les plus gros soucis prévus pour ce voyage ne sont pas du genre à être résolus par la violence... mais on a semble-t-il décidé en haut lieu qu'il valait mieux prévenir que guérir.
Sauf si on lui demandait son avis. Il était tout prêt à résoudre deux ou trois discussions stériles entre théologiens bornés par la violence.
Nouveau coup d’œil à Alix. Pourquoi proposait-elle de partir ? L’expédition lui pesait-elle soudain, maintenant qu’il était là ? Elle qui s’était dite volontaire pour sauter sur la moindre occasion de gagner quelques pièces…
-J’imagine que vous n’avez pas été embauchée pour rien. Mais toujours comme le dit sœur Lucia… Vous êtes libre.
C’était étrange d’être d’accord avec la rousse deux fois dans la journée - ou plutôt, de le reconnaître. Pour être honnête, il s’était attendu à ce qu’elle lui lance une pique. Avait-elle beaucoup changé ? Ou était-elle juste prise au dépourvu par son propre changement d’attitude ?
Il la gratifia d’un sourire ironique.
-A-t-on organisé un transport jusque là-bas, lança-t-il à l’équipe, ou y va-t-on à pieds ?
Autant qu’il sache dès maintenant s’il allait devoir transporter son bagage des heures durant.
The disaster
squad
Feat Lucia & Vaast
Dilay soutient le regard de Vaast de derrière ses lunettes. Elle, elle n’a pas la même difficulté à lui répondre du tac au tac. Elle s’adapte aux circonstances avec une singulière aisance. Tout de suite, son minois se fronce.
Les plus gros soucis ? Elle en a pensé à quelques-uns : faune agressive, : Natifs bougons, … Vaast évoque-t-il la diplomatie dans le cas de ces derniers ?
Dans ces cas là c’est une cause perdue. Le regard de Dilay va de Vaast à Lucia. Elle n’imagine aucun des deux parvenir à se montrer patients avec les habitants de l’île.
Parce que la théologienne a précisé que le paiement était toujours le même, Dilay daigne poursuivre. Sinon, ç’aurait été la porte :
- Développez.
Elle demande à Vaast au sujet des menaces, sur un ton qui n’est pas péremptoire mais se passe aussi du « s’il vous plaît merci ». S’il a l’air d’intimider certains alentours, ce n’est pas le cas de la mathématicienne. Elle s’approche de Lucia, ses bottes claquent sur le bois.
- J-Je viens.
Vaast aurait saisi la perche s’il était mal à l’aise de la trouver là et la voulait renvoyée. Et puis bon, si effectivement il facilite leur ascension et qu’elle est payée la même somme en ayant un travail plus facile, elle ne va pas se plaindre !
- M-Madame a besoin d’aide ?
Glisse Dilay avec un sourire en coin à Lucia. Comme durant la fête, elle lui offre son bras, pour la faire se redresser cette-fois, pas pour la faire valser. Dans le même mouvement, de son autre main, elle lui tend la carte qu’elle s’est procurée à Hikmet.
Impossible d’en dire la provenance et Dilay ne compte pas sur les éclaireurs de Thélème comme elle a foi dans les topographes de l’Alliance. Le document devrait augmenter leurs chances d’éviter des zones accidentées.
- J’ai un compas. Pour la lire.
On utilise bien ça à Thélème aussi, non ? Tant pis si ce n’est pas le cas – on en use dans la Congrégation !
Une fois la prêtresse relevée, Dilay se tourne vers les autres thélémites qu’elle dévisage un à un, Vaast compris, avant d’annoncer :
- J-Je m’appelle Alix de Courcelles.
"Pas besoin de m'appeler "Votre Grâce", on peut rester familiers."
Elle ouvre les mains, désigne l’inquisiteur d’un geste du pouce.
- M-Moi et le grand costaud on va faire la sécurité. Rondes. Patrouilles. Ce qu’il faut.
Un index pointé vers son tromblon et l’autre vers son fusil, Dilay ajoute :
- Si je me fais bouffer sachez qu’ils sont pas chargés. Les balles sont là. Si vous savez pas tirer vous y essayez pas quand y a des gens autour.
Nonchalante, Dilay colle son compas entre les mains de Vaast pour qu’il puisse aller consulter la carte avec Lucia. Et qu’il se rappelle au passage ce qu’est l’instrument. Après ça, elle va s’appuyer contre le mur, les bras croisés. Son expression est un rien renfrogné, ses yeux se baladent sur la pièce avec un intérêt limité.
Elle a suffisamment parlé pour un moment.
Elle s’y remettra quand ils feront leur halte pour la nuit. Là, elle pourra surement proposer une partie de cartes, au moins à Lucia. Et puis, partir faire une petite ronde nocturne tout ce qu’il y a de plus innocente avec Vaast.
S’ils ne peuvent pas se parler, ils pourront au moins regarder les étoiles l’un à côté de l’autre. La mine attendrie, Dilay décroche de ce qui se passe autour d’elle pour s’imprégner de ces images de feu de camp joyeux, puis de silence paisible.
La religieuse attrapa le bras offert et se mit sur ses pieds. La carte tomba entre ses doigts et la bouche de Lucia se pinça en un ‘O’ curieux et impressionné. Elle laissa Alix se présenter aux autres, dépliant aussitôt le papier cartographié. Les deux prêtres incapables de se mettre d’accord sur le type de parchemin à emmener -bien que leur souci ait évolué, leur conflit étant dorénavant sur un autre sujet- saluèrent la pugiliste d’un signe de tête et déclinèrent leur identité. Frère Nazarius et frère Ovidius. Qui semblaient avoir passé beaucoup trop de temps le nez plongé dans leurs recherches pour se souvenir des règles de bienséances face aux étrangers.
Puis Soeur Luciana, aux traits aussi austères que ses vêtements, s’arrêta pour poser ses yeux clairs sur la nouvelle venue -la seule qui ne se confiait pas au Lumineux. Malgré tout, son air s’adoucit, du moins elle abandonna sa contrariété habituelle le temps de s’adresser à Alix :
“Enchantée, madame de Courcelles. Je suis Soeur Luciana.” Son regard suivit les gestes d’Alix, vers le tromblon, la carte et le compas. “Avez-vous déjà fait une expédition par le passé ?”
La cheffe des théologiens ne s’arrêta pas pour poser à Vaast la même question- il avait fait la guerre, ce n’était pas des tentes des terrains difficiles qui allaient l’effrayer.
“On est là.” Marmonna Lucia dans son coin, écrasant son doigt quelque part sur la carte. “Hey, Vaast, viens par là.”
Pour ne pas commencer cette aventure du mauvais pied, la religieuse avait opté pour le prénom de l’inquisiteur plutôt que d’user de termes indubitablement moqueurs tels que “le grand” ou “le blond”. Elle soupira face à toutes ces lignes et indications complexes sur la carte. Elle savait les déchiffrer, mais cela ne figurait pas parmi ses activités préférées.
Les deux prêtres soucieux de détails pas si importants aux yeux de la religieuse attrapèrent chacun un sac de voyage sur leur épaule et se dirigèrent à l’extérieur. Près de l’entrée se tenait une calèche tirée par des larges bêtes de Teer Fradee. Il y avait de la place pour y mettre les effets des voyageurs, des bancs et de quoi nourrir les bêtes pour la durée. Nazarius et Ovidius déposèrent machinalement leur équipement et s’installèrent, leurs yeux parcourant les alentours pour juger les passants.
Lucia, elle, n’était pas aussi sage ni aussi commode. Tenant toujours la carte ouverte sous ses yeux, elle se mit à pousser son sac du bout du pied. Parfois, il roulait sur lui-même, d’autres fois il glissait contre le sol. Soeur Luciana n’intervint pas, mais s’accorda le droit de lever les yeux aux ciel.
“Vous pouvez charger vos choses dans le transport. Inutile de les porter tant que nous suivrons la route.” Dit Luciana à l’intention des adultes dans la salle.
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
-L’expédition ne prévoit pas de se jeter dans un nid de bestioles venimeuses ni de déclencher une bataille. Le plus probable est que les talents offensifs du groupe - essentiellement constitués de votre serviteur, pour être clair - ne servent à rien.
La main qui ne tenait pas son sac effleura les anneaux de sa poche intérieure. Dès qu’ils auraient quitté la ville, il les enfilerait.
-Et si jamais on croise des Natifs… Mes collègues infiniment plus doués que moi en diplomatie sauront y faire, je gage ?
La phrase aurait pu passer pour flatteuse s’il n’avait décoché en même temps un regard narquois aux autres missionnaires. Quand Alix annonça qu’elle allait patrouiller avec lui, il haussa les épaules, impassible. Un drôle de fourmillement parcourut néanmoins sa peau.
A quoi pensait-elle ? Voilà qu’elle avait l’air plongée dans quelque rêverie, contre son mur. Il lui demanderait plus tard.
L’inquisiteur fit trois pas pour se pencher sur la carte quand Lucia appela son nom, mais il ne fit aucun commentaire. A priori, le trajet était déjà défini. Ils allaient visiblement s’enfoncer assez loin à l’intérieur des terres, mais ce n’était pas une surprise : on ne prévoyait pas autant de matériel pour camper à dix pas de la ville.
Vaast se détourna après un hochement de tête et se dirigea vers la porte. Au bout de trois coups de pied de Lucia dans son bagage, il perdit patience et attrapa ce dernier de sa main libre sans rien dire. Le visage fermé, il grimpa dans la calèche et déposa les deux sacs à l’intérieur.
Lui-même s’assit ensuite au fond, dans un coin. Plus vite ils partaient, plus vite cette mascarade s’arrêterait. Il regarda Nazarius et Ovidius s’installer loin de lui avec satisfaction ; malheureusement, le premier des deux religieux lui adressa quand même la parole.
-Alors, frère Vaast… Vous étiez dans l’inquisition ?
Que voulait-il ? Faire la conversation ? Se montrer agréable ? Se rassurer face à un ancien inquisiteur ? Un court instant, il fut presque tenté de leur demander s’ils savaient que Lucia y était passée aussi. Il jeta un coup d’œil à la rousse, quasi certain qu’elle comprendrait ce qui lui passait par la tête.
Mais peut-être n’en avait-elle pas parlé. Surtout, il était censé avoir quitté l’Ordo Luminis, lui aussi. Se montrer désagréable avec elle pour avoir quitté l’inquisition ne cadrait pas avec l’histoire qu’il était censé servir.
-Oui.
Simple, froid. Il fixa Nazarius sans ciller quelques secondes, puis fouilla dans son sac pour y prendre sa gourde et boire une gorgée, histoire de couper court à la conversation.
The disaster
squad
Feat Lucia & Vaast
Nazarius et Ovidius… Dilay en est sûre, elle va oublier leurs noms d’ici un instant, et sa mine perplexe est presque comique quand les deux hommes se présentent sommairement à elle.
Luciana, en revanche, la mathématicienne se souvient que Lucia lui a désigné à la fête – même si elle ne se rappelait plus son prénom, et qu’elle la surnommait « La seconde Lucia » quand elle devait songer à la religieuse austère. Ce qui n’était, évidemment, pas souvent le cas.
Quand Vaast prend la parole, Dilay lui décoche un regard, et un sourire goguenard ourle ses lèvres.
- T-Très bien « Frère » Vaast. J’essaierai de vous laisser la part belle de nos éventuelles aventures, pour pas é-écorner votre égo.
Elle le dit d’un ton bien trop amusé pour que sa remarque soit cinglante. Dilay incline ensuite le chef pour saluer Luciana et hausse les sourcils à sa question :
- J-Jamais avec des gens de chez vous. Mais oui, j’ai déjà ex-exploré l’île et dû aller chercher ci ou ça ici ou là.
Dilay, qui ne ressent pas le besoin de se prouver à grand monde, ne développe pas davantage. A-t-on vraiment besoin de savoir ce qu’elle sait faire ? Ce n’est pas elle qui va s’occuper de… quoi qu’ils aillent chercher sur le site en question. La mathématicienne ne s’y est pas vraiment intéressée, tout ce auquel elle pense c’est à l’argent.
Dilay observe Lucia et Vaast consulter la carte avant de préciser, à l’intention de la religieuse :
- Y a les chemins les plus sûrs. Les plus récemment découverts.
Elle compte sur le bout de parchemin pour leur faire faire l’aller et le retour le plus vite possible, que Dilay puisse jouir de son nouveau logement rapidement et commencer ses affaires avec Erika. Encore faut-il que les thélémites veuillent bien revoir leurs plans à la dernière minute sur la foi de la carte d’une étrangère…
La mathématicienne ignore les coups dans le sac de Lucia. Elle-même tapote du pied, dans ses pensées, et ne remarque même pas le moment où Vaast fait cesser le supplice du paquetage en l’attrapant. Quand l’inquisiteur et la prêtresse la dépassent pour sortir, Dilay le prend comme le signal qu’il faut cesser de s’avachir. Redressée, une main sur la bandoulière de son fusil, elle marche dans leurs traces jusqu’au convoi. En découvrant son attelage, Dilay s’en approche.
Elle lève la paume pour se faire voir de l’andrig et signe « salut » avant d’effleurer une de ses cornes. Elle flatte l’animal avec précautions, comme si elle craignait d’être trop brusque plutôt que l’inverse malgré leurs carrures respectives. De façon inaudible, Dilay murmure à l’andrig des compliments sur la couleur de ses écailles, mais, malgré son désir visible de rester collée avec l’atelage plutôt qu’avec ses occupants, elle relève le nez quand Luciana indique qu’il faut déposer ses paquetages dans la chariote. Dilay y fourgue son sac et conserve ses armes.
L’échange entre Ovidius et Vaast n’échappe pas à Dilay, ni la réponse de ce dernier. Le silence de la jeune femme est rompu d’un coup quand elle adresse son éternel sourire canaille à Ovidius, celui qui découvre sa dent factice, avant de demander :
- E-Et vous ? Vous êtes une sorte d’historien ? Vous avez trouvé des trucs intéressants sur l’île ?
La bouche pleine de questions, Dilay est très douée pour faire parler les gens d’eux – et détourner l’attention. D’elle, d’habitude. De Vaast, cette fois.
L’austère responsable de l’expédition pince ses lèvres en bref sourire, satisfaite de la réponse que lui donne Alix. Certes, elle a des inquiétudes qu’une inconnue se joigne à leur troupe ecclésiastique, mais Luciana ne les partage pas.
“Je vous remercie, madame.” Répond Luciana d’un ton neutre, ni ravie ni piquée par l’initiative de la nouvelle venue.
Le sac de voyage de Lucia quitte le sol, soulevé par le fort et brave inquisiteur qui le charge dans la chariotte. La religieuse lève les yeux vers lui, se détournant de la carte qu’elle commence déjà à ranger pour dire un “Bon garçon.” enjoué, mais pas innocent.
Lucia laisse ses fesses tomber sur la première place libre qu’elle trouve dans la calèche. Assise près du bord, n’ayant pas la persévérance de se rendre plus loin, elle attend que chacun soit présent dans le véhicule avant d’étendre ses jambes devant elle et de s’avachir. Elle veut interpeller Alix qui semble vouloir faire la route sur un andrig mais la question de frère Nazarius la tire de sa nonchalance. Quand son regard gris plonge vers le fond de la calèche, il croise celui trop clair de Vaast. La mâchoire serrée, redoutant encore une fois que l’enfant prodige révèle son implication dans l’Ordo Luminis, ses yeux s'assombrirent comme si elle n'avait jamais rigolé de sa vie.
Il ne dit rien. Il ne dit rien et, libérée de cette tension, Lucia détourne son attention pour regarder vers le paysage ensoleillé qui défile. Rapidement, elle s’affaisse et enfouit son visage entre ses bras, ferme les yeux et fait fi de son environnement pour somnoler.
“Je suis historien, oui !” Précise-t-il à la pugiliste. “Nous avons trouvé des vestiges du culte païen des habitants de l’île. Des fresques surtout, mais aussi quelques écrits primitifs. C’est remarquable.”
Les natifs sont païens et primitifs, mais la fascination du frère Ovidius est sincère malgré une certaine intolérance. Il partage aisément quelques détails avec celle qui les protégera si besoin, mais le résultat de ses recherches apparaissent tout de même floues. Nazarius s’invite de temps à autre dans les réponses, pour ajouter une précision ou pour démentir les propos de son collègue. Nul ne peut douter de la passion qu’ils ont pour le sujet, n’hésitant pas à faire part de leurs connaissances sur la foi thélémite en général si leur interlocutrice le demande. S’ils doutent, ils n’hésitent pas à se tourner vers Luciana pour avoir des réponses. Et elle en a, mais ses palabres sont aussi concises que celles de l’ancien inquisiteur.
Ils quittent la ville, suivent la route, traversent un pan de forêt ou la terre est encore praticable par la calèche. La responsable de l’expédition fait signe à ses comparses qu’ils sont arrivés à leur premier arrêt et immobilise la chariotte. Ovidius et Nazarius se réjouissent sans trop d’éclat, heureux de se lever après tout ce temps. La vie ranima Lucia et elle bondit hors du véhicule. Un œil alerte peut voir que ses premiers pas sont chancelants, incertains.
“Enfin !” La religieuse joint ses paumes et prie le Lumineux en marmonnant.
Outre Vaast, les thélémites n’en sont pas à leur premier et se mettent machinalement à monter le campement. Luciana indique à leurs protecteurs plusieurs emplacements où ils peuvent se poser, mais ne leur en impose pas davantage : s’ils requièrent de l’aide pour s’installer, ils n’ont qu’à demander.
“Alix !” Interpelle la rousse soudainement bien réveillée. “Viens t’installer ici, j’ai assez d’espace sous ma bâche pour deux.”
Et malgré les apparences, la bâche de Lucia a été installée rapidement et elle est presque aussi tendue qu’elle à chaque mention de l’Inquisition lorsque Vaast est dans les parages.
“Vous pouvez vous installer avec sœur Luciana, frère Vaast.” Suggère Nazarius qui, sans surprise, partage déjà son espace avec Ovidius. Luciana acquiesce, et attend de voir la décision de Vaast.
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
Vaast cilla.
-Il ne s’agit pas d’ego. Je ne vous comptais pas dans le groupe en disant cela.
Elle était tellement à part que ça lui avait semblé évident. Bien sûr, à ses yeux Alix détonnait n’importe où, mais au milieu de thélémites…
Il ne tourna même pas la tête vers Lucia pour répondre à sa taquinerie. Une fois installé dans la carriole, il ne put s’empêcher de regarder Alix. Venait-elle de relancer l’historien pour détourner son attention de lui-même, ou par simple curiosité ?
Il ne prêta guère attention à la suite. Sitôt les limites de la ville dépassées, il enfonça une main dans une poche intérieure pour en extraire ses anneaux. Ne sachant pas ce qui pouvait les attendre, il avait choisi d’emmener des bijoux parmi les plus précieux de sa collection. La première bague était un cadeau de son mentor, et il la contempla avec morosité de longues secondes avant de l’enfiler.
Il avait perdu un anneau au front, une fois. Pas un de ses plus précieux, mais tout de même. Ç’avait été un coup de maître d’un éclaireur adverse : fouiller dans leurs affaires pendant qu’ils dormaient, après avoir assommé l’homme de garde. Pas de bruit, pas d’assassinat, pas de risques, et de beaux résultats : une demi-douzaine de mages soudain inutiles. Après ça, Vaast avait toujours pris soin de s’endormir armé.
Quand la chariote s’arrêta enfin, il descendit sans mot dire et s’appliqua à dresser les tentes avec l’aide des autres. Il ne prit la parole qu’une fois pendant l’opération, pour recommander que les ouvertures soient toutes tournées vers l’intérieur, où un feu pourrait être allumé.
Alix allait donc dormir avec Lucia. Il redouta un instant ce que la missionnaire pourrait bien raconter sur son compte. Après tout, elle ne l’aimait guère, et il repassa dans sa tête plusieurs souvenirs de disputes qui le mirent mal à l’aise.
La question de Nazarius le tira de ses pensées.
-Très bien.
Il alla donc déposer son bagage sous la tente de Luciana, avec son chapeau, et ressortit en s’étirant. Avec un peu de chance, ils étaient partis suffisamment tôt de la ville pour que les recherches puissent débuter dès aujourd’hui. La nuit n’allait pas tomber tout de suite.
The disaster
squad
Feat Lucia & Vaast
« Bon garçon ». Outch. Ca devait faire mal à l’égo apparent de Vaast.
Dilay a à peine l’air contrit quand l’inquisiteur suggère qu’il ne la comptait pas dans le lot à sa remarque. Elle se contente de détourner le regard en haussant les épaules. Elle ne peut pas s’empêcher d’être un tout petit peu nerveuse dans un environnement qu’elle ne connaît pas, surtout que les variables ont changé. Vaast n’était pas censé être là.
Dilay s’attendait également à n’avoir que Lucia comme interlocutrice mais les deux théologiens sont plutôt bavards et comme la mathématicienne a décidé d’en protéger Vaast…
L’intention pourrait avoir quelque chose de comique. Que le grognon et mélancolique inquisiteur ait besoin que quelqu’un veille sur lui semble grotesque mais Dilay prend sa mission très à cœur.
- J-Je croyais que les Natifs écrivaient pas.
Note-t-elle, et après avoir reçu sa réponse, elle relance l’un et l’autre de ses interlocuteurs – dont elle n’a pas retenu les noms – en les laissant dérouler tout le fil de leurs pensées. Elle relève les points qui semblent leur tenir à cœur ou sur lesquels elle est sincèrement intéressée.
Dilay ferait probablement une très bonne informatrice si elle en avait la volonté. Elle arrive à faire discourir assez facilement et finit par en dire très peu elle-même, pas parce qu’elle veut dissimuler mais parce que prêter une attention soutenue à ce qu’on lui dit la fatigue déjà – alors s’il fallait répondre en prime !
La mathématicienne s’intéresse particulièrement à ce que recherche l’expédition. Elle n’y comprend pas grand-chose à vrai dire car il lui manque la compréhension fine de qui est Saint Matheus, mais elle parvient à peu près à suivre le fil de la pensée des deux théologiens.
Après avoir alimenté la conversation tout le trajet, Dilay se sent comme pleine de démangeaisons. Elle saute à bas de la cariole et se rattrape dans un bruit mat avant de s’étirer. Un regard aux alentours et elle est certaine de ne jamais être venue dans cette partie de l’île. Un peu d’exploration s’impose !
D’abord, elle va au plus important, sans vraiment demander l’avis de qui que ce soit. Pendant que tout le monde monte les tentes, l’indisciplinée Dilay fait une petite ronde pour trouver un ru, tout proche du campement. Elle détache la bête qui tire l’attelage de ses liens et la fait venir jusqu’à l’eau pour qu’elle puisse s’abreuver tout son saoul. La mathématicienne profite du silence, une main posée sur les flancs de la grande créature, elle laisse ses pensées agréablement dériver alors que ses yeux se posent ci et là, curieux de leur environnement. Dilay a les yeux rivés sur le volcan et il faut probablement s’y reprendre à deux fois pour l’interpeller, parce qu’elle est dos à ses comparses et s’est totalement désintéressée d’eux, mais qu’ils s’approchent et ils ont facilement son attention.
Elle incline légèrement la tête une fois Vaast assez près. Habituée à ce qu’on lui tapote l’épaule, Dilay ne sursaute pas, elle opine du chef vers l’inquisiteur et lui adresse un sourire avant de se diriger vers Lucia.
En entendant qu’elles vont dormir dans la même tente, le sourire de Dilay s’accentue. Elle se penche dans l’ouverture de la tente et fait glisser son sac à l’intérieur.
- T-T’es sûre de vouloir dormir avec moi ? Tu sais que je marche en dormant.
Lance la mathématicienne à l’ancienne inquisitrice.
- J’ai amené des dominos.
Elle ajoute, à l’intention de l’assemblée cette fois.
Un jeu un peu trop sage pour qui connaît Dilay, jusqu’à ce qu’elle ajoute, l’air de rien.
- … Et des cartes.
Elle enchaîne rapidement, après que les tentes aient été réparties – tout en notant mentalement que les deux théologiens doivent être liés par la hanche pour tout faire ensemble ainsi :
- Faudrait faire un re-repérage avant de faire du feu.
Qui sait ce qui pouvait se trouver autour d’eux ? Une présence native hostile ? Des animaux ?
Oh, ce n’est qu’un prétexte ! Dilay a surtout envie de se dégourdir les jambes après être restée aussi longtemps dans cette cariole. Qu’importe qui l’accompagne -même si elle préfèrerait que ce soit l’inquisiteur ou Lucia, et pas l’austère deuxième Lucia ou ses comparses impossibles à distinguer.
Lucia et Vaast, en même temps ? Elle les avise l’un puis l’autre. Cela se tente mais Dilay n’a pas le sentiment que la promenade sera de tout repos.
Le sourire d’Alix confirme que Lucia a une colocataire pour la nuit.
“J’ai vécu pire.” Répond simplement Lucia avec amusement.
Son air léger laisse penser qu’elle a côtoyé le champion national des ronflements, mais c’est au front qu’elle pense. La guérisseuse s’accroupit dans la tente pour installer ses affaires et rendre le tout confortable. Elle avait besoin de peu pour s’endormir, mais ce n’était pas une raison de négliger son confort. Pendant ce temps, les deux hommes discutent tranquillement de Saint Gregorius, de l’arbre sous lequel ils se sont installés ou de… Ah ! Là-bas, juste là, un joli cervidé, qu’ils admirent une seconde avant que celui-ci déguerpisse.
Luciana organise ses couvertures d’un côté pour que Vaast puisse occuper l’autre. Un moment, elle s’arrête pour observer l’enfant prodige de l’Ordo Luminis, les yeux plissés par la sévérité et la profondeur de ses pensées. Vaast, tout comme Lucia, n’est pas le premier inquisiteur qu’elle côtoie et elle appréhende un réveil brusque et paniqué au milieu de la nuit, une réminiscence de la guerre. La cheffe de l’expédition ne dit rien, elle saura gérer et elle juge inutile de forcer Vaast à se concentrer là-dessus alors qu’ils sont loin du champ de bataille.
“Des cartes ! J’ai hâ-” Commence Lucia, enjouée, avant d’être coupée par Ovidius.
“Pfeuh ! On sait déjà qui va tricher.”
La religieuse rétorque avec un “pfeuh !” plus aigu en envoyant violemment une main en l’air vers son collègue. Les nombreuses expéditions qu’ils ont passées côte à côte leur ont permis de développer leur propre langage. Celui-ci est constitué presque exclusivement de bruits de bouche et d’onomatopées. La diversité des sons produits est assez impressionnante pour intriguer un scientifique de l’Alliance du Pont.
Lucia quitte sa bâche et se lève de toute sa haute petite taille, les mains dans les poches.
“C’est un endroit plutôt calme, ici.” Adresse-t-elle à Alix avec plus d’amabilité. “Les natifs sont plus par là-bas.” Elle pointe une direction avec le bout de son nez. “Ils chassent plus en amont de la rivière, pour ne pas s’emmerder avec les renaaaaigse.”
Heureusement, les autres membres du groupe ne montrent pas la même lâcheté que Lucia. L’austère femme en charge ajoute :
“Nous ignorons s’ils sont toujours indifférents à notre présence, nous ne sommes pas les seuls à voyager. Soeur Lucia, montrez à Frère Vaast et Madame de Courcelles les environs. Vous êtes la plus apte d’entre nous à communiquer avec les natifs.
- Je connais cinq mots.”
Toutefois, ce n’est pas le maigre vocabulaire de la guérisseuse qui convainc Luciana de revenir sur ses indications. Sans trop flâner dans le campement, Lucia pivote et se dirige vers la forêt.
“Toiig, renaaaigse. On part à l’aventure.”
Elle revient sur ses pas pour récupérer une machette pour le bois et repart.
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
Le “je connais cinq mots” arracha un ricanement à Vaast. Il se retint de hausser les épaules et d’enfoncer lui aussi les mains dans les poches. La nonchalance de la rousse avait quelque chose de contagieux, mais ce n’était pas le moment de se montrer négligent.
-Bien, se contenta-t-il de répondre en s’adressant à Luciana.
Il rejoignit donc Lucia et Alix en pliant et dépliant les doigts. Fut un temps où il aurait immédiatement pris la tête de son groupe pour organiser un travail d’éclaireur convenable, mais aujourd’hui, à quoi bon ? De toute façon, Lucia avait ses ordres : elle était censée montrer les environs.
L’inquisiteur promena un regard morne sur lesdits environs. De l’herbe. Des troncs. Des feuilles. C’était sale, fouillis et inintéressant. Il jeta un regard en biais à Alix puis revint à Lucia.
-Vous avez déjà eu affaire aux Natifs de cette région, donc ?
Il ne s’était encore jamais retrouvé face à un insulaire vraiment agressif. Certains s’étaient montrés agacés, mais on ne l’avait encore jamais attaqué. D’après les histoires qui circulaient, il fallait davantage se méfier des animaux, pour le moment. Vaast espérait que Luciana aurait le bon sens d’organiser des tours de garde.
-Quand débuterez-vous le travail ? ajouta-t-il d’une voix morne.
Plus vite ça commencerait, plus vite ça se terminerait. Sans la présence d'Alix, il aurait déjà plongé tête la première dans la grisaille, histoire de ne plus se rendre compte de ce qui se passait.
Il y avait des jours où ça demandait trop d'efforts.
The disaster
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Feat Lucia & Vaast
Avec en tête le souvenir de leurs dernières parties, Dilay n’est pas surprise par la remarque du collègue de Lucia. Un instant, la mathématicienne scrute la théologienne de par-dessous son chapeau. Elle la fixe avec un peu trop d’intensité, en fait, et son sourire disparaît pour être remplacé pendant un instant par une moue songeuse comme si elle se demandait ce qu’elle allait faire de Lucia. L’impression peut ne pas être très agréable, Dilay n’a l’air ni joueuse ni amusée. Puis, d’un coup, elle sourit à nouveau :
- P-Pas de partie pour toi sauf si quelqu’un te su-supervise.
Elle fait un signe du menton vers Vaast. Vu l’inimitié évidente entre les deux il serait probablement vigilant.
Dilay écoute Lucia décrire les alentours et adresse à la religieuse un regard blasé. Que ce soit pour répondre à ses questions ou pour dresser un portrait d’une situation, la thélémite manque de vocabulaire. Des Natifs là-bas ? Ca l’avance bien, tiens…
- C’est pas les Natifs qui sont inquiétants. C’est la faune. Je suis jamais allée par ici. La carte dit que y a des marais. Je sais pas ce qu’il y a dedans mais si on trouve des grottes faut faire attention. Y a des … choses dedans. Beaucoup de choses.
Dilay bouge les mains tout en parlant, elle signe « loup » quand elle cherche ses mots et finit par écarter les mains à l’aveugle pour tenter de signifier qu’il y a des bestioles de toutes tailles qui se cachent dans les souterrains de l’île.
La mathématicienne lève un poing enthousiaste pour reprendre silencieusement l’exclamation de Lucia. A l’aventure ! Mais elle ne peut pas tout à fait se détendre. L’auto-proclamée paresseuse Dilay remarque bien que Vaast ne propose rien, aucune mesure concrète, et que les renseignements que possèdent Lucia et Lucia deux sont bien maigres. L’inquisiteur a bien dit qu’il n’y aurait pas de danger qu’il ne pourrait gérer mais Dilay sait qu’il ne s’est jamais éloigné très longtemps d’une ville. Elle le croit capable de se défendre, et peut-être que les théologiens le peuvent aussi mais…
C’est son travail, et un travail pour lequel elle s’entraîne depuis gamine. Elle y réfléchit à peine, elle est déjà en mouvement :
- F-Faut qu’on mette en place des tours de garde. Clairs. On doit faire un vrai tour, repérer tous les nids po-potentiels. Cette nuit ce sera le fe-festival, autant savoir ce qui viendra d’où. On devra garder le feu vif. Nous faut du bois. Sec.
La mathématicienne s’approche du ru où elle a fait boire le ruminant et inspecte l’onde, la tête légèrement inclinée. Elle se relève dans un mouvement fluide et revient vers ses comparses.
- Faites attention à l’eau aussi. Si les Natifs sont en amont, qu’ils l’utilisent pour des choses comme laver le cuir elle peut être im-impropre. Faudrait une source claire. Ou recueillir de la rosée.
Dilay n’a aucune idée que les thélémites ont une abondance d’eau dans leur pays. Les accumulateurs de rosée sont très répandus à Khorshid tant les steppes sont frappées par la sécheresse, et même quand elle voyageait dans la campagne de Sérène elle a toujours apprécié avoir un moyen de boire autrement qu’aux rivières contaminées par l’activité minière.
- On peut pas faire quatre quart. On est que deux. Alors je prends la première partie de nuit, prenez la seconde.
Propose Dilay à Vaast. Elle se donne l’horaire la moins facile mais elle sait que son sommeil est beaucoup plus profond vers l’aube et que si on la laisse somnoler à ce moment on aura du mal à la lever.
Sur ce…
- J’ai jamais vu de marais.
Elle lance, un peu à Lucia, un peu à Vaast. Dilay a un sourire accroché aux lèvres : imaginer une zone en eau toute l’année c’est impressionnant et fascinant pour une fille habituée à la sécheresse.
“Difficile de pas les croiser, on est sur leur île.” Répond Lucia en s’enfonçant parmi les troncs et les herbes. “Urgh, du travail.”
Pour quelqu’un de si nonchalamment mou, la religieuse ne perd pas pied. Sa cheville ne se tord pas pour accommoder un dénivelé inattendu, elle passe avec l’aisance d’une créature par-dessus les branches se trouvant sur son chemin. Les yeux gris de l’ancienne inquisitrice surveillent Vaast, mais s’arrêtent plus souvent sur Alix. Lucia glousse comme si elle venait d’entendre une remarque amusante. Elle est tentée de lui répondre que tout cela ne sert à rien, que le Lumineux les protégera, d’enfoncer son groupe et leur compétence de survie, mais elle préfère préserver ce premier jour de voyage. Mieux valait conserver son sardonnisme pour les jours à venir, au moment où cela sera intolérable.
“Oh, t’inquiète pas, il y a plein de faune amusante dans les environs.”…mais s’échappe un brin, malgré sa bonne volonté.
Lucia s’arrête près de l’eau et incline son buste au-dessus de la rivière, dans un angle perpendiculaire à ses jambes.
“On bout l’eau avant de la boire.”
À la façon d’un prédateur, elle brise son immobilité pour étirer son bras vers l’eau avec vivacité et attraper sa proie. Rien ne s’échappe du poing qui sort de la rivière mais, après avoir trotté vers Alix, Lucia déclare :
“Un cadeau pour madaaame de Courcelles.”
Elle écarte les doigts au-dessus de l’épaule de la pugiliste et laisse tomber ce qui ressemble à une petite grenouille. Humide, brillante d’eau, visqueuse. Lucia s’essuie sur pantalon et, comme s’il n’y avait pas eu d’intermission amphibienne, elle pointe l’amont de la rivière.
“Vous voyez le tronc sur le bord de l’eau, là-bas ?” Elle grommelle. “Si non, penchez-vous à ma hauteur.” Puis gesticule dans la direction indiquée. “Plus loin que ça, c’est là où chassent les natifs. La faune est dangereuse, mais être confondus avec un animal aussi. Les marais sont plus hauts, on peut y aller demain, si tu y tiens.”
Pour ajouter du poids à sa prévention, elle ajoute un avertissement :
“Si vous vous blessez grièvement, je suis la personne qui va vous soigner, pensez-y.”
Lucia s’éloigne de l’eau et s’enfonce ailleurs dans la forêt. Se promener dans la nature lui apporte un bien immense et cela réduit l’efficacité de la visite des environs qu’elle doit faire à Vaast et Alix. Elle les guide vers une aire où la lumière a de la difficulté à traverser l’épais feuillage de la canopée. La vigilance de l’ancienne inquisitrice s’active, l’indolence laisse place à la précaution.
“Les nids potentiels comme celui-là, tu disais ?” Chuchote la religieuse autant pour Alix que Vaast.
Les Dosentats sachant se camoufler dans la nature et leur immobilité leur donnant des airs de gros fruits, la thélémite pointe ceux qui se reposent quelques arbres plus loin. Plus loin, mais trop proches. Avant de partir vers un autre point d’intérêt, pour alimenter ses petits défenseurs en information, elle esquisse plusieurs signes de main machinaux pour les informer du nombre de dosentats qu’elle a repéré. Vaast comprend, ils ont déjà communiqué de cette façon dans une autre vie.
The disaster squadFeat Dilay & Lucia
-Jamais vu de marais.
Vaast ne disait pas ça pour se plaindre mais pour signifier qu’il n’avait pas de connaissance du terrain. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il y avait de l’eau dans les marais. Et des insectes.
Alix était déjà en train de faire les propositions qui s’imposaient : feu, tours de garde et repérage. Il se pencha pour tâter le bois ; toutes les branches mortes au sol n’étaient pas humides. Débutant sa sélection, il se mit à en amasser dans ses bras. Au pire, il lâcherait tout sur le sol le temps de les défendre.
-On n’a pas de quoi récupérer la rosée. Il devrait y avoir assez d’eau dans le secteur.
Il approuva la suggestion de Lucia d’un signe du menton : ils se contenteraient de faire bouillir le liquide. De même, il se contenta d’un hochement de tête pour accepter de monter la garde cette nuit. Il n’eut aucune réaction quand la missionnaire déposa une grenouille sur l’épaule d’Alix.
En revanche, il en eut une quand Lucia indiqua, d’un signe, le nombre d’ennemis en vue. Déposant lentement sa cargaison de bois au sol, il fit un pas en avant pour les observer à son tour.
-Ils n’ont pas l’air agressif, mais ils sont trop près du camp pour qu’on soit en sécurité, murmura l’inquisiteur.
Il avait déjà dû nettoyer un nid, mais il n’y avait eu que deux dosentats pour le défendre. Ceci dit, il n’était pas seul - Alix était armée aussi.
-En tuer un ou deux ne sert à rien, ils restent tant que leur nid n’a pas été détruit. Sinon, il faudra être très vigilant cette nuit.
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Feat Lucia & Vaast
Dilay observe Lucia qui se tortille après avoir appris qu’il allait lui falloir bouger ses petites fesses au lieu de les poser tout de suite pour arnaquer ses collègues aux cartes.
Faire bouillir l’eau ? Tiens, voilà une technique dont la mathématicienne n’a jamais entendu parler. Elle a déjà vu de rares filtres à sable. La ville de Khorshid en a un. En plus d’être chers, ils sont immenses, impossibles de les transporter et de les remonter durant une expédition comme la leur.
- De l’eau propre ?
Relance la mathématicienne quand Vaast déclare que les cours d’eau des environs devraient suffire. S’ils pouvaient trouver une source… Ils sont en altitude, ce ne devrait pas être impossible. La pureté leur serait alors garantie.
Pas du tout incommodée par la grenouille, Dilay sursaute. Sensible, le changement brusque de température, l’eau fraiche, que la mathématicienne n’a absolument pas entendu venir à cause du clapotement du ru, la met sur ses gardes dans un pur réflexe. Lucia a de la chance, la jeune femme n’était pas trop tendue, mais son poing se crispe visiblement. Elle aurait pu avoir un geste malheureux en d’autres circonstances. En poussant un grognement, Dilay tâte ce qu’on vient de lui poser dessus et…
Son geste se fait d’un coup très précautionneux. Elle décoche un regard noir à Lucia.
- F-Fais attention. Faudrait pas la blesser.
Puis, en gardant la petite bête aux creux de ses paumes fermées comme une boîte pour ne pas la blesser, elle la repose tout doucement dans son cours d’eau et la regarde y nager avec agitation jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Elle lui fait même un petit signe d’adieu. Il faut ainsi un instant à Dilay pour s’intéresser à ce que Lucia lui dit. Elle se tourne vers elle pour lire sur ses lèvres la fin de sa phrase.
- Je veux aller dans les marais. Oui.
Répond la mathématicienne qui ne comptait pas demander la permission de toute façon.
- M-Mais le travail, il nous emmène où ?
Ce sont des théologiens. Des sortes d’historiens et d’archéologues, si Dilay a bien suivi. Vont-ils faire des fouilles dans les alentours ? Le camp reste-t-il toute la semaine ou vont-ils le lever dès le lendemain ?
Dilay décoche un regard aux directions pointées par Lucia. Très bien, Natifs par là. Dans un claquement sourd, un geste mécanique que la mathématicienne ne regarde même pas, elle ouvre la chambre de son fusil et y fait glisser une longue balle, sans vraiment réfléchir au fait qu’elle pourrait s’attirer les foudres de non pas un, mais deux vétérans traumatisés. Il faut dire que Dilay ne semble pas s’apercevoir elle-même qu’elle vient de produire un bruit fort.
Elle repasse la sangle de son fusil dans son dos et hausse les épaules. Cela ne sonne pas trop comme une menace pour elle – Lucia l’a soignée une fois et l’exercice s’est bien passé.
- Y a pire.
Commente simplement Dilay. Elle a déjà fait des incursions en territoire natif, c’est exactement ce qui lui vaut d’être ici. Elle est toujours en vie, quoi qu’on en dise. S’il lui faut échanger à nouveau quelques balles contre leur sécurité…
Quoi qu’elle n’aura probablement pas le temps de négocier. Ses deux comparses prendront les choses en mains.
Dilay scrute Vaast du coin de l’œil tandis qu’il ramasse du petit bois. Elle-même préfère avoir les mains libres. Ses armes sont chargées et elle est prêt à tirer mais n’apparaît pas particulièrement sur le qui-vive tandis qu’elle déambule entre les arbres. Ils ont l’air d’essences différentes qu’ils ne le sont plus bas, dans la vallée. Dilay se penche pour ramasser une grande feuille pennée comme elle n’en a encore jamais vu.
Les troncs ne sont pas bien épais non plus, elle remarque. Pas autant que les immenses chênes autour de Nouvelle-Sérène, qui semblent avoir des siècles. Ce n’est pas logique, songe Dilay. Il y a plus d’eau alors tout devrait être plus gros, non ? Peut-il y avoir *trop* d’eau pour un arbre ? Le sol est un peu spongieux aussi…
Dilay ne cherche pas à faire la conversation. Comme souvent, elle est absorbée par ses propres analyses, pensées et idées. Elle a bien assez parlé et écouté durant le trajet et songe qu’elle et Lucia auront de quoi deviser une fois dans la tente.
La religieuse, justement, fait halte d’un coup et pointe des dosantats en train de se reposer. Un regard à gauche. Un regard à droite. Dilay secoue la tête pour elle-même.
Elle aurait envie de dire des tas de choses : envie de préciser que le souci, ce n’est pas que de détruire le nid. Il faut tuer la reine. Si des individus sont en chasse, ils vont revenir face à un nid vide et errer dans les environs, ce qui les rend encore plus dangereux. Est-ce que ses deux comparses savent reconnaître une reine ? Parce que Dilay, non. Et puis quelle idée d’installer un camp avec de faire un tour comme celui-ci et d’évaluer les dangers…
La mathématicienne reste pourtant parfaitement silencieuse. Elle a dans l’idée que Vaast lui décochera un regard blasé et que Lucia trouvera simplement une façon de tourner ce qu’elle raconte en dérision probablement très drôle en d’autres circonstances mais face à tous les efforts que cela demanderait d’expliquer son point de vue…
Dilay se contente de les fixer pour attendre leurs ordres. Elle est payée pour ça, elle ne va pas commencer à discuter.
“Plus haut.” Répond Lucia en pivotant sur sa botte. Lorsqu’elle repère une formation rocheuse qui dépasse le reste du paysage, elle la pointe du bout de son doigt. “Par là. C’est là que les ruines sont.”
Un frisson parcourt le dos de Lucia qui serre la mâchoire pour le contenir. Elle toise l’arme à feu de Dilay à peine une seconde avant de poursuivre leur visite des environs en s’enfonçant dans l’ombre de la forêt. L’ancienne inquisitrice n’est pas surprise qu’Alix prépare son arme. C’est normal, en territoire inconnu et potentiellement dangereux. Toutes les armes ont leur bruit mécanique, leur clic annonçant une mort prochaine. Aucun soldat de l’Alliance ne va surgir d’un buisson pour l’attaquer, mais un conditionnement que Lucia n’a pas parvenu à défaire l’oblige à chasser toute la dérision qui l’habite et à se concentrer sur le moment présent.
Lucia a eu la chance d’être désagréable avec son collègue et elle ne l’a pas saisie. Après un hochement de tête à son intention, elle se déplace d’un pas mais s’arrête aussitôt. La religieuse pose son regard gris sur Alix et pointe une direction, puis fait le geste d’un personnage qui marche avec son index et son majeur pour lui traduire ses intentions. Elle se remet en marche et ne s’arrête que plus loin, là où elle peut parler normalement sans attirer sur eux le courroux des bêtes volantes.
“Pas besoin de les tuer dans leur nid, juste s’ils s’approchent trop du camp. Le jour, ils ne volent pas vraiment où nous sommes installés. Il fait trop clair. La nuit on éteint tout, et on remballe nos affaires le matin, une fois le soleil levé. S’ils vous causent problème cette nuit, je vais vous aider.”
Lucia vient pour continuer à marcher mais change d’idée avant de reposer le pied au sol, ce qui la déstabilise presque. Presque. Les doigts repliés en pistolet, elle darde Vaast et Alix avec ses index et un sourire vient apparaître sur ses traits -ça commençait à faire longtemps.
“Je peux neutraliser le venin des dosentats.”
Une compétence qui n’est pas partagée par tous les mages, puisque inexistante sur le continent d’où ils viennent et compliquée à apprendre.
Le tour des environs du campement se poursuit. Lucia n’apporte pas de surprise aussi grande que la proximité du nid de dosentats. Elle apporte parfois des précisions sur ce qui pourrait venir d'où, mais le campement est relativement sauf. Toutefois, nul n’est à l’abris d’une créature qui s’égare de son territoire habituel et Lucia est une fervente adoratrice de l’adage “mieux vaut prévenir que guérir.”
“Avez-vous des questions ? Des suggestions ? Des menaces ?”