La bonne direction, tu parles! - Cerys

Cerys dévisage son vis-à-vis tandis qu'il semble réfléchir intensément au marché qu'elle lui propose. Est-ce qu'il y tient autant qu'à sa bague ? Elle ne voudrait pas le mettre dans une situation délicate, c'est juste pour avoir des souvenirs de cette rencontre. Se mordillant la lèvre inférieure, elle est sur le point de dire d'oublier ce qu'elle a proposé quand il répond :

"Vous êtes dure en affaire, mais c’est entendu ! La boucle d’oreille contre le trajet."

Le visage de la voglendaig exprime de nouveau toute la joie qu'elle ressent à cet instant. Pas de demi-mesure, pas de faux semblant. Juste, une jeune femme sincèrement ravie de recevoir un bien qui lui est étranger. Ses yeux brillants s'attardent sur la main tendue dans sa direction et son visage se plisse d'incompréhension. L'expression d'Aldéric indique à la brune qu'elle doit se saisir de cette main. Ce qu'elle fait, la tenant simplement. Encore une coutume étrange. Je vais avoir des choses à apprendre pour m'adapter à la vie à San-Matheus.

"Et d’ailleurs j’aurai une question, si vous souhaitez y répondre bien entendu vous êtes libre de rester discrète ! Mais qu’avez-vous prévu d’aller faire à San-Matheus de votre côté ?"

La bouche de Cerys se tort en une moue songeuse. Ce n'est pas spécialement un secret mais elle ne veut pas que ça se sache partout trop vite. Son peuple est avide de ragots et elle le sait, certains viennent puiser leur dose hebdomadaire chez les renaigse. Le fait qu'elle va apprendre à écrire avec les thélémites va finir par se savoir, c'est une certitude. Mais, le plus tard serait le mieux. Déjà que ses parents ont manqué rejoindre En on mil frichtimen quand elle leur a dit.

"Pour... visite, avec missionnaires."

Ce n'est pas complètement un mensonge. Mais, ce simple détournement de la vérité la met profondément mal à l'aise. Un natif ne ment pas. Normalement. Alors, pour éviter de s'appesantir sur le sujet, Cerys se remet en route en changeant de sujet, la boucle d'oreille d'Aldéric dans la main.

"Vous, que faire à San-Matheus ?"

Aldéric appuya la fin de l’échange marchand d’un grand sourire, comme le voulait la courtoisie. Et puis sourire l’aidait à dissimuler plus facilement ce qu’il ressentait réellement ; un profond amusement.
Cerys lui paraissait grandement troublée et hésitante, comme si avait sur ses épaules le poids d’une négociation aux conséquences largement plus fortes que celles d’un simple troc basique. Peut-être était-elle secrètement une grande manipulatrice, mais ses réactions même si un peu exagérées paraissaient sincères et spontanées.

Vraiment de drôle de gens ces natifs, à s’extasier sur quelque chose qui brille mais celle-ci était attendrissante au moins, assez sympathique et au comportement aussi clair à comprendre qu’un livre ouvert mais écrit en langue étrangère. Une drôle de rencontre, mais une rencontre agréable ! Et puis elle donnera l’occasion de briller en société quand il faudra raconter comment cette mésaventure a été sauvée par le bagou des deux nobles qui « parlaient si bien qu’ils ont réussi à s’associer avec une voglendaig ! »

Elle eu l’air un brin mal à l’aise toutefois avant de répondre qu’elle allait à San-Matheus pour « Visite avec missionnaires. » Ah ! Certainement qu’elle avait été embrigadée par les adeptes du Lumineux ou qu’elle était sur le point de l’être, pauvre petite Cerys.

Le notaire ne laissa rien paraître de son opinion de ces gens-là, ça n’était pas sa place de la mettre en garde contre le plus grand pêché des gens de Thélème : être terriblement ennuyants.

-Ah ! Une visite avec des missionnaires je vois ! Ils sont terriblement convaincants ces Thélèmite, quand j’étais encore sur le continent, avant d’arriver sur Teer Fradee donc, je vivais dans une grande ville ou ils venaient très régulièrement, pour essayer de nous vendre les mérites du Lumineux et de leurs us et coutumes ! » répondit Aldéric alors qu’il glissait un regard vers Osgar. C’était Osgar qui l’avait convié dans cette expédition, c’était à lui de répondre.

-Et bien nous étions partis pour rendre visite à des connaissances que j’ai à San-Matheus ! Ce sont des commerçants quand j’ai rencontré sur le continent il y a quelques années et je comptais renouer ce contact pour…et bien pour le bien du commerce ! » dit-il comme s’il énonçait une évidence ; de la même manière que tout est un clou pour qui manie le marteau, pour le commerçant tout le monde est un client potentiel.

"Ah ! Une visite avec des missionnaires je vois ! Ils sont terriblement convaincants ces Thélèmite, quand j’étais encore sur le continent, avant d’arriver sur Teer Fradee donc, je vivais dans une grande ville ou ils venaient très régulièrement, pour essayer de nous vendre les mérites du Lumineux et de leurs us et coutumes !"

L'expression sincèrement ravie disparait pour laisser le dégoût s'exprimer. Cerys ne cache pas ce que lui inspire le dieu des rouges.

"Un bourreau qui sacrifie la vie", marmonne-t-elle dans sa barbe. Inutile que les renaigse comprenne ce qu'elle baragouine, elle ne maitrise pas assez leur langue pour se lancer dans un exposé sur la religion.

Elle préfère donc demander ce qu'ils vont faire dans la ville des missionnaires, vraiment curieuse de savoir ce qu'on peut y faire. C'est l'autre homme qui répond. Ce qu'il dit n'évoque pas grand chose pour la jeune femme. Ces histoires de commerce, c'est encore bien trop vague pour elle. Et comme ça ne lui inspire pas grand chose, elle ne rebondit pas, se contentant d'hocher de la tête.

Ils ont repris la marche et Cerys regarde moins ses interlocuteurs. Elle reste vigilante sur l'environnement pour éviter les coins les plus dangereux. Il serait malheureux de marcher accidentellement sur la queue d'un egsregatt qui se dorait la couenne. Cette probabilité est très mince.

Ah ! Aussitôt avait-il mentionné le Lumineux que l’expression de la native était devenue amère. Son bonheur et sa gaité s’étaient envolés pour lever le voile sur une grimace de dégoût.

Aldéric n’allait de toute façon pas relever la chose, le sujet indisposait visiblement Cerys suffisamment pour qu’elle grogne quelques mots dans son borborygme natif. Certes il aurait aimé savoir les raisons de cette aversion, mais sa curiosité était muselée par la courtoisie et par les règles de politesse de la bourgeoisie. Après tout, c’était la ce qui distinguait les nobles gens ; la manière dont ils traitent les autres et se comportement avec exemplarité !

Hélas pour le vieux corbeau avide de conversation, après la réponse d’Osgar d’une platitude sans nom et que la marche progresse la jeune pie se fait plus calme et silencieuse. Certainement parce qu’elle est concentrée sur son travail de guide (Si seulement d’autres pouvaient en prendre de la graine…) mais aussi peut-être parce qu’elle avait été un peu brusquée et indisposée par le sujet.

Voilà qui était curieux tout de même. Si elle détestait Le Lumineux et que le simple fait de l’évoquer provoquait une telle réaction, pourquoi aller rejoindre San-Matheus et ses Thélémites pour « Visite avec missionnaire ». Les gens sont pleins de paradoxes quand on les connaît mal, certainement avait-elle une bonne raison mais c’était bien singulier.

Peut-être était-elle secrètement amourachée d’un habitant et elle vivait une romance secrète et interdite par son peuple et celui de l’autre, la vérité était certainement moins amusante que ce conte.
Le notaire, même s’il faisait confiance à leur guide surveillait autour de temps à autre autant pour profiter du paysage de l’île que pour débusquer une bête sauvage qui souhaiterait en faire son prochain repas. Il savait bien que c’était improbable, mais il était difficile de bien raisonner avec la paranoïa.

Mais patience ! Bientôt il aurait un toit au-dessus de la tête pour dormir, bientôt il serait de retour au cœur d’une ville et de la civilisation et bientôt toute ces craintes ne seront qu’un souvenir amusant qu’on raconte autour du verre lors de l’histoire de la fameuse « rencontre avec une voglendaig » (Même dans ses pensées la voix d’Aldéric ne prononçait toujours pas le titre correctement) Il ne manquerait pas de donner le beau rôle dans cette histoire à la jeune Cerys d’ailleurs, après tout c’est aussi ce qui distingue les nobles gens : le haut sens de l’abnégation !

Dommage qu’il faille s’en séparer bientôt d’ailleurs. Elle était fort sympathique finalement et puis c’est une fonction d’importance qu’elle occupe non ? Le bon commerçant n’est-il pas tissé dans la fibre du bon diplomate par ailleurs ? Ah ! La solution était toute trouvée, ce qui distingue avant tout les nobles gens c’est leur hospitalité.

Alors que la petite troupe progressait en suivant sagement Cerys, Aldéric s’exclama soudainement à l’attention de la voglendaig ;
« D’ailleurs Cerys ! Si vous êtes un jour curieuse de voir Nouvelle-Sérène n’hésitez pas à mentionner mon nom au premier membre de la Congrégation que vous croisez. L’intégralité de mon nom, avec la particule et mon nom de famille ; Aldéric de l’Aulnay. Je suis quelqu’un d’important, on saura vous rediriger vers moi ! Vous nous avez bien sauvé la mise hier et puis vous êtes très sympathique, je vous recevrai chez moi avec plaisir ! »

Le silence s'installe sur le petit groupe. Un silence loin d'être pesant pour la native qui goûte un repos mental bien mérité. Rien de tel qu'une marche silencieuse pour se connecter à En on mil frichtimen, à l'île toute entière. Si ses sourcils se sont froncés en entendant Aldéric parler du dieu des rouges, ils ont repris leur place initiale maintenant que sa colère retombe.

Se laisser subjuguer par ses émotions n'apporte rien de bon. Elle le sait. Elle doit apprendre à se maitriser. Une guide spirituelle ne peut pas céder aux caprices de l'âme.

Celui aux mille visages ne semble pas en vouloir à Cerys d'accompagner les renaigse pendant leur voyage. Pas une créature dangereuse pour les attaquer, un temps quelconque qui ne les empêche pas d'avancer à un bon rythme. Encore quelques heures et nous y sommes.

"D’ailleurs Cerys !"

Cette soudaine interjection surprend la jeune femme. Perdue dans ses pensées, elle ne s'y attendait pas. L'habitude de pérégriner seule. Pour autant, sa curiosité reprend aussitôt le dessus et elle penche la tête, attentive.

"Si vous êtes un jour curieuse de voir Nouvelle-Sérène n’hésitez pas à mentionner mon nom au premier membre de la Congrégation que vous croisez. L’intégralité de mon nom, avec la particule et mon nom de famille ; Aldéric de l’Aulnay. Je suis quelqu’un d’important, on saura vous rediriger vers moi ! Vous nous avez bien sauvé la mise hier et puis vous êtes très sympathique, je vous recevrai chez moi avec plaisir !"

Même quand elle a reçu l'anneau et la boucle d'oreille, les yeux de Cerys ne brillaient pas tant. Une invitation à se rendre à Nouvelle-Sérène, une ville où elle n'a eu encore aucun lien ! Cette proposition est le plus beau des cadeaux.

"Merci. J'apprécie ! Je viendrai."

Le regard pétillant, la brune offre un sourire absolument ravi à son interlocuteur. Oh oui, elle viendra !

C'est presque en sautillant que Cerys finit le voyage. Les contours de San-Matheus finissent par apparaitre derrière le dernier bosquet. Elle s'arrête avant d'être visible depuis la ville. Le visage sérieux, elle prend un ton cérémonieux pour faire ses adieux :

"Vous êtes arrivés. Sans danger. Si En on mil frichtimen le veut, nous nous reverrons sur l'île. Je viendrais à Nouvelle-Sérène. Se revoir ! Merci pour enseignements. Bon vent !"

Après un dernier salut, un dernier sourire, Cerys fait volte face et disparait entre les arbres aussi facilement qu'elle en était apparue la veille, devant ce groupe d'étrangers perdus.[/color]