Salastar - Alliance du Pont - Cartographe

L'histoire du cartographe est banale. Si banale que l'on peut aisément le confondre avec n'importe qui d'autre, pratiquement. Des parents petits artisans, comme il en existe dans toutes les villes et les villages de l'Alliance et du continent lui même. Elle tisserande, lui travailleur du cuir. De quoi leur permettre de s'en sortir, de vivre sans pour autant réellement atteindre la bourgeoisie du bout des doigts. Assez d'argent pour embaucher un ou deux employés les aidant dans leurs tâches et dégager un plus grand revenu, assez pour offrir à Salastar la possibilité d'apprendre à lire, écrire et compter. Mais nullement ce qu'il faudrait pour l'envoyer dans une prestigieuse université.

Des parents aimants, avec de grands rêves pour leur enfant. Ils auraient aimés en avoir plusieurs, mais n'ont su obtenir que le blond. Ce dernier a donc reçu sur ses épaules tous les rêves, les espoirs et les souhaits de ses aïeux. Une pression délicate, subtile mais bien réelle. Une tentative de faire d'un bloc de charbon un diamant étincelant, sans le briser entièrement. La crainte de décevoir et de ne pas être à la hauteur. Une crainte telle que la seule voie imaginée par le jeune homme pour ne pas décevoir tant d'attentes est l'armée, la promotion sociale par le sang et la sueur.

L'engagement volontaire et le statut de lettré du jeune homme lui ouvrent les portes des régiments de support et de logistique, de toute l'administration militaire dont il rêvait pour faire carrière. Le meilleur moyen de pouvoir hisser les échelons sans finir comme toute la piétaille envoyée au massacre sur le front en des années qui ressemblent plus à des campagnes sans interêt ni progrès, si ce n'est celui dans l'horreur. Mais aussi une époque ou les rumeurs de l'ile miracle commencent à émerger et se répandre comme de la poudre. De quoi éveiller les rêves d'un nouveau soldat, lui donner une passion et un choix de carrière. La cartographie militaire. Aujourd'hui pour tracer les champs de bataille du continent et tirer le moindre avantage possible, demain pour explorer des terres inconnues, espère le blond.

Hélas, ses rêves de Nouveau Monde ont un coût. Et ce dernier lui est rapidement déclaré le plus crûment possible. Certes il s'est engagé de lui même, certes il était déjà lettré, et ses classes se sont passées à merveilles, lui offrant une place dont il n'a pas à rougir dans sa promotion. Mais obtenir un sésame vers l'ile miracle ne se fera pas en acceptant des petits travaux de cartographie régionale, même si cela fait partie d'un plan plus grand que lui, plus grand que sa génération pour recenser correctement et définitivement l'intégralité des terres de l'Alliance. Non, Teer Fradee lui coutera de précieuses années de sa courte vie. Des années passées dans la boue, dans la maladie, dans l'enfer des combats spontanés et d'une guérilla toujours plus sanglante. D'un aujourd'hui au goût de cendre qui n'offre même pas l'assurance d'un demain. Des années au front. Cinq pour être précis. Chaque jour est gravé dans l'esprit de l'homme comme dans du marbre, et pourtant ils ne laissent en majorité que des souvenirs pâteux lié aux chocs et aux traumatismes, donc le moindre examen en détail donne l'impression de tenter de discerner les grains de sable séparés d'une poignée s'écoulant entre les doigts. Et pourtant les cicatrices sont bien présentes, marques indélébiles de chaque mois, de chaque jour dans ce charnier bien vivant. Physiques pour certaines, mentales pour d'autres. Des mémoires de combats sanglants, de corps à corps brutaux. D'embuscades qui ignorent le rang, le grade, la position. Un cartographe qui devait aider les siens dans la guerre, et qui plus d'une fois s'est retrouvé dans le creuset de cette dernière. Le tranchant de certaines blessures ne s'émoussant pas malgré les années, ni même les souvenirs des moments les plus sombres de cette campagne. Thélème n'étant pas le seul ennemi présent. La maladie, second ennemi invisible mais tout aussi mortel. La Malichor, dévorant les hommes encore plus voracement que les conflits. L'incertitude de sa propagation. Chaque homme pouvant être un espion, chaque homme pouvant être un vecteur de cette mort silencieuse et pourtant inévitable.

Puis enfin la délivrance. Un service estimé suffisant. Une offrande de sang et de sueur, d'âme et de chair correcte pour la machine inébranlable et inflexible qu'est l'administration de l'Alliance. Plusieurs semaines de repos et de récupération, puis quelques mois de préparation. Et enfin l'homme se voit accordé la récompense de sa souffrance, un sésame vers l'ile miracle. Désormais bien mieux connue pour être aussi terrifiante que passionnante. Mais après le Front, plus rien ne peut choquer un homme, plus rien ne peut assombrir une âme baignée dans la boue, la poudre et la cendre.

Et depuis, cinq ans ont passés. Cinq années sur cette ile, à se faire à cette nouvelle vie et à l'accepter les bras grand ouverts. Plus agitée que celle du continent, mais aussi bien plus intrigante et prévisible en même temps. Obéir à Darya et accomplir ses missions. A commencer une cartographie des alentours d'Hikmet, puis de plus en plus profonde. A aider comme il le peut ses camarades et les habitants de la ville et de ses alentours à s'établir, à survivre, puis essayer de prospérer. Découvrir les natifs, autant qu'il soit possible de le faire pour un étranger venu d'un autre continent, même si les éclats de leur culture, de certaines ruines qu'a pu observer le blond l'intrigue. Certaines rencontres se montrant amicales, d'autres franchement hostiles pour ne pas dire dangereuses quand la barrière de la langue ou des aprioris se montre insurmontable. Et si cette vie est celle que le cartographe a souhaitée, que l'homme ne regrette pas le moins du monde, il se demande tout de même parfois si en payer un tel prix était nécéssaire... Mais de cela, il n'aura jamais la réponse. Du moins, probablement pas dans cette vie.

Le cartographe est d'un naturel calme, presque neutre. Les années ont fait leur effet sur le caractère initialement abrasif et enflammé de l'homme, à l'image du vent et de l'eau érodent doucement même les montagnes. Et si plus jeune le blond avait un tempérament de feu et sulfureux, désormais son entrainement, son expérience et les années au front l'ont assagi. Non pas que ses émotions et sentiments n'existent plus, bien au contraire. Salastar possède toujours des idées bien à lui et bien tranchées. Simplement, il a appris à mieux les garder pour soi, les camoufler. N'essayer de les exprimer que quand cela est utile ou nécessaire, et ne plus provoquer de conflits inutiles.

Néanmoins, cela ne rend pas forcément l'homme d'un caractère docile et pliable. Si il se montre en effet fort conciliant dans la plupart des situations et à la recherche d'un compromis qui saura satisfaire tout le monde -ou au contraire déplaire à tous, signe d'une bonne transaction-, une fois poussé un peu trop à bout il se montre capable d'exploser, et de faire ressurgir ce caractère de feu qui marquait ses plus jeunes années. Et une fois le diable surgi de sa boite, il ne s'exprime pas en de grands éclats et un ton plus haut, bien au contraire. La fureur de l'homme est froide, maîtrisée. Son regard devenant aussi glacial que ses paroles.

Autrement, il tend à se montrer relativement cordial voir amical avec tout le monde, gardant néanmoins une certaine distance respectueuse avec tous si ce ne sont ses plus proches amis. Quant à ces derniers, il les chérira plus que tout... Quitte à se mettre en une mauvaise passe pour les sortir des leurs. Et si la violence est rarement la meilleure des options, même aux yeux du cartographe, le déclic d'une pierre à feu allumant une charge de poudre reste toujours un bon moyen de faire taire définitivement un soucis... Et celui qui l'apporte avec lui.