Ealista - Alliance du Pont - Garde du Denier

Appuyée sur une rambarde du port d’Hikmet, la blonde observe le va-et-vient de ceux qui s’affairent à débarquer ou embarquer les marchandises des navires. Aujourd’hui est un jour de repos, c’est l’anniversaire de la demoiselle, son vingt-neuvième. Seule sur cette île, sans personne avec qui elle s’est réellement liée d’amitié, elle a choisi de passer la journée comme bon lui semble. Oui, bon, cela ne ressemble qu’à une journée de repos normale s’il faut être honnête. Et après avoir passé la matinée en suivant sa routine habituelle d’entrainement et entretien de son matériel, la demoiselle s’est retrouvée ici à laisser vagabonder son esprit, son regard observant tantôt les ouvriers, tantôt l’horizon.

Habillée de manière simple avec une chemise ample rentrée dans un pantalon qui la couvre jusqu’aux chevilles, elle joue de manière presque machinale avec un étrange collier. Ses doigts dessinent les formes des différents pendentifs accrochés à son fil. Le bijou ne semble pas réellement avoir de sens, ressemblant à une sorte de colifichet qui rassemblent différents pendentifs qui n’ont aucun rapport les uns entre les autres. Le dernier souvenir qu’elle a de sa famille. Tout en laissant son regard errer, son esprit se met à en faire autant, se rappelant tristement les événements qui l’ont amené jusque sur cette île voilà maintenant plusieurs mois.


« Eaaaa’ ! »

La gamine a son attention détournée de son entrainement martial avec son paternel en entendant la voix de son jumeau. L’homme lui-même arque les sourcils avant d’apercevoir le gamin qui accourt vers eux. Le garde arrête donc l’entrainement, venant ébouriffer la chevelure blonde de sa fille pour l’inviter à rejoindre son frère. Les gamins se mettent alors à échanger de manière énergique sur un sujet que le père ne peut entendre de sa position.

L'homme observe ses deux enfants échanger avec un petit sourire. Avec son poste de lieutenant à la Garde du Denier, il n’a pas forcément le temps de les voir grandir. Il enchaine souvent les missions bien rémunérées pour toujours s’assurer de subvenir à toute leur famille, mais aussi essayer d’offrir l’éducation nécessaire à ses enfants. Maintenant au début de l’adolescence, il voit ô combien ils sont tous deux différents. La fille a une épée courte en bois accrochée à la ceinture, alors que son frère porte un épais livre.

Ealista, l’ainée, est une fille énergique, vivante, plutôt extravertie, avec une bonne humeur communicative. Le genre à toujours faire rire et amuser leur mère à la santé fragile, mais aussi à extrêmement l’inquiéter. Et depuis ses 10 ans, elle demande en permanence à son père de lui apprendre à se battre. Quand il refuse, elle supplie alors de lui raconter ses dernières missions. Et s’il ne le fait pas, elle sait qu’elle va profiter de chaque visite de Gustave, son meilleur ami à la Garde, pour les conter. Une adolescente qui refuse de suivre les cours à l'école, trouvant les livres bien trop ennuyeux, fuyant presque les instructeurs. Seul point positif, elle sait enfin à peu près compter et connait son alphabet. Il semble que sa fille s’est mise en tête de suivre ses pas et d’entrer dans la Garde quoi qu’il en coûte, les livres la "ralentissant" selon ses propres termes.

À son opposé, Urilius, son plus jeune frère de seulement quelques minutes, a un avenir d’érudit tout tracé. Bien plus frêle que sa soeur, plus petit qu’elle et extrêment timide. Leurs instructeurs a redoublé d’efforts sur lui pour l’instruire, et l’enfant a montré une curiosité inversement proportionnelle à celle de sa sœur pour les livres. De nombreux sujets l’intéressent et le passionnent, dévorant le moindre livre à sa portée. Il parle d’ailleurs de vouloir un jour intégrer l’Académie et apprendre la médecine, trouver le moyen de prendre soin de sa mère bien trop souvent malade.

Évidemment, à chaque fois qu’il parle ainsi de son rêve, Ealista en profite pour dire qu’elle s’occupera de protéger toute la famille, qu’elle prendra la place de son père à la Garde quand il sera trop âgé et fera régner la sécurité et la paix sur le continent. Ce genre de remarques amusent souvent l’homme qui en profite pour la taquiner sur son manque de progrès à l’entrainement et qu’il va donc devoir le durcir. Des chamailleries qui amusent toute la petite famille et maintiennent sa bonne humeur depuis des années.

Et c’est justement pour assurer ce bel avenir à ses enfants que le paternel accepte une mission bien plus lucrative cette fois. Il ne cesse de rassurer son épouse avant son départ puis vient saluer ses enfants. Tous deux ont bien grandi. Urilius a réussi à entrer à l’Académie, étudiant la médecine comme il l’a toujours rêvé. Ealista de son côté a un avenir prometteur à la Garde. Gustave s’occupe maintenant de son entrainement, le lieutenant-instructeur ayant commencé à lui donner un entrainement digne des recrues les plus téméraires avant même ses dix-neuf ans. Les jumeaux les auront dans quelques semaines, et leur père espère rentrer pour leur anniversaire avec une généreuse prime et des cadeaux.

Tout le monde s’est arrangé pour venir saluer le Garde avant son départ en mission, ce dernier gardant toujours secret ce qu’il doit y faire et pour combien de temps. Sachant que cette fois, les choses seront plus dangereuses, il a envie de marquer le coup avec ses enfants. Il a retrouvé les colliers qu’il leur avait offerts plus jeunes tout en leur racontant une vieille histoire de sa ville natale. Chacun avait alors eu droit à des pendentifs à accrocher aux colliers, offerts par leurs parents à chaque anniversaire. Le nombre de pendentifs indiquant l’âge des enfants, chacun étant lié à un souvenir ayant marqué l’année de l’anniversaire en question. Ils ont ensuite toujours gardé ces bijoux et les pendentifs étant devenus plus nombreux jusqu’à arriver à dix-huit.

Leur père a vu qu’ils ne pouvaient plus les porter, devenus trop lourds et abimés pour cela. Il les a donc refaits, prenant soin de replacer chaque pendentif dans l’ordre que les jumeaux ont décidé, se rappelant chaque souvenir lié aux objets pendant la réparation. Il vient leur rendre les bijoux avec un sourire et tout en leur faisant une promesse.

« À mon retour, je vous offrirai à chacun un nouveau pendentif pour votre anniversaire. Et cette fois, ça sera le dernier. Vous serez enfin prêt à chacun faire votre vie comme bon vous semble. Ce sera à vous d’en ajouter. »

Et après une dernière étreinte chaleureuse, il est parti, chacun retournant à son quotidien en attendant son retour sain et sauf.


« Ealista ? »

Sans s’en rendre compte, la blonde s’était mise à verser des larmes silencieuses en observant l’horizon. Elle essuie ses joues avant de tourner la tête vers la voix qui l’a appelé, chassant les souvenirs nostalgiques comme si ses larmes étaient dues au vent. Yanise, une des filles du bordel de la Garde, l’une de celles dont elle prend régulièrement soin et avec qui elle s’entend bien. Celle-ci est très appréciée des clients fortunés ou avec un rang noble, une jolie rousse aux formes généreuses et au teint mat, lettrée et sachant user de sa langue de bien des manières. Il faut dire que son minois est des plus charmants, possédant une grâce rare pour une fille de joie. Mais elle est aussi incroyablement gentille, presque trop, ayant aidé la blonde à apprendre à nouveau à lire et écrire comme elle le peut.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

La voix d’Ealista est légèrement vibrante, comme coincée dans sa gorge. Il lui faut la racler pour retrouver un peu contenance. La prostituée la rejoint pour lui tendre un courrier. Elle reconnait l’écriture de Gustave quand elle lit son nom inscrit au-devant du courrier. Elle s’en doutait, le meilleur ami de son défunt père ne lâcherait pas le morceau aussi facilement. La blonde soupire avant de récupérer la lettre, essayant de la lire comme elle le peut. Évidemment, l’écriture de Gustave est parfaitement illisible pour la Garde qui n’a jamais été sérieuse dans sa volonté d’apprendre à lire. *Il a vraiment une écriture à chier ma parole…*

« Besoin d’aide ? »

Après s’être grattée la joue, gênée à la question, la blonde acceptant d’un petit hochement de tête, tendant le courrier à la rousse qui vient à son tour s’appuyer sur la rambarde pour lire. Elle lit silencieusement le courrier, son expression blêmissant à mesure qu’elle parcoure les lignes. Quand elle a fini, elle se tourne vers la Garde, une expression choquée sur le visage.

« C’est ton anniversaire ? »

Sans s’en rendre compte, la demoiselle claque de la langue de manière agacée. Qu’est-ce que Gustave a bien pu écrire encore ? Essayant de cacher son agacement, elle fixe son regard sur le courrier.

« Oui, et ce n’est pas important. Qu’est-ce que ce vieux fourbe me veut ? »

La rousse ouvre la bouche pour dire quelque chose, se retenant en secouant la tête avant de répondre.

« Euh… Il demande de tes nouvelles, te souhaite un bon anniversaire. Il aimerait savoir comment tu vas globalement. Il parle d’une vieille promesse à ton père qu’il doit tenir et qu’il n’a toujours pas de traces pour ton frère. Ealista… Tu aurais pu m’en parler ! Je pensais qu’on était amies ? »

Les remords viennent alors ronger l’expression de la Garde. *Yanise a raison. On peut maintenant dire que nous sommes amies. J'aurais au moins pu lui dire quel jour on est et arrêter de faire la mule.*

« Tu veux que je dise quoi au juste ? Que mon vieux con de paternel n’a pas été foutu de tenir une promesse de revenir en vie ? Que c’est Gustave, son meilleur ami qui nous a donné notre cadeau d’anniversaire de sa part à mes 19 ans tout en nous annonçant sa mort ? Que ma mère a sombré dans le désespoir après ça et que c’est sûrement ça qui a fait qu’elle a choppé cette saloperie de Malichor ? Evidemment, que ça l'a tué aussi ? Que mon frère jumeau, avec qui j’étais inséparable, s’est renfermé dans ses études ? Et qu’après être devenu médecin, au lieu de devenir richissime sur le continent, il est venu sur cette foutue île et qu'il n'a plus jamais donné de nouvelles ? Que ça me rend folle de ne pas savoir ce qu’il est devenu et que je le cherche parce qu’il est la seule famille qu’il me reste ? Et que cette tête de mule de Gustave ne veut pas me lâcher, me pistonnant autant qu’il le peut ? Qu'il m'a même trouvé une mission d'escorte auprès d'une riche héritière juste pour s'assurer que je ne prenne plus de missions dangereuses ? Et tout ça au nom d’une vieille promesse qu’il a fait à mon père de nous protéger ? Bordel, ça fait 10 ans que je suis dans la Garde, qu’il me lâche un peu et trouve des informations sur mon frère plutôt. Je ne suis plus la gamine qu’il a connue et son inquiétude ne m'aide pas. »

L’expression de la blonde est difficile à déchiffrer. Nostalgie, tristesse, colère, exaspération. Tant d’émotions se mêlent, Yanise ne sachant que répondre. Après avoir poussé un soupir, elle vient donner un coup de coude dans le flanc de la Garde.

« Bon allez oublie ça. Je n'ai rien demandé. Allons plutôt boire. C’est ton anniversaire, c’est moi qui paye. Et je te lis ça de manière convenable, sans poser de question. Il faut que ton anniversaire soit un moment joyeux ! »

Un soupir, suivi d’un petit rire soufflé, sort des lèvres de la Garde. Yanise a toujours les mots justes. Elle a été l’une des premières avec qui elle s’est liée d’amitié après son arrivée sur l’île il y a plusieurs mois. Une véritable amie, même si Ealista ne sait jamais trop gérer l’équilibre entre confidence et secrets, proximité et distance. *Ouais, autant aller se saouler jusqu’au lendemain.* Elle range son collier en le mettant autour de son cou, venant le cacher sous sa chemise. Passant ensuite un bras autour des épaules de la rousse, elle retrouve le sourire en la taquinant.

« Si c’est toi qui payes, je vais te ruiner alors. Je vais boire pour le reste de la journée et toute la nuit. Je vais être un véritable trou. »

Un rire élégant s’échappe alors des lèvres de la prostituée.

« Si tu veux. Mais il va vraiment falloir qu’on parle de tes goûts en matière de bijoux. Ce collier est vraiment moche. Je peux t'en trouver des mieux. »

La taquinerie fait rouler des yeux la blonde qui soupire mi-exaspérée, mi-amusée.

« Oh, fous-moi la paix, tu veux ? Sinon j’ai beaucoup à redire de tes propres goûts vestimentaires plus que douteux. »

Nouveau rire avant que le duo ne se dirige vers le centre d’Hikmet, bras dessus bras dessous, ne cessant de se taquiner.

S’il y a bien une chose qui ne décrit pas Ealista : la patience. Elle est ce genre de personne avec qui il ne faut pas tourner autour du pot, chercher à utiliser de grands mots ou expressions pour l’embrouiller, risquant de rapidement utiliser ses poings pour vous faire taire. C’est une femme simple, au tempérament parfois explosif, pourtant gentille et douce, mais qui ne sait absolument pas tenir en place.

Même si avec les années et l’entrainement de la Garde, elle a appris à mieux se contenir, c’est une personne énergique qui a besoin de bouger. Elle épuise souvent ses camarades du même âge qu’elle à l’entrainement ou lors de duels amicaux, ayant toujours de l’énergie à revendre. Elle n’est pas pour autant hyperactive, ayant juste besoin de remuer et s’occuper les mains pour éviter de trop réfléchir.

Car s’il y a une autre chose qu’elle n’aime pas : trop réfléchir. C’est une femme avec une intuition presque effrayante, ayant une capacité de réaction au combat qui en surprend beaucoup. Mais comme pour opposer ou compenser cela, elle fait aussi preuve d’une simplicité encore plus déconcertante. On pourrait même dire que son cerveau se trouve dans ses muscles. Elle a honnêtement du mal à se concentrer pour réfléchir, préférant les méthodes simples et efficaces, sans détours. Si elle peut résoudre un problème en usant de la force, elle le fera. Et si ce n’est pas possible, elle essayera tout de même. Un caractère qui a ralenti un temps, malgré les pistons, pour monter en grade et arriver au rang de sergent peu avant son arrivée sur Teer Fradee.

Cela se traduit notamment sur ses difficultés pour apprendre à lire et écrire comme il se doit. Même si elle est aujourd’hui capable de plus ou moins lire avec une lenteur d’escargot, il ne faut pas espérer encore lui confier des rapports complexes. Et ne parlons pas de son écriture abominable et illisible qu’elle aime classer comme "unique et incomprise" sans parler de son orthographe. S’il y a bien une chose qu’elle maitrise en revanche, c’est sa capacité à compter l’argent et à négocier. Certes, il ne faut pas lui confier de la comptabilité ni lui demander de complexes calculs mentaux, mais n’espérez pas l’arnaquer trop facilement. Enfin, sauf si vous savez comment lui parler.

Car même si elle affiche une expression souvent froide, presque triste, Ealista est une femme au grand cœur. Mais trop naïve pour son bien. Bien sûr, la vie lui a appris ses leçons de la manière dure, au point qu’elle évite de trop s’accrocher aux gens, les repoussant généralement, mais elle a cette honnêteté qui fait que beaucoup de monde l’apprécie. Honnêteté parfois trop franche, voire crue. Elle a des habitudes données par la Garde, ayant un humour vulgaire et un langage qui l’ait également même si elle se tient quand elle est en service.

Il faut noter que Ealista a presque deux facettes d’elle-même : l’une quand elle tient son rôle de Garde, l’autre quand elle est elle-même. En tant que Garde, elle est polie, distante, serviable, même chevaleresque, de quoi séduire même certaines femmes par ses manières, dont certaines filles des bordels de la Garde. Elle apprécie d’ailleurs s’occuper d’elles, d'avoir la possibilité de les surveiller et protéger, d'avoir leur compagnie hors du travail, et ces rares moments où elle se comporte réellement en femme avec elles. Mais quand elle n’est pas en service ou qu’elle se trouve avec des compagnons majoritairement masculins et rudes, vous allez découvrir une personne au langage gras, des gestes plutôt rudes, un peu simplette, aimant boire et manger, tout autant que s’amuser, et surtout au caractère de feu, cherchant régulièrement la bagarre et à provoquer un homologue masculin ayant deux têtes de plus qu’elle.

Et sous cette facette violente et provocatrice se cache une demoiselle bien plus fragile. La Garde essaye toujours d’avoir l’air forte et ne veut pas perdre la face, la rendant parfois dure, distante et froide. Pourtant, elle possède un cœur fragile, qui cède facilement aux personnes auxquelles elle s’attache. Elle évite souvent de se lier d’amitié par peur de perdre ces liens ou de blesser les autres. Très maladroite, c’est aussi une femme au grand cœur qui aime pouvoir faire sourire son entourage. Elle se sait toutefois brusque et violente, ne sachant pas toujours comment entreprendre les choses délicatement. Et même si elle ne l’exprime pas, la perte de sa famille a laissé en grand vide en elle, vide qu’elle ne sait combler autrement qu'en pensant à son devoir de Garde. Mais si l’on vient à oser gratter un peu pour apprendre à la connaitre, il n’est pas difficile de rapidement apprécier et de s’attacher à Ealista.