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Le soleil et la racine

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Le soleil et la racine


La lumière du jour faiblissait au fil des minutes qui s’écoulaient, l’étude déjà illuminée de bougie pour palier à la luminosité décroissante. A cette heure de la journée, l’endroit était beaucoup moins peuple que d’ordinaire, les différents autres religieux déjà parti pour s’occuper d’autres missions et obligations. Mais pas Lucius. Ce dernier faisait courir ses doigts sur différents documents concernant les natifs, lisant soigneusement chaque mot et formule inscrite sur le délicat morceau de parchemin. Dans sa main gauche se trouvait une plume avec laquelle il écrivait dans un carnet ses différentes observation sur les informations inscrite sur les sources écrites. Pas assez de détails, un manque flagrant d’humilité lors de la rédaction, charabia sans intérêt ou sans lien avec le sujet, telles étaient les remarques qu’on pouvait lire dans le carnet du théologien. Ce dernier pensait déjà qu’il ne trouverait pas les informations qu’il souhaitait dans les archives, et c’est avec une certaine lassitude qu’il remettait les différents document en ordre, avant de les ranger à leur juste place.

Le son de ses pas retentirent lentement dans le couloir lorsqu’il quitta la pièce, lentement et sans hâte, Lucius était encore tout absorbé par ses réflexions, et marchait par automatisme. S’il ne trouvait pas ce qu’il désirait dans les archives, peut-être devrait-il prendre les devant, et rechercher par lui-même. Les connaissances amassées par Thélème sur Teer Fradee était pour lui incomplète, trop était encore inconnu, et il ne pouvait s’en satisfaire.

Alors lui qui ne participe qu’avec la plus grande des parcimonies aux conversions dans les villages natifs, il rejoint l’un des nombreux groupes de missionnaires faisant route vers l’un des villages. Pour eux convertir les habitants de Teer Fradee était une mission de la plus haute importance, c’était les sauver de l’ignorance, sauver leurs âmes. Lucius, lui, n’était pas motivé par le prosélytisme. On ne sauvait les âmes de personne lorsqu’on ignorait tout de ceux qui étaient concernés en premier lieu. Et les missionnaires les plus zélés étaient bien trop souvent ignorants et trop empressé pour considérer que leurs efforts n’étaient pas forcément les bienvenus. Heureusement pour eux, le village dans lequel ils se rendaient étaient réceptif à leur discours. Visgoneigad, c’était là-bas qu’ils se rendaient. Le village qui avait été touché par la tragédie lors de la fête de l’équinoxe.  En son for intérieur, Lucius doutait que tout les habitants du village partage l’intérêt de la foi du Lumineux, mais il ne découragerait pas les efforts des missionnaires pour autant. Ils suivaient leur propre voie, et il suivait la sienne.

Arrivé au village de Visgoneigad, Lucius se désintéressa bien vite de ses semblables qui étaient tout occupés à prêcher la bonne parole, et à offrir leur aide aux natifs. Il s’éloigna légèrement du groupe, observant le village natif avec une curiosité renouvelée. Il observait avec attention tout ce qui passait sous ses yeux, et tout ce qui pourrait sembler banal ou inconséquent pour ses pairs. Il vint rapidement se planter devant une effigie dont il ne cernait pas l’origine ou la fonction, portant la main à son menton, en pleine réflexion. Son travail ici commençait seulement.

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Visgoneigad, village de mon défunt promis et de mes amis, commençait à bien changer. Cela faisait presque trois lunes que je n’étais pas allée les voir, à présent le froid faisait place à la douceur du printemps et à ses bourgeons. La forêt en bordure des marais n’était pas la seule à se transformer, et c’est ce qui m’inquiétais. Suite au festin avec les renaigses qui s’était transformé en drame pesait sur les esprits, et divisait encore plus nos clans. Il y avait eu des changements notables chez les renaigses, avec par exemple le groupe de sages layons de Wenshaveye qui était reparti à Hikmet. Cela avait été un soulagement pour de nombreuses personnes, mais je voyais cela avec une certaine tristesse. J’avais aimé discuter avec certains d’entre eux, et apprécié de pouvoir en apprendre plus sur eux.

Mais nous étions relativement épargné, ce qui n’était pas le cas de Visgoneigad. Le fait que l’un des nôtre ait pu commettre une telle atrocité était sans doute le plus choquant, et le village se retrouvait encore plus sous l’attention des autres clans et des renaigses. J’étais d’ailleurs venue suite à la demande de la famille de feu mon fiancé, avec laquelle j’avais gardé de puissants liens d’affection, et qui s’inquiétait de ce qu’il se passait dans leur village. Les gens du village semblaient accueillir à bras ouverts ces missionnaires, ou du moins laissaient les Embrumeurs d’Esprit venir et parler comme ils le veulent. Cela inquiétait plusieurs doneigada, et je savais que la famille qui m’avait demandé n’aimait pas non plus cette intrusion. Ma présence était requise officiellement comme une amie de la famille, mais je soupçonnais qu’ils souhaitaient qu’un autre doneigad vienne en soutien. J’étais neutre et ne faisait pas partie de ce village, mais je devais répondre à leur appel de détresse. De plus, j’étais curieuse de voir et de comprendre ce qu’il se passait là bas. Est-ce que notre culture était en danger ? Je n’étais pas à l’aise sur le sujet, n’aimant pas que l’on remette en question nos croyances et la façon dont nous vivions, alors que nous étions en harmonie avec l’île et que eux venaient s’imposer alors qu’ils fuyaient leur terre en proie à la maladie.

J’étais arrivée il y a quelques jours, logeant chez la dite famille qui m’avait accueilli avec soulagement. Certes le sujet n’était pas directement abordé, mais dans les regards et les soupirs je pouvais entendre leur agacement et leur peur face à ces renaigses insistants. Aux repas et le soir je les écoutais, les rassurais. La journée j’allas prêter assistance au doneigad du village, l’aidant à la préparation de certaines potions, rituels, ou tout simplement en soignant certaines personnes. Mais ce que je faisais surtout, c’était observer. J’étais véritablement perplexe. D’un côté je n’appréciais guère que ces Embrumeurs d’Esprits vienne parler de leur croyance en rejetant la nôtre, sans chercher à comprendre ce que nous étions et pourquoi nous faisions ce que nos ancêtres faisaient depuis de nombreux cycles. Mais d’un autre côté, ils n’étaient pas agressifs envers nous, n’essayaient pas de prendre nos terres ou de voler nos morts. Le combat était plus spirituel, celui d’une oreille sourde et d’une langue déliée.

Il m’était arrivé de me faire aborder par l’un d’entre eux, qui semblait avoir surmonté sa crainte pour me parler. Mes cornes de bois, je le savais, attiraient leurs regards effrayés et méprisants autant qu’elles les repoussaient. Mais il était venu, et m’avait parlé. Un ton condescendant, presque impérieux, prêchant de rejoindre leur être de lumière, de sauver mon âme. Par politesse autant que par curiosité, j’avais essayer de lui faire comprendre que j’étais heureuse avec ma façon de voir les choses et de croire en mon île, et que ce qu’ils appelaient « âme » était sans aucun doute en sécurité sur cette terre. Un léger sourire, des paroles moqueuses, un regard qui reprenait le mépris. Il essaya de me convaincre de nouveau, sans vouloir lui comprendre ma position ou ce que je disais. Je me taisais, ne répondant pas à ce que je sentais être une perte de temps autant qu’une insulte envers les nôtres. J’inclinais légèrement la tête, le fixais de mes yeux clairs et froid puis lui souhaitais la bonne journée avant de me détourner de lui d’un pas tranquille. Rentrant dans la hutte du doneigad, il n’essaya pas de me suivre.

Depuis, j’évitais ces Embrumeurs et me concentrais sur les miens. Le Printemps était là, il y avait des rituels à accomplir, quelques petites maladies à soigner, des onguents à préparer. Apaiser les maux des miens était ma priorité, et je discutais avec le doneigad du village pour avoir son ressenti. Il était également inquiet, autant pour la présence de ces Embrumeurs que pour la division du village suite au festin. Il m’avait demandé la position de Wenshaveye ainsi que la mienne, mais je me gardais d’aller trop loin. Notre village restait neutre autant que possible, et pour ma part je sentais que je n’en savais pas assez pour véritablement prendre position. De plus, même au sein des nôtres, je n’étais pas tout à fait d’accord avec les uns ou les autres. Le rapprochement avec les renaigses pour mieux se comprendre et éviter les conflits me semblait important, mais si c’était pour perdre ce que nous étions, notre culture et nos croyances, voir ne pas être respectés par les renaigses cela n’avait aucun sens. De l’autre côté, même si nous devions les maintenir en respect et leurs montrer que nous ne les laisserions pas kidnapper les nôtre ou prendre possession de l’île, un conflit ouvert et aveugle était pour moi la pire des solutions. La neutralité de Wenshaveye était difficile à maintenir, surtout qu’elle mécontentait tout le monde. Je n’étais pas non plus à l’aise, mais pour l’instant cela me semblait être la meilleure position à tenir. Le temps d’observer, puis de prendre une décision.

Raison de plus de ma présence ici, pour en savoir plus sur ces Embrumeurs et ce qu’ils nous voulaient. Pour l’instant ce n’était pas très flatteurs mais je leur laissais encore le bénéfice du doute. J’observe, et puis je verrais bien. Les choses allaient peut être changer, qui sait. Comme lorsque j’ai croisé ce renaigse cette journée là. J’avais fini de préparer un mélange spécial pour une offrande sur la stèle représentant en ol mil frichtimen et le renouveau du Printemps. Celle-ci était légèrement à l’extérieur du village, et avait l’avantage de ne pas être sur le chemin qu’empruntait régulièrement les Embrumeurs. Je portais entre mes mains une sorte de bol de pierre sculpté, contenant un mélange fumant d’herbes et d’encens à base de résines de la région. L’odeur était fraiche et légèrement entêtante, mais rappelait par ses notes vertes les jeunes pousses sur les arbres et la résine des bourgeons. Je marchais tranquillement avec l’offrande en main, quand j’arrivais devant la stèle. Posté juste devant le petit autel, en plein milieu, un renaigse qui me tournait le dos observait la stèle. Je fronçais légèrement des sourcils. Est-ce encore un de ceux qui viennent railler notre culte en se moquant ou bien méprisant ce qu’ils ne veulent pas comprendre ? Une pointe d’exaspération naquit, mais je pris sur moi pour ne pas me montrer hostile et me rappelais de rester patiente, peu importe ce qu’il dirait. En attendant, il me bloquait le passage. Me raclant légèrement la gorge pour signaler ma présence, je l’interpellais d’une voix calme et légère, bien que légèrement froide.

"Si vous permettez, renaigse, pouvez-vous vous pousser ? Vous me gênez."

Je restais polie, mais je n’avais plus l’envie de prendre des gants pour leur faire comprendre à présent qu’ils étaient une gêne dans ce que je faisais. Déjà si je dois supporter pendant de longue minutes son prêche, je peux au moins me permettre d’être un peu plus expéditive sur ce point.


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Lucius observait dans un silence fasciné la stèle devant lui. Les moindres détails l’intéressait, de la gravure la plus superficielle à l’aspect de l’objet en lui-même. Etait-il bien entretenu ? Ce devait sans doute être le cas, l’absence de tout dommage ou altération de la stèle laissait supposer que les natifs s’en occupaient plus que bien. Sans mentionner le fait que la stèle, bien que sortant des sentiers battus du village, restait à une proximité raisonnable de celui-ci. C’était sans doute important pour les natifs, mais savoir qu’une chose était importante sans connaître sa fonction équivalait à ne rien savoir du tout.

L’homme fût tiré de son observation rêveuse par un raclement de voix léger, mais intimant néanmoins son attention. Les paroles suivant ce raclement étaient on ne peut plus clair : il gênait. Il se retourna lentement, presque à contrecoeur, avant d’observer celle qui avait demandé son attention. Lucius pencha légèrement sa tête par curiosité, et par surprise, regardant les cornes de la native avec une certaine curiosité, avant de faire un pas de côté pour la laisser passer ensuite.

« Mes excuses, je ne vous avais pas remarquée. » Dit-il sobrement, d’une voix basse et douce, avant d’observer le bol sculpté et son contenu. Lucius regarda une nouvelle fois la stèle, avant de tourner son regard vers Elatha une fois encore. « Dites moi, que représente cette stèle ? Je peux voir, mais ça ne veut pas dire que la comprends. Elle semble importante, et si je ne me trompe pas, ce que vous portez semble être une offrande. Si vous pouviez éclairer mes lanternes, je vous en serai reconnaissant. »

Le théologien porta pensivement la main à son menton, attendant la réponse de la native.

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La personne se retourna, me surprenant un instant par son apparence. Son visage était recouvert de ce qu'il semblait être un masque. Un masque de métal, travaillé avec un certaine finesse. Mes yeux se posèrent sur lui avec une certaine curiosité, me demandant si ce masque représentait son dieu, comme nos masques peuvent représenter des animaux que nous respectons sur notre île. Sa voix sortit de sous le masque avec douceur, s'excusant de m'avoir empêché dans mon travail. Il me laissa la place, et aussitôt je m'avançais d'un pas, déposant l'offrande fumante qui laissait les odeurs fraiches de sous-bois et de pin s'élever paresseusement au-dessus de nous.

Je reculais d'un pas, me préparant à effectuer la prière et communier avec la terre (tout en ignorant le renaigse) quand celui-ci s'adressa à moi. Il me posa des questions sur la signification de la stèle, le pourquoi des offrandes. Je tournais la tête pour poser sur lui un regard un peu détaché, comme si je pesais le pour et le contre. Il avait l'air sincère dans sa demande, véritablement curieux. Mais dans quel but ? Nombre des Saul lesser qui posaient des questions ne le faisait pas vraiment pour s'intéresser à notre culture, mais plus pour s'appuyer dessus afin de parvenir à leurs fin et la discréditer. J'étais un peu hésitante. Pourquoi se donner la peine de répondre alors que cela entrera par une oreille pour sortir par l'autre ? Mais en un sens, il avait été poli dans sa demande, et semblait s'y intéresser. Le fait de ne pas voir l'expression sur son visage rendait la lecture de ses intentions plus difficiles. Pourtant... Un léger souffle de vent vint caresser mon visage, chuchotant quelques mots à mes oreilles....Bon, si c'est ce qu'il souhaite. Et après tout je suis Doneigad, je suis là pour apporter le savoir et enseigner. Je pris donc la peine de lui répondre, posant de nouveau mon regard clair sur la stèle pour la contempler. Ma voix était un peu plus chaleureuse que tout à l'heure, revenant à son ton habituel et sincère.

"C'est une stèle qui représente la forêt, la vie et la mort qu'elle contient. Ce qu'elle peut nous apporter tout comme ce qu'elle peut prendre. Un nouveau cycle vient de commencer, avec la renaissance de la vie tout autour de nous. La respecter pour ce qu'elle est, la célébrer et l'en remercier fait partie de nos rituels pour qu'elle puisse continuer à nous apporter ses bienfaits dans ce nouveau cycle, et nous pardonner si nous venons à l'offenser."

Je continuais de fixer la stèle, laissant s'échapper un léger soupire.

"Mais... c'est plus quelque chose que l'on ressent plutôt que l'on voit ou bien que l'on lit. Méditer devant la stèle avec l'offrande aide à le percevoir."

Une chose que les renaigses semblaient avoir du mal à comprendre. A voir comment ils coupaient les arbres, ne respectaient pas ce qui les entourait, on pouvait se demander à quoi pouvait ressembler leur terre natale s'ils se comportent ainsi avec elle. J'avais pitié pour elle, tout comme je craignais pour la nôtre. Mais mes explications, est ce qu'il allait vraiment les comprendre, ou bien essayer de les considérer ? Je n'avais guère envie de l'entendre prêcher sa "bonne parole" pour "sauver notre âme", surtout devant une stèle en plein rituel. Ce serait non seulement déplacé mais insultant, et je n'avais pas la patience de supporter ceci. Aussi, essayant de prendre l'andrig par les cornes, je devançais le potentiel sermon en l'interrogeant directement sur ses intentions.

"Posez-vous cette question pour essayer de railler ensuite nos croyances, ou bien tenter de nous en détourner ? Si c'est le cas, je vous prierais par politesse de vous éloigner et de me laisser en paix."

Mes yeux s'étaient posés sur lui, calme et pourtant étrangement impérieux, le défiant d'essayer de s'imposer. Digne, je n'avais aucune colère et n'avait pas haussé le ton dans ma voix. Simplement rappeler un fait qui appelait à l'humilité et au respect. Pour peu qu'ils en aient pour nous. En sera t'il de même pour ce renaigse au visage de métal ?

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Etait-ce de l’ennui ou une profonde réflexion que voyait Lucius ? Lui-même n’aurait su le dire, n’étant pas assez arrogant pour penser pouvoir discerner les pensées traversant l’esprit de la native. Cela aurait été néanmoins logique, s’il s’agissait, comme il le soupçonnait, d’un élément religieux, sa présence était tout naturellement dérangeante. A Thélème nul n’aurait jamais osé troubler une cérémonie, ç’aurait été pure folie. Lucius faisait néanmoins ce que bon nombre de ses pairs faisait, cela étant, ses intentions déviaient largement de celle du missionnaire moyen. Mais qui pouvait vraiment le deviner ? Pour nombre de thélèmites, les natifs se ressemblaient tous. Aurait-il été si absurde que les natifs pensent la même chose ?

Mais la surprise étreint Lucius, car la native décide de lui répondre malgré tout. Il avait espéré ce développement sans vraiment y croire, et il était maintenant tout ouïe, laissant son interlocutrice expliquer ce que représentait la stèle sans l’interrompre, sans mettre de commentaire inutile ou indésirable. Seulement le silence, et une oreille attentive.

Sa compréhension n’était pas parfaite, et il n’aurait pas l’arrogance de proclamer une compréhension pleine et entière de ce que la native lui racontait, mais il pouvait essayer. C’était déjà plus que ce que ses confrères n’essayeraient jamais. Alors lorsque la native le confronta sur les véritables raisons de ses questions, Lucius ne fût qu’à peine surpris. Oui, nombreux étaient ceux qui se moquaient des natifs, qui moquaient leur mode de vie ou leur croyances. Nombreux étaient les missionnaires qui manquaient de vertu en proclamant une chose aux natifs tout en se moquant d’eux à portes fermées. Prisonniers de leurs propres croyances, qu’elles fussent sacrées ou de vulgaires préjugés.

Aussi Lucius ne prit pas la prise de parole de la native comme une accusation, car ça n’en était pas une. C’était un appel à l’honnêteté et à la franchise. Un appel auquel le théologien ne pouvait que répondre.

« Non, je ne suis pas ici pour railler vos croyances, et je ne trouve pas le même intérêt ni le même… enthousiasme au prosélytisme que les missionnaires. A vrai dire, je ne suis même pas missionnaire moi-même, je suis théologien. En temps normal, j’étudie les textes sacrés de l’église, mais nombreux sont ceux qui pensent que cette île est celle décrite dans d’anciens texte de notre foi. Ils pensent, mais beaucoup ne cherchent pas à comprendre, comme certains missionnaires. Pour ma part, je pense qu’il serait plus que bénéfique de comprendre certains sujets qui échappent à beaucoup de mes pairs. Donc, ma raison d’être ici aujourd’hui. » Son regard se posa de nouveau sur la stèle, penchant légèrement la tête sur le côté, l’étudiant, « Si je comprends, ce que je ne suppose pas foncièrement, cette stèle représente la nature elle-même, d’une manière plus spirituelle. Quelque chose qui demande le respect… Hm, non, qui mérite le respect ? Ça me semble plus juste, malgré mes connaissances limitées. Elle mérite le respect parce que c’est quelque chose de vivant. N’hésitez pas à me corriger, pour moi ce ne sont que des pistes, pour vous c’est toute une partie de votre vie.

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Le renaigse au Visage de Fer répondit de nouveau avec sa voix étrangement douce et basse, mais... Par les Nadaigs, je ne comprenais pas la moitié des mots qu'il débitait. Je le regardais avec surprise, me concentrant autant que je pouvais sur les mots que j'arrivais à comprendre et pour faire un sens de tout cela. Mais il y avait plusieurs choses qui m'échappaient. Quand il eu terminé de parler, attendant sans doute une réponse, il n'eu de ma part qu'une légèrement exclamation confuse.

"Je... n'ai pas compris tout ce que vous venez de dire, Frichtimen airní...."

Pour autant, je ne me détournais pas de lui, et ne le chassais pas non plus. Je fronçais juste des sourcils, pensive, essayant de me rappeler des mots difficiles dont le sens m'échappait.

"Prosé..litiss....théolo...foncer... fonci... Tous ces mots je ne les connais pas. Vous n'êtes pas un Embrumeur d'Esprit pour rien."

Cette dernière phrase avait été dite avec un léger sourire, mes yeux se posant sur lui avec un certain amusement. La froideur dans mon regard avait fait place à un certain intérêt, une ouverture et une chaleur qui à défaut d'être très expressive rendant au moins l'échange moins tendu. Cet homme, il n'était pas comme les autres Embrumeurs. Même s'il parlait de façon compliquée comme eux, je pouvais sentir et comprendre que ses intentions n'étaient pas mauvaises, ni même à vouloir s'imposer. J'essayais donc de résumer ce que j'avais compris de ses longues phrases compliquées.

"Mais de ce que j'ai compris, vous voulez juste apprendre ce que nous faisons, nos croyances, car cela pourrait être en lien avec la votre, c'est bien cela ? Mh..."

J'attendais son approbation d'un regard, ou du moins une correction si ma spéculation s'était retrouvée fausse. Puis, je lui donnais enfin ma bénédiction pour cette conversation.

"Si c'est cela, je veux bien discuter avec vous, essayer de vous expliquer. Plus vous nous comprendrez, moins vous vous comporterez comme des sauvages, peut être... "

Cette dernière phrase avait été dites pensivement, sans forcément le viser lui. Ils nous traitaient de sauvages, et rapidement j'avais compris le sens de ce mot à leurs yeux. Pourtant, ils se comportaient de la même manière envers nous, si ce n'est pire. Des deux, ils étaient les véritables animaux envahisseurs et non respectueux qui mettaient les pieds sur notre île, pas l'inverse. Mais plus ils en apprenaient sur nous et nus comprenaient, plus leur comportement s'améliorait à notre égard. Enfin, c'est ce que j'avais pu constater avec certain d'entre eux. Pour ceux qui acceptent d'écouter et d'entendre ce qui est différent. Ce renaigse, ce Frichtimen airní avec son masque de fer, semblait apte à écouter et apprendre. En tant que doneigad, je devais faire honneur aux miens et répondre à ses questions pour l'aider, et nous aider en même temps. Je tournais mon regard sur la stèle, répondant à sa première interrogation.

"La stèle représente la nature, mais plus spécifiquement celle entourant le village. La stèle ne sera pas la même si autour d'un village il y a la mer, la montagne, une plaine, ou encore des marais. Elle est propre au sol que chacun va fouler. "

Les formes inscrites et les mots sacrés différaient également, pourtant la représentation globale restait la même. L'un des Milles Visages de l'île. Pour ce qui était de sa considération, je souriais légèrement en repensant à la comparaison entre demander et mériter pour ce renaigse. Venant d'eux, c'était plutôt amusant.

"Demander, mériter... une nuance intéressante dont les contours sont très flous chez les vôtres. Enfin, de ce que j'ai pu observer. Mais vous... vous semblez en saisir la subtilité."

Les renaigses pensaient mériter leur place, pourtant ils prenaient sans avoir à gagner ce respect, ni même à la partager avec les autres. Prendre sans retour, ce n'était pas cela mériter. Et malheureusement j'avais entendu bien des renaigse dire qu'ils "méritaient" ces terres comme les autres, et avaient droits à leurs "demandes". Cela me faisait froidement rire.

Je laissais cette pensé peu joyeuse pour continuer mes explications. Le renaigse n'avait pas vraiment tord dans ses déductions, sur la portée spirituelle de cette stèle. Mais pour nous, le concept allait bien au-delà de cela.

"Ce qui nous entoure est autant vivant que mort, c'est un tout et une harmonie que nous respectons, dont nous souhaitons faire partie. Nous faisons partie intégrante de cette île, qui nous nourrie tout comme elle se nourrie de nous. Nous respectons cet équilibre, et ces rituels viennent également à nous rappeler qu'il existe. Ce qu'il donne il peut reprendre. L'esprit est impliqué, mais le corps l'est aussi. Si l'on oublie que la forêt est dangereuse et que nous n'en sommes qu'un des invités, une bête peut nous en faire un rappel bien douloureux qui marquera la chaire, ou même terminer la vie."

Une dure leçon qui peut se terminer très mal, et que même les nôtres devaient payer par péché d'imprudence ou de confiance. Nous sommes autant proie que prédateurs, nous étions dans un cycle immuable que nous devions respecter. Pour notre propre survie. Je regardais de nouveau le renaigse, attendant ses possibles autres réflexions ou questions. La conversation commençait plutôt bien, du moins pour l'instant.

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Lucius arqua l’un de ses sourcils, son interrogation seulement perceptible par son visage qui s’était légèrement penché aux paroles de la native. Comment venait-elle de l’appeler ? Fricti… Frirtimen quelque chose ? Son vocabulaire de la langue native n’était pas des plus développé, en vérité il était tout simplement non existent, aussi ignorait-il complètement ce que voulait dire la native par la. Des lacunes qu’il s’évertuerait à combler dans un futur plus lointain, car pour l’heure son attention était captivée par la stèle, et les explications de la native.

Il semblait que dans sa réflexion, il n’avait pas été assez vigilant vis-à-vis de la native, et l’avait assaillit de termes et de mots qu’elle n’avait pas compris. La barrière du langage était un mur parfois difficilement franchissable, comme il en avait la preuve dès à présent. Cependant elle essayait de comprendre et ne le chassait pas d’office, il n’aurait qu’à trouver un vocabulaire plus approprié à cette discussion. Lorsque la native mentionne ses motivations, Lucius attendit cependant qu’elle ne finisse sa question avant de répondre.

« En partie, oui. Mais ce n’est qu’une partie. Croyez le ou non, mais je suis vraiment curieux à propos de vos croyances. »

Il ne releva pas le commentaire sur la sauvagerie, à bien des égards un sauvage changeait d’apparence selon la personne concernée. Pour Thélème, les natifs étaient vu comme tel, des naïfs vénérant des démons et des morceaux de pierre dénués de sens. Mais l’inverse était également vrai, pour ceux qui peuplaient l’île depuis des temps immémoriaux, était-ce si incroyable de croire que les étrangers qui foulaient leur terre natale étaient eux aussi des sauvages ? A se comporter comme s’ils possédaient déjà l’île, à ramener leur inimité du continent. Non, ce n’était pas si incroyable de concevoir que pour les natifs, les étrangers se comportent en sauvage. Les deux peuples ignoraient toujours beaucoup l’un de l’autre, cette ignorance alimenté par leur orgueil.

Lucius écoutait avec la même attention la native s’exprimer à propos de la stèle. La stèle représentait donc la nature, mais seulement une facette particulière de celle-ci, elle représentait les environs du village, l’endroit ou les natifs vivaient et évoluaient. D’autres stèles représentaient d’autres horizons d’autres villages, représentant néanmoins ce grand tout qui semblait commun à l’île dans son entièreté. Il ne comprenait pas la relation sur le vivant et le mort que lui racontait la native, mais il pouvait toujours essayer de le faire.

Il resta silencieux quelques instants, posant un doigt sur les lèvres de son masque, plongé dans sa réflexion. Il conserva ce mutisme introspectif pendant quelques minutes, absorbant ce savoir qui lui avait été partagé, méditant à propos de la portée des croyances que respectaient les natifs. Après quelques minutes à rester plongé dans cette introspection, bougeant à peine plus qu’une statue, il s’éveilla de cet état, portant son regard vers la stèle, puis vers la native une nouvelle fois.

« Ce n’est donc pas qu’un élément spirituel, c’est une manière de vivre votre vie. La stèle a un rôle et une importance, mais c’est aussi un rappel qu’il existe quelque chose de plus grand, ce grand équilibre dont vous parlez. L’île peut vous donner de quoi vivre, mais elle n’est pas sans danger. Ces dangers font partie intégrante de la vie et de la nature de cette île, tout comme vous en faites partie, et si vous pouvez prendre, ils peuvent en faire de même. Vous respectez l’île dans son ensemble, et n’essayez pas de la maîtriser elle et ses ressources. Une différence majeure comparée à Gacane, et je prie pour que cette différence perdure aussi longtemps que possible. »

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Mes explications furent reçues par le silence. Mais ce silence était respectueux, contemplatif. Il se mit à observer la stèle, sans rien dire. Nous pouvions entendre le vent à travers la forêt, les branches grincer et au loin le murmure du village. C'était agréable. Il est rare de trouver un renaigse, surtout un Embrumeur d'Esprit, qui accepte de ne rien dire et juste d'écouter, ou de penser.

Je profitais de ce moment de plénitude pour terminer mon rituel. Je le laissais méditer à loisir, faisant de nouveau face à la stèle. Je soufflais légèrement sur l'offrande, faisant repartir les volutes de fumées odorantes, puis paumes ouvertes commençait à réciter la prière. Respectueuse du silence observé par Frichtimen airní, je parlais à voix basse en langue native, presque inaudible à moins de tendre l'oreille. Je remerciais la forêt, En ol Mil Frichtimen, le nouveau cycle, lui faisait par de notre souhait de rester lié et en harmonie, qu'il nous donne cette année autant que l'année précédente, que les arbres portent des fruits sur nos passages et que les proies soient assez abondantes pour rassasier les enfants. Cela ne dura pas longtemps, car ce n'était pas nécessaire. Ce qui comptait surtout, c'était le lien que je créais en même temps que la prière. Ce fil ténu avec l'île, pour ressentir la terre, la forêt, adresser en silence ma prière respectueuse et pleine d'amour à Tir Fradi. Je pouvais sentir en réponse un léger frémissement, comme une sensation à la fois fraiche et enveloppante, rassurante. La prière avait été acceptée par la stèle, puis retournait dans son silence.

Les minutes passaient, et oubliant presque la présence du renaigse j'entrais en méditation. Etrangement, cela ne me gênait pas d'agir ainsi en présence d'un étranger. Je ne me sentais pas observée, ou du moins pas de façon intrusive ou bien malsaine. Il ne me dérangeait pas. Je fus simplement sortie de ma méditation par sa vois étrangement douce, amenant mon regard de nouveau sur lui. Je l'écoutais tirer les conclusions à ses réflexions, et fut satisfaite de voir qu'il avait bien saisi les notions que je lui avais expliqué. Et tout cela sans porter de jugement. J'hochais de la tête, souriant légèrement.

"C'est bien cela. Chacun a son rôle, ou plutôt choisis son propre chemin. Certains décident de vivre pour le besoin de la communauté, d'autres pour faire le lien spirituel. Il arrive également que certains décident complètement de s'investir dans la relation que nous avons avec ce qui nous entoure. Ces ermites vivent isolés, ne voulant faire qu'un avec Tir Fradi et méditer à loisir. Mais nous avons tous en commun de respecter l'île et de vouloir faire son possible pour que l'équilibre persiste à travers les cycles."

Nous avions chacun notre façon d'être en harmonie avec l'île et de faire partie du cycle. Mais eux... Qu'en était il de leur terre ? Un de ces mots me rappela alors que c'était sans doute le nom de leur très grande île.

"Gacane... j'ai déjà entendu ce mot... Est ce le nom de votre terre ? Comment est ce là bas ? Comment entrez-vous en harmonie avec elle ? Je suis curieuse, car vos façons de faire son si... différentes."

Si différentes au point que je me demandais comment leur terre pouvait les supporter. Ou alors leur terre est aussi dure et ingrate qu'eux, je n'en sais rien. Il y avait également quelque chose d'étrange dans la dernière phrase du visage de fer. Pourquoi faut il que ce soit différent aussi longtemps que possible ? Il ne voulait pas que Gacane finisse par ressembler à Tir Fradi, ou l'inverse ? J'attendais d'en savoir plus avant de poser la question, ignorant bien trop de choses de leur terre natale. Peut être que sa réponse m'éclairera un peu plus.

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L’équilibre dont la native parlait était le coeur de l’île elle-même, la raison pour laquelle la végétation et la nature elle-même était toujours aussi abondante et sauvage. C’était un cycle établit de manière précise et qui permettait aux natifs comme à l’île de continuer à subsister, chacun occupant une place dans ce grand tout, sans cannibaliser ou consommer à outrances les ressources de l’île. C’était tout à fait différent de Gacane. Le continent croulait sous le feu des industries de la guerre, toujours plus de ressources alimentant l’implacable machine de la guerre qui faisait rage entre Thélème et l’Alliance du Pont. Une guerre dans laquelle les deux camps combattaient de manière éperdue, chacun souhaitant prendre l’ascendant sur l’autre, sans jamais vraiment y parvenir. Certains champs étaient d’avantage irrigué par du sang que par de l’eau, le coût de la guerre était impitoyable.

La manière dont les continentaux traitaient Gacane était si éloigné de la façon que les natifs avaient de traiter la leur que Lucius s’interrogeait sur la manière de formuler sa réponse. Elle serait brutalement honnête, aucun détail ne serait dissimulé, seulement la vérité. Même si la vérité n’était pas toujours des plus satisfaisante, laissant parfois plus de questions que de réponse. Et pour Lucius, c’était un cycle sans fin de questions qui menaient à d’autres questions, sans jamais le satisfaire pleinement, s’il le serait jamais un jour.

« Je ne sais que ce que je sais à propos de Gacane, et il y a beaucoup de choses que j’ignore malgré tout. Mais je vais tout de même essayer de répondre à votre question. » Le théologien commença d’un ton pensif, avant de regarder autours de lui, comme pour vérifier qu’il était bien seuls, et de reprendre, « Notre relation avec Gacane n’est pas la même que celle que vous avez avec votre île. Il n’y a pas d’harmonie ou de communion comme vous pouvez le faire. La terre est davantage considéré pour ses ressources que pour un cycle ou un équilibre à respecter, les forêts sont coupés, les ressources du sol sont minés, et transformés pour alimenter l’industrie. Et la guerre. » Il avait dit cette dernière phrase d’un ton plus bas, presque un chuchotement, avant de reprendre une fois de plus, « Je ne sais pas si les conflits entre les différents village natifs est courant, sur Gacane la guerre est présente depuis bien longtemps. Imaginez une parcelle de terre sur laquelle il n’y a plus rien de vivant, plus d’arbre, plus de végétation, plus d’animaux, et sur laquelle les groupes armés de chacune des deux factions en guerre campent sur leur position, cherchant à ne jamais perdre de terrain, et à en gagner sans jamais vraiment réussir. Ces soldats, ces guerriers comme vous pourriez les appeler, ont besoin de toujours plus de ressources pour continuer à se battre. Matériel, nourriture, toujours plus de fermes sont maintenues, plus de mines dépouillées de leurs ressources. Une région de Thélème aurait pu fournir une quantité importante de blé pour le continent. Malheureusement, c’est une région proche de la ligne de front. Ces fermes sont d’avantage irriguées par du sang que par de l’eau. »

Le thélèmite peignait un tableau brutal de la réalité de Gacane, une terre qu’ils avaient sans doute abusé du point de vue des natifs, qu’ils avaient cannibalisé et vidé de toute substance.

« Cette course aux ressources a fait disparaître de nombreuses espèces, certaine qui existaient il y a maintenant 200 ans ne sont maintenant plus qu’un lointain souvenir. Et je ne parle même pas de la malichor qui est apparue. Non, cette île mérite bien mieux que ça.»

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Le renaigse au visage de fer accepta de me répondre, même s'il affirmait ne pas tout savoir. Je m'étonnais un moment de le voir observer les alentours. Avait il peur de parler de son pays natal en présence des siens ? Cela ne rendait la conversation que d'autant plus intime, voir sacrée. Je l'écoutais avec la plus grande attention.

Et plus il parlait de sa voix douce, plus ce que j'entendais me paraissait impossible. Incompréhensible. Mon visage au début curieux affichait au fur et à mesure l'étonnement, puis blêmissait en comprenant la portée de la destruction qu'ils avaient effectués sur leur propre terre. Comment cela pouvait être ? Ce n'était pas une terre natale qu'il décrivait, mais un cauchemar. Faisait il exprès pour me faire peur ? Pourtant... même si je ne pouvais pas voir son visage, je pouvais sentir qu'il était également atterré par ce terrible constat. Quand il eut fini, je restais muette pendant de nombreuses secondes, sous le choc. Les premiers mots qui sortirent de mes lèvres tremblante étaient sans le vouloir en langue native, mais je me reprenais par politesse.

"Nod fradí ... Cer toncedág! C'est ... C'est à peine croyable..."

J'imaginais ce que leur terre pouvait être. Stérile, fumante, avec des renaigses se battant sans cesse, des rivières de sang, des bêtes agonisantes. Qu'ils essayent de venir sur notre île et qu'ils s'extasient devant sa richesse prenait tout son sens ! Mais quel lourd fardeau également. Je regardais le Saul Lasser, qui semblait véritablement impacté par ce qu'il venait de raconter. Touchée par ce qu'il m'avait confié et l'importance que cela avait pour lui, j'avais par réflexe pris sa main, comme je l'aurais fait pour un de miens.

"Es trag me, Frichtimen ainri... Je ressens ta peine pour cette tragédie, et ta compassion pour la nôtre."

La serrant légèrement dans la mienne, par une douce pression rassurante et compatissante, j'espérais ainsi lui montrer qu'il n'était pas seul à ressentir cette peine. Même si ce n'était pas mon île. Le contact ne dura qu'une poignée de secondes, mais c'était suffisant. Maintenant, je devais réfléchir, prendre du recul. Ce qu'il m'avait dit était important, et petit à petit je défaisais le noeud de fil qui avait souvent bloqué ma compréhension.

"Mais cela explique les comportements que nous trouvons étranges. Couper du bois sans le replanter pour soigner la forêt, prendre sans faire attention à ce qui est autour...."

Des comportements qui faisaient sens à présent, vu comment ils traitaient leur propre terre. Elle était mourante, par leur faute de ce que disait Frichtimen airni. Mais est ce qu'il était vraiment trop tard ? Mon regard se posa de nouveau dans le sien, cherchant désespérément des réponses, et un peu d'espoir.

"Est ce vraiment inévitable ? Que s'est il passé pour que vous vous mettiez à traiter ainsi votre terre mère ? N'est elle pas... en colère ? Elle ne vous a pas parlé pour vous empêcher dans cette folie avant qu'il ne soit trop tard ? Ou alors... avez-vous oublié comment soigner votre terre ?"

Toutes ces considérations sincères et compassionnées, n'étaient sans doute pas compréhensibles pour un renaigse. Tout comme je ne comprenais pas comment ils avaient pu en arriver là avec leur terre natale. Et il y avait cette peur soudaine, se lovant dans mon coeur, glacée et poignante. Une peur viscérale en tant que doneigad, qui me faisait ressentir les renaigses comme un nouveau danger pour l'île. Un danger que nous n'avions sans doute jamais vraiment considéré dans son ampleur, ne connaissant pas ce qu'ils ont fait à leur propre terre. J'avais peur. Vraiment peur qu'ils ne fassent la même chose à Tir Fradi.

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Lucius avait promis l’honnêteté et la vérité, et c’était une amère et cruelle vérité qu’il avait révélé à la doneigad. Une terre mourante, sur laquelle était en train de fleurir la désolation et la maladie. Un triste aperçu de ce qui pourrait arriver à cette île, si les erreurs du passé étaient répétées. Mais après tout cette île était la promesse d’un nouveau départ pour bon nombre de continentaux, un faible espoir qui subsistait à l’écart de l’état du reste du monde. Une opportunité qu’ils avaient de changer, s’ils en étaient capable. Lucius n’était pas optimiste.

Le théologien ne prit pas ombrage au dialecte natif que la native lui adressa en premier temps. Il ne doutait pas que ce savoir nouvellement acquit la troublait au plus haut point. C’en était visible à son expression, pâle comme la neige. Il pencha néanmoins légèrement la tête, fronçant ses sourcils et plissant ses yeux lorsque la native prit sa main dans la sienne. Lucius ne s’était pas attendu à ce geste, il avait été certain que la doneigad serait surprise, choquée, peut-être même en colère, mais pas compatissante. Le contact ne dura que quelques instant, avant de se rétracter.

La doneigad lui posait des questions auxquelles il n’avait pas encore de réponses, le pressant de lui donner une infime dose d’espoir pour son île. Même dans l’heure la plus sombre, c’était tout ce qui suffisait parfois, un phare qui éclairait la nuit la plus ténébreuse. Lucius porta sa main à son menton, comme en pleine introspection, cherchant une réponse appropriée à la question de la native. Quelle qu’elle soit, il resterait fidèle à lui-même, il ferait preuve de la plus entière sincérité, que sa réponse soit des plus fataliste, ou qu’elle porte les promesses d’espoir.

« C’est une question complexe. Peut-être n’avons nous jamais eu un tel savoir. Peut-être avons nous possédé ce savoir pendant un temps, mais l’avoir ensuite remplacé, ou a t-il été oublié dans les méandres du passé. Je ne peux que fournir des pistes, j’ai bien peur de ne pas avoir la réponse à cette question, nous ne parlons pas à notre terre. Cette notion nous était étrangère, inconcevable. Quand à savoir si un tel destin attend cette île… J’ignore si c’est le cas. La guerre ne frappe pas cette île, la paix demeure, même si fragilement. Cette terre est pour beaucoup l’opportunité d’un nouveau départ, l’occasion de ne pas répéter les mêmes erreurs qu’autrefois, à s’ouvrir à de nouvelles visions. Ce qui est à venir est incertain, mais l’incertitude contient toujours une trace d’espoir, aussi infime soit-elle. La vie sans espoir est une existence bien terne, après tout. »

L’opportunité de changer était présente, peut-être serait-elle saisit, peut-être serait-elle rejetée, Lucius ne pouvait être certain du dénouement, seulement que dans chacun des cas le chemin serait ardu. C’était étrange de sa part, de distribuer de petites doses d’espoir, lui avec son masque de fer et sa voix douce, mais monocorde. Il était le dernier à en avoir l’air. Et le dernier à s’y attendre aussi.

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Le constat du Saul Lasser n'était pas très engageant. Il ne savait pas d'où cela pouvait venir, si le lien avait un jour existé puis fut oublié, ou bien s'il n'a jamais existé du tout. Quoi qu'il en soit maintenant c'était inexistant. Il avait l'air de croire que beaucoup étaient venus sur notre îles dans l'espoir de trouver une seconde chance, un nouveau départ. Faisant un instant la moue, j'avais du mal à vraiment le croire sur ce point, surtout vu comment ils se comportaient tous.

"C'est étrange, car de ce que j'ai pu entendre, ce n'est pas ce que les renaiges sont venus chercher ici. Les vôtres cherchent à nous changer, les layons veulent trouver un remède au malichor, et les Lugeid Blau... difficile à dire, leurs intentions se disent pacifiques mais ils sont les plus indéchiffrables."

Nous avions au moins la chance avec ceux-là qu'ils étaient ouvertement à vouloir nouer des liens amicaux avec les nôtres, même si dans la réalité la plupart sont assez réticents. Mais quoi qu'il en soit... Peut être qu'il y avait encore une chance. Peut être qu'ils pouvaient changer et éviter à Tir Fradi le même sort qu'ils ont fait subir à Gacane. Je souriais légèrement, regardant la stèle.

"Mais vous avez raison, l'espoir doit montrer le chemin. Si les vôtres qui viennent cherche une seconde chance ici sont capable d'apprendre et d'écouter, alors peut être que tout n'est pas perdu."

Il y eut un petit silence, me plongeant dans quelques réflexions. Notre île était en danger, d'une certaine façon, mais si les renaigses nous écoutaient, un peu comme ce visage de fer, alors peut être que nous pourrions arriver à une certaine compréhension, ou bien une entente. Et peut être que ceux qui veulent rester pourront le faire sans rompre l'équilibre de l'île et la profaner. Je tournais mon regard clair sur le Saul Lasser, songeuse. Je crois que c'était le plus longtemps que j'avais conversé avec l'un des leurs. Le plus longtemps que j'en avais écouté sérieusement hein. S'il existait plus de personnes comme lui, qui cherchent à comprendre sans à vouloir placarder leurs croyances à tout va et imposer leurs façon de faire, alors peut être que les choses pourraient aller mieux. Je lui souriais avec douceur, heureuse d'avoir fait cette rencontre.

"Il est agréable de converser avec un Saul Lasser qui ne cherche pas désespérément à nous changer, et qui est capable d'écouter.... Je me nomme Elatha, fille d'Aelwenn, fille de Maë et doneigad de Wenshaveye. Quel est ton nom, Frichtimen airni ?"

Je me disais qu'il était temps de faire une présentation formelle, et d'arrêter de l'appeler visage de fer. Il en valait la peine à mes yeux, et peut être que cette future relation pourrait être bénéfique à tous les deux. Qui sait.

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Lucius gardait ses mains croisés derrière son dos, pas en signe de froideur ou de distanciation. Non, en vérité cette conversation était intéressante, stimulante même. Et peut-être pourrait-il même la qualifier de libératrice. Que son chemin l’ai guidé jusqu’ici n’était probablement pas un hasard. Le sens de cette rencontre résonnerait dans l’esprit du théologien pour les jours à venir. Et elle lui donnerait certainement matière à réflexion.

« Les layons… J’imagine que vous voulez parler des membres de l’Alliance du Pont. Oui… la malichor, une affliction toujours inconnue à bien des égards. Thélème pense qu’il s’agit d’un châtiment divin pour punir les péchés humain, et l’Alliance pense qu’il s’agit d’une maladie toujours incomprise. La magie est inutile pour la soigner, et les meilleures potions de l’Alliance sont sans effet sur elle. L’attraper est une condamnation à mort. C’est une bénédiction que cette île ne porte pas cette maladie. Je crains qu’autrement, les bûchers funéraires ne se multiplieraient. Peut-être les scientifiques de l’Alliance trouveront t-ils un remède sur cette île. Ou peut-être pas. »

Quand à ceux qu’elle nommait Lugeid Blau, Lucius déduit qu’elle parlait probablement de la Congrégation. Procéder par élimination était du bon sens, après tout.

« Hm… Lugeid Blau ? Intéressant. La Congrégation, j’imagine. Ils sont ceux qui ont réussi à rester neutre dans un continent qui se déchire. Leurs motivations ne doivent pas être bien différente sur cette île qu’elles ne l’étaient sur Gacane. Le commerce, l’industrialisation. Ils essayeront de rester neutre par tout les moyens, et probablement de prôner la paix pour continuer leur commerce. Comme ils l’ont toujours fait. »

A la fin, ils agissaient tous comme ils l’avaient toujours fait, guidés par leur habitudes, leur croyance et leur manière de voir le monde autours d’eux. Peut-être y avait-il un espoir qu’ils changent tous, mais Lucius en doutait. Même si de maigres changements fleurissaient. Après tout, la venue d’un nouvel ordre religieux sur Teer Fradee, et sa nouvelle importance changeait la donne pour tout les thélémites sur l’île. Une goutte d’eau qui agitait l’océan.

Mais avec cette conversation, peut-être était-il enfin temps d’échanger leur nom, qu’ils cessent de se référer en temps qu’étrangers ? Ce genre de discussion était rare, Lucius s’était habitué aux discours de sourd de ses pairs. Des réactions naturel, là ou la censure pouvait intervenir, et l’Ordo Luminis interroger un prêtre qui ne faisait pas preuve d’une foi assez fervente. Une prison, à bien des égards.

« Et il est rafraîchissant de discuter avec quelqu’un capable d’ouverture d’esprit. Une qualité bien trop rare. Je me nomme Lucius. Enchanté, de faire votre connaissance. »

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Je l'écoutais avec intérêt m'expliquer les différents objectifs des clans de renaigses rencontrés dans l'île, et au final me rendait compte que je n'étais pas si loin du but. La Malichor revenait de nouveau, mais cela ne semblait pas forcément le but ultime de tous, quoi qu'un motif suffisant pour justifier le déplacement sur notre île. Enfin, sauf les lugeid blau, j'avoue ne pas être capable de pleinement les comprendre. Peut être que je devrais demander à Odran ou bien à ma cousine Freyja, eux qui commercent avec eux. Mais à part leur appât du gain... Au moins, ils n'essayent pas directement de nous faire du mal, c'est déjà ça.

Et ce Saul Lasser, lui, semblait être l'exception qui confirmait la règle. Il s'était montré courtois et patient jusqu'au bout, prenant la peine de m'expliquer les choses même si je ne lui avais pas vraiment demandé, et avait répondu avec politesse à ma présentation. Souriant avec amabilité et plus de chaleur que plus tôt, j'hochais de la tête pour répondre positivement.

"Plaisir partagé, Lucius... Mon ouverture d'esprit est sans doute dûe à ma curiosité naturelle envers votre peuple, et le fait que je sois une guérisseuse. Pour guérir l'esprit autant que le corps d'une personne, il faut être capable d'écouter et d'apprendre plus que de diriger. Je préfère le dire, tous les doneigada ne sont pas ainsi."

Cette petite mise en garde n'était pas pour me valoriser ni même lui faire peur, mais simplement statuer un fait. Tout comme il doit y avoir pleins de Saul Lasser différents, il y a une multitude de doneigada différents, selon le rôle qu'ils se sont attribués, ou que leur village leur a attribué par défaut. Wenshaveye était un village de partage, de neutralité et de guérison. Ecouter les maux des autres et essayer de les comprendre faisait partie de nous. Attendre la même chose d'un doneigad de vighulgsob par exemple était... un espoir bien naïf. D'où l'importance d'en savoir un maximum sur les autres, et de ne pas faire de généralité. Pour cela, faut il encore comprendre tout ce qu'ils pouvaient dire, ce qui me ramenait à ma première interrogation lors de notre conversation. De façon peut être un peu innocente voir candide, je lui demandais un peu de son savoir sur les mots qu'ils utilisaient, ou du moins qu'il avait utilisé.

"Dites moi, pourriez-vous m'expliquer les mots que vous avez utilisés plus tôt ? Prosélitis, c'est ce que fond les Embrumeurs d'esprit ? Et la Théolo, c'est ce que vous faites ? En quoi est ce que cela consiste ? "

Après tout, les connaitre pourrait me permettre de mieux le comprendre lui, et si jamais cela est utilisé par un autre renaigse je saurais de quoi il en retourne. J'ai l'avantage pour moi d'avoir une très bonne mémoire, ce qui m'a toujours aidé en tant que doneigad. Et je comptais bien utiliser ce talent pour en savoir le plus possible sur les renaigses pour mieux les comprendre. Et donc mieux communiquer ou s'en prévenir si besoin.

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 Lucius inclinait légèrement la tête, signifiant qu’il comprenait parfaitement ce qu’Elatha voulait dire lorsqu’elle prit la parole dans un premier temps. Tout les doneigads ne partageaient pas le même avis, ni la même approche que celle qu’Elatha entreprenait. C’était tout naturel, tout les membres de l’église du Lumineux étaient rarement semblable eux-mêmes. Leur foi les rassemblait, certains partageaient les mêmes espoirs et rêves, alors que d’autres traçaient leur propre chemin. De différentes missions, de différents courant de pensée, de différente manière de voir le monde qui les entourait. Ils formaient un même peuple, mais avec des buts différents, pas une masse informe guidée par une seule idée. Il en était de même pour la Congrégation, l’Alliance du Pont, et bien sûr les natifs. Pour mieux comprendre ce qui pouvait les animer, il fallait en apprendre plus sur eux. Leur philosophie, leurs croyances, leur art, tout ce qui pouvait permettre d’approfondir son savoir sur eux était sujet à introspection, à une compréhension.


Alors Lucius ne rejeta pas la demande de la doneigad vis-à-vis du vocabulaire qu’il avait pu utiliser précédemment lors de leur conversation. Une curiosité et une volonté d’en connaître plus sur le nouveau monde qui l’entourait ne serait pas rejeté par le religieux, bien au contraire il valorisait particulièrement ce but. Alors quoi de plus naturel de répondre aux questions de la native ?


« Le prosélytisme, oui. C’est bel est bien l’activité favorite des missionnaires, la mission qui les anime. Lorsqu’ils vont auprès des vôtres et leur parle des vertus et des bienfaits du Lumineux, ils s’adonnent à ce prosélytisme. La tentative de convertir d’autres individus, et par conséquent de sauver leur âmes. Même si certains s’y adonnent avec une efficacité douteuse, leurs efforts sont sincères. Peut-être est-ce là toute l’ironie de la chose, ils pensent sincèrement vous rendre service en tentant de vous convertir, et dans leur insistance repoussent certains. D’autres refusent simplement de changer leur mode de vie, une attitude compréhensible. Pourquoi changer les choses alors qu’elles ont toujours été telle qu’elles sont ? Et pourquoi écouter des gens qui viennent d’au-delà de cette île alors qu’eux-mêmes ont leur propre problèmes ? Tous font comme ils l’ont toujours fait, c’est ainsi que sont les choses.


Pour ce qui est de la théologie… Eh bien nous passons notre vie à étudier les textes religieux laissé par ceux qui nous ont précédés, et en tirons des conclusions qui peuvent parfois changer la perception des croyants. Tant que ces conclusions ne se trouvent pas trop éloignées du dogme dominant Thélème, sans quoi elles s’en trouvent censurées, mises de côté et oubliées à prendre la poussière. Quand elles ne sont pas tout simplement détruites. En vérité nous avons parfois accès à des sources de savoir inconnu du plus grand nombre, et si nous sommes d’accord sur un certain nombre de sujets, nos perceptions ne sont pas les mêmes. Sur le continent j’étais en relation épistolaire avec certains autres de mes pairs, nous nous envoyions des lettres qui servaient de support pour une conversation et une réflexion à distance. Maintenant ces lettres sont beaucoup plus rares, il s’agit toujours d’un long voyage jusqu’au continent. Dommage, mais elles sont encore plus précieuses lorsqu’elles arrivent à leur destinataire. »

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J'écoutais avec attention ce que Lucius m'expliquait. J'avais un peu de mal à saisir tout le sens de ses explications, mais ne disais rien. Il m'expliquait bien plus que ce que je lui avais demandé, et je lui en étais reconnaissante. Je me concentrais sur tout ce qu'il disait, fronçant légèrement les sourcils dans l'effort de concentration. Les Saul Lasser pensaient donc nous sauver avec leur volonté de nous incorporer dans leur religion. Mais ne voyaient ils pas que nous avions déjà nos croyances, adaptées à notre terre ? Pourquoi vouloir absolument nous forcer à changer, surtout si nous sommes heureux et que nous vivons en harmonie ? De quoi faudrait il nous sauver, à par d'eux ? J'étais perplexe, même si selon Lucius leurs intentions étaient généreuses et bonnes, elles restaient déplacées. Mais surtout je comparais cela à nos propres façons de faire. Nous expliquions les principes de notre culte, mais à aucun moment nous en forcions les autres. Tant qu'ils comprennent et respecte, c'est tout ce qui compte. Du moins, chez les donaigada de Wenshaveye.

"Je vois... donc le prosélytisme c'est de parler de sa religion, dans l'intention de convertir, c'est bien ça ? Mh... Je ne comprends pas l'intérêt, surtout pour faire cela à un peuple qui croit déjà en quelque chose relié à sa terre. Ils veulent nous "sauver", mais en devraient ils pas déjà se sauver eux même et leur terre, Gacane ? quand je vois parfois la folie des votres, je me demande pourquoi ils ne se concentrent pas sur les leurs avant de vouloir répandre leur façon de penser et de croire à autrui..."

Je pensais cela depuis les nouvelles informations que venait de me donner Lucius. Si avec leur religion ils ne sont même pas capable de prendre soin de leur terre, pourquoi venir chez nous alors que nous allons bien ? Je n'aimais pas cela, pas du tout. Mais au moins des Saul Lasser comme Lucius semblaient exister, ce qui était plus rassurant. Leur respect envers notre culture et notre religion était tout à leur honneur, bien plus que ces Embrumeurs d'Esprit qui venaient nous "sauver". D'ailleurs, il y avait quelque chose d'intéressant dans ce qu'il avait expliqué sur la théologie. Il recherche la compréhension et l'origine de leur culte, ce qui me parait tout à fait honorable et intéressant. Moi même, en dehors de mes activités de guérisseuse, aimait à mieux comprendre ce que nous étions en terme de culture et de religion envers Tee Fradee. Il y avait encore bien des Grottes de Savoir que je n'avais pas exploré, et celle de Bidri m'avait ouvert encore plus les yeux sur ce que notre passé recelait. Avec un léger sourire, je commentais son explication sur la théologie à laquelle il s'adonnait.

"Théologie.. mh... j'ai cru comprendre que vous écrivez beaucoup, pour dire bien des choses et que cela n'est pas réservé pour des prières ou des promesses particulières. Nous avons aussi une écriture, mais elle est très spéciale et réservée pour des rituels importants, ou bien pour des promesses de la plus haute importance. Cependant... nous avons des fresques qui racontent l'histoire de notre île, et le savoir de notre peuple. Je suppose qu'étudier ces fresques doit se rapprocher de votre étude des... "textes sacrés". C'est intéressant je trouve, il y a toujours quelque chose de profond à méditer devant les fresques et essayer d'en comprendre toute la signification. "

Mon regard s'adoucissait, pensant aux heures passées dans la Grotte du Savoir à méditer devant les fresque, observer les formes et les couleurs, comprendre leur signification, ressentir le Lien avec en ol mil frichtimen pendant ce laps de temps. Il y avait toujours cette chose inexplicable, que l'on ne peut que ressentir et non décrire, qui nous rapproche de ce que nous sommes et de notre terre. Cette compréhension globale et fugace, pourtant si pénétrante voir presque effrayante. Mais les renaigse, eux, semblaient avoir d'autres manières. Comme leurs textes, qui contrairement aux notres ne tenaient pas du secret, sauf pour certains qui semblaient avoir une signification plus respectée et en lien avec leur religion. Il était compliqué de comprendre cela, surtout quand on voit comment els renaigses ne sont pas du genre à tenir leurs promesses. Peut être que comme nous, une fois que cela est écrit la promesse devient sacrée ? Cela m'avait toujours intéressé, et j'avais commencé à étudier leur écriture, peu avant que le groupe de sage Layons ne partent de leur campement. Mais il y avait encore beaucoup à apprendre, même sur leur symbolique.

Je repensais alors à ce que j'avais reçu il y a plusieurs semaines de cela. L'objet étrange renaigse, qui avait l'air ancien autant qu'unique. Peut être que ce Saul Lasser, qui avait l'air plutôt disposé à dicsuter et à échanger, pourrait m'être utile à le comprendre. Je me tournais donc vers lui, me rapprochant un peu.

"En parlant de signification, peut être que vous pourriez m'aider..."

Je fouillais au niveau de mon cou, tirant sur une cordelette pour en sortir un bijou bien caché sous ma tunique. C'était un anneau en métal, qui semblait comporter des inscriptions dessus. Ou plutôt un genre de dessin. J'arrachais le cordon, et lui tendis dans ma main l'anneau.

"Quelqu'un a déposé cet objet devant chez moi un jour. Cela vient de voter peuple sans aucun doute, mais j'ai du mal à comprendre la signification sur les inscriptions. Je ne sais pas pourquoi, mais cela ne me semble pas être une simple décoration. Est ce que vous sauriez ce que c'est ?"

Le dessin sur l'anneau me paraissait étrange et unique, et mon instinct de doneigad me disait que cela n'était sans doute pas anodin. Peut être que cela me donnera un peu plus d'information sur la personne mystère qui me l'avait offerte, et sur ses intentions. Qui sait.

P.S.:

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 « Hm, cet intérêt de convertir toujours plus d’incroyants vient des écritures. Les missionnaires sont beaucoup de choses, certains sont dévoués, d’autre compatissant, suffisant, insupportable, mais tous sont persuadés d’agir pour le plus grand bien. Après tout, chaque âme convertie au culte du Lumineux est considéré comme étant sauvé d’un destin terrible. Il veille sur les âmes des fidèles, et leur offre la rédemption. Voilà ce que pensent les missionnaires lorsqu’ils tentent inlassablement de convertir toujours plus de peuples étrangers. Les vôtres ne sont que les derniers en date, et peu réceptif aux discours des missionnaires. Comme je l’ai déjà dit, ils font ce qu’ils sont voués à faire. »

Une mission qu’ils continuaient, et continueraient certainement de mener pendant de longues années, Lucius n’en doutait pas un seul instant. Il était difficile de se détourner d’une mission sacrée, d’une mission menée pour le bien commun, et pour apporter le salut aux âmes ignorantes. Même lorsque celles-ci ne désiraient pas être sauvées, tout simplement parce qu’elles ne voyaient pas de quoi être sauvé. C’était ainsi que certains missionnaires interprétaient les natifs.

Le thélémite écouta avec la plus grande attention lorsque Elatha lui expliqua l’importance de l’écriture chez les natifs. Ainsi elle n’était réservée que pour des occasions de la plus haute importance, des rites, des réjouissances, des promesses qu’il fallait marquer. Elle ne semblait pas être vouée à documenter, ou écrire d’autres aspects de la vie des natifs que ceux-ci. Néanmoins il s’agissait d’un point intéressant, seule les rituels et promesses de la plus haute importance méritaient d’être écrite. Était-ce une manière de s’en rappeler, ou était pour tout autre chose encore ? Une question qui ne trouverait sans doute pas réponse aujourd’hui. Un savoir qui était voué à être découvert un autre jour, car un autre point attirait l’attention du théologien.

Ainsi donc les natifs ne conservaient pas de documents, mais il existait des fresques consignant l’histoire de l’île. Fascinant. Ces fresques pouvaient tant leur apprendre sur l’existence même de cette île, peut-être qu’à l’image de cette écriture étrange des natives, il aurait l’occasion d’en apprendre bien plus sur ces fresques. Mais ce n’était qu’une étape, il y avait tant à apprendre sur cette île. L’origine de ces clans, leur histoire, comment elle a forgé leur manière de vivre et de penser, leur traditions. Une soif d’en connaître toujours plus, une soif insatiable, sa plus grande leçon, et sa plus grande faiblesse.

« Ah, oui, la grande question, d’où venons-nous ? Quelles sont nos racines ? Tellement de questions sans réponses, et si peu de temps pour trouver un sens à toutes ces questions. Sans parler de l’interprétation de ceux qui ont peint, ou écrit l’histoire que nous peinons à comprendre parfois. »

Tellement de variables à prendre en compte, et si peu de temps pour se pencher sur toute la question. Sans compter qu’un tel savoir ne serait pas forcément voué à être dévoilé au plus grand nombre. Lucius avait vu de trop nombreuses fois la censure de l’église opérer et mettre des textes sous le sceau du secret.

Mais ces nobles pensées furent interrompu par une autre requête singulière de la native. Le théologien pencha légèrement la tête, symbole de sa curiosité, avant d’observer l’objet de cette requête d’un peu plus près, et de le prendre en main. L’observant soigneusement, il traça les contours de la bague de sa main gantée, avant de s’autoriser un bref commentaire.

« Fascinant. »

Il leva légèrement la bague en l’air pour l’admirer sous tout ses contours, avant de se concentrer sur la particularité de cette bague. Il approcha son regard, détaillant avec intention le symbole inscrit dessus.

« Intéressant. Très intéressant. Vous dites que quelqu’un a déposé cet objet devant chez vous, c’est bien cela ? » Il demanda, presque incrédule que quelqu’un dépose tout simplement une bague de cette sorte devant la maison d’une native. Mais le destin était une chose retorse et capricieuse après tout. Qui savait quel chemin cette bague allait tracer pour la native ?

« Il ne s’agit pas d’une bague utilisé par les religieux de thélème, ni par les pratiquants de la magie. C’est un sceau héraldique, appartenant sans aucun doute à un noble de la Congrégation Marchande. Cette bague permet, grâce au symbole gravé dessus, de confirmer l’authenticité et la véracité d’un document. En d’autre terme, de prouver que ce qui inscrit dessus provient bien du noble auquel appartient ce sceau. C’est un objet extrêmement précieux, ce qui rend d’autant plus intrigante la raison pour laquelle on a pu vouloir déposer ceci devant chez vous. C’est curieux.

En revanche, je ne reconnais pas la maison noble auquel appartient ce sceau, et mon expertise à ce sujet s’arrête malheureusement ici. Vous aurez probablement plus de chance auprès d’un membre de la Congrégation, qu’il soit noble, ou plus versé que je ne le suis sur leur familles dirigeantes. Je vous recommande néanmoins la prudence, un sceau de ce genre ne s’égare pas sans raison. »

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Je commençais petit à petit à m'habituer à sa façon de parler. Il parlait beaucoup, avec des phrases compliquées, mais ça allait mieux. Il avait l'air d'être un esprit intéressé par les questions que même les plus vieux doneigada se posent, mais avec une façon de mettre en perspective assez différente et... fascinante. Je me notais dans un coin de ma tête - alors que je lui confirmais d'un hochement de la tête que j'avais reçu par hasard cet objet et qu'il observait avec intérêt la bague que je lui avais tendu, qu'il avait l'air curieux de nos fresques. Peut être que je pourrais lui en parler plus tard, s'il continue d'y montrer un intérêt. En attendant je l'écoutais m'expliquer ce qu'était ce bijou.

Haaa, encore des mots compliqués qui me firent froncer des sourcils. Je faisais des efforts pour bien saisir les nuances de ce qu'il me racontait, mais je retenais surtout au final l'essentiel. C'était bien un objet renaigse, des lugeid blau plus précisément. Je m'étonnais que ce petit objet puisse aider à faire tenir des promesses aux renaigses. Je me demandais comment cela pouvait marcher... Pensive et observant la gravure, je résumais le plus important.

"Si je comprends bien... C'est quelque chose d'important, qui permet de prouver qu'une promesse est bien tenue par la bonne personne ?"

Mes yeux se posèrent sur le masque du frichtimen airni. Difficile de voir ses yeux, et si sa mise en garde était sincère ou bien juste de principe. Il avait l'air inquiet sur la dangerosité de cet objet, car qu'il se soit retrouvé entre mes mains semblait autant incongrus qu'inquiétant. Pour moi. Je regardais de nouveau l'objet, prenant conscience de ce que sa présence devant chez moi pouvait impliquer.

"Si c'est quelque chose d'aussi important, je me demande comment cela a pu se trouver à ma porte. Je doute qu'un Lugeid Blau ait déposé cela devant ma hutte, je n'en connais pas pour qu'il puisse agir ainsi. L'un des miens l'a sans doute trouvé et vu que c'était joli. Pourtant, si c'est ici... C'est que quelqu'un la perdu, ou bien qu'il n'est plus vivant."

L'objet étant aussi précieux, il semblait encore plus improbable que quelqu'un l'ai jeté de façon volontaire dans la nature. Ou alors, c'est vraiment que ces renaigses ont des esprits sombres et tordus. Quelque chose me disait que peut être ce n'était en effet pas par hasard que l'on m'avait donné l'objet. Peut être qu'en ol mil frichtimen me testait, ou bien voulait faire passer un message. Mh... Je tendis la main pour reprendre l'objet, souriant et remerciant le Saul Lasser qui m'avait aidé à en savoir un peu plus.

"Merci Lucius. Je vais en prendre soin et essayer de savoir à qui cela peut appartenir. Même si c'est un présent qui m'a été offert, si c'est quelque chose d'aussi important pour les renaigses il faut qu'il retrouve sa personne de droit. Mais je comprends aussi le danger, je ferais... attention."

Je rattachais l'anneau autour de mon cou et le cachait sous mes vêtements, me promettant intérieurement de ne pas le montrer à d'autres renaigses. Pas tant que je serais certaine qu'ils aient de bonnes intentions. Je me rendais compte de la chance d'être tombée sur Lucius. Si cela avait été un autre, il aurait pu essayer de me prendre l'anneau de force, ou bien me persuader de le lui céder. Oui, j'avais de la chance de l'avoir rencontré, surtout qu'il m'apprenait malgré lui de nouveaux mots. Je le regardais avec une nouvelle curiosité, m'ouvrant à lui sans m'en rendre compte.

"C'est la première fois que j'entends le mot "héraldic", mais j'ai déjà entendu parlé du mot "noble" sans pour autant en comprendre le sens. Qu'est ce qu'un noble ? Une personne d'importance, mais en quoi ?"

Soudain, je me rendis compte que je l'avais beaucoup interrogé, abusant sans doute de sa gentillesse et de sa patience. Etant du genre de personne à vouloir rendre la pareille, je me stoppais et lui proposais s'il le voulait d'agir de même.

"Ho, je vous pose beaucoup de questions, il faut excuser ma curiosité. Mais si vous en avez vous pouvez me les poser. Vous semblez intéressé par ce que nous sommes pour de bonnes raisons, par une curiosité sincère et ... pure en un sens. Vous cherchez à comprendre sans vouloir du mal, pour le simple intérêt d'apprendre. C'est louable, et n'importe quel professeur serait heureux d'avoir un tel apprentis."

Je lui fis un grand sourire sincère, mes yeux pétillants et vifs posés sur lui. Un apprentis curieux et vif d'esprit, ouvert d'esprit surtout, était ce que tout doneigad souhaiterait. J'étais bien trop jeune pour avoir un apprenti, mais il était toujours agréable de pouvoir partager son savoir avec qui saurait l'apprécier à sa juste valeur.

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 « En partie, oui. Cela ce sceau pourrait être utilisé dans d’autres circonstances. Prouver que les lettres ont bien été écrite par le propriétaire de ce sceau, ou encore montrer sa propre importance. Il est rare que de tels objets ne soit voué à n’être utilisé que d’une seule façon. Il s’agit toujours d’une marque d’importance particulière au sein de la Congrégation marchande. Un tel objet est d’une grande importance pour ses propriétaires, qu’il s’agisse d’une volonté divine, ou d’un signe du destin, il semblerait qu’il ait été voué à se retrouver sur le pas de votre porte. Que ce soit un signe de chance ou de malchance, cela restera à vous de le découvrir. »


Lucius tendit sa main, rendant l’anneau à la native. Il s’agissait forcément d’un aléas du destin, il ne pouvait en être autrement. Et pourtant nombreux seraient ceux à dire qu’il ne s’agissait que d’une simple coïncidence. Mais Lucius ne croyait pas que de simples coïncidence existaient. Tout était ordonné, logique, qu’il s’agisse d’une suite de circonstance logique ou d’une suite hasardeuses d’événements. Tout n’était que le fruit du destin, d’une suite d’événements qui restaient néanmoins logiques, qu’importe à quel point cela pouvait sembler farfelu. Tout ce qui existait et survenait avait un sens.


« Un noble ? » Il murmura de manière songeuse après la question de la doneigada, « La noblesse a plusieurs définitions. Néanmoins, celle qui vous intéresse en ce moment même est la classe dirigeante de la Congrégation Marchande. Une noblesse de sang, et une noblesse politique. Ils sont les dirigeant de la Congrégation, chacun des princes de la Congrégation dirige une cité-état, et ils forment un conseil dans lequel ils se livrent sans doute une lutte farouche pour l’influence politique et l’ascension vers de plus grandes responsabilités. Il est possible que ce sceau appartienne… ou appartenait, à l’un des descendants d’une de ces influentes familles. Ou d’une noblesse plus mineure, celles qui sont en dessous des princes. Reste que dans la Congrégation, noblesse est synonyme d’influence et de richesse. S’il ne s’agit pas d’une famille en état de désuétude, et dans ce cas, c’est une longue agonie vers l’oublie qui attend les membres de cette famille. »


Les luttes d’influences et les complots étaient monnaies courantes dans la Congrégation, comme dans toute autre faction de Gacane. Influence et pouvoir faisaient miroiter d’envie tout individu ambitieux, et si les plus doués parvenaient aux sommets, nombreux étaient ceux qui perdaient absolument tout, avant d’être rabaissés plus bas que terre.


Les dernières paroles de la native rendirent Lucius songeur. Il ne faisait preuve que d’une simple curiosité, l’interprétation des événements, des paroles ou de quoi que ce soit d’autres décrits par la native ne restaient que de simples interprétations de sa part. Il n’était pas si vain ni si arrogant pour prétendre connaître quels desseins le Lumineux réservait aux mortels. Si le théologien se tenait se tenait à cet endroit et ce moment précis, ce n’était qu’après une suite d’événements qui avait fait de lui ce qu’il était.

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Frichtimen Airni parla beaucoup, encore avec des mots compliqués. Cependant, j'arrivais à comprendre la plupart des informations qu'il me donnait. Cette bague, ce "sceau" comme il semblait l'appeler, était un objet d'importance et d'identité. Les "Nobles" étaient de ce que j'avais compris une caste importante et influente chez les Lugeid Blau, même si cela ne semblait pas vraiment être au même titre que leur Mal.

"Je vois... merci pour toutes ces informations."

Pensive, je me disais qu'il faudrait vraiment que je garde cet objet caché pour le moment. Et je me sentais comme investi d'une nouvelle mission, sans doute par la volonté d'En Ol Mil Frichtimen. Retrouver ceux à qui appartenait ce sceau me semblait important, et cela pourrait peut être aussi aider les miens. S'ils nous sont redevables, alors peut être qu'ils pourraient être plus favorables envers nous, nous écouter ? Peut être... Mais il ne faut pas que cela tombe entre de mauvaises mains, j'en avais conscience.

La conversation s'était interrompue, Lucius semblait être rentré dans un mutisme pensif. Cela ne me gênait pas, pour une fois qu'un Saul Lasser ne parle pas tout le temps pour essayer de nous convertir, je ne vais pas dire non. Je contemplais la stèle, regardant les différents tracés inscrits il y a bien des centaines de cycle et qui perduraient. Ha oui, peut être qu'il pourra aussi m'aider pour ça... Je tournais mon visage vers lui, lui posant une nouvelle question.

"Dites moi, vous avez parlé de "lettre" plus tôt. Est ce vrai que tous les renaigses utilisent le langage écrit pour communiquer, ou bien conserver des informations ? Est ce que c'est quelque chose qui peut être enseigné à tout le monde ?"

J'étais toujours curieuse de ce concept d'écriture non sacrée, et de comment autant de gens pouvaient l'apprendre. J'avais aussi essayé de l'apprendre par curiosité, mais avait manqué de professeur maintenant que les Layons de Wenshaveye étaient parti. Peut être que lui en parler pourrait m'aider à en savoir plus et trouver un moyen de continuer mon apprentissage.

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 « C’est bien naturel. Il est plus simple de prendre des décisions lorsqu’on a en sa possession le savoir requis pour en faire bon usage. Surtout un sujet aussi épineux qu’une possession noble se retrouve désormais entre vos mains. Comme je l’ai dis auparavant, ce n’est sans doute pas le fruit du hasard. Faites preuve de prudence dans vos recherche, mais ne dédaignez aucune piste. »


Le rôle de Lucius de partager son savoir vis-à-vis des possessions de la noblesse de la Confrérie Marchande s’achevait, n’ayant pas plus à partager que les conseils qu’il avait déjà prodigué. Mais cela ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas endosser un nouveau rôle. Après tout, il était libre de partager ses connaissances avec n’importe qui il jugeait suffisamment sensible pour l’écouter.


Alors qu’il écoutait la requête de la doneigad, Lucius porta pensivement la main à son menton, comme s’il réfléchissait à cette requête aussi surprenante qu’opportune.


« Hm. Je vois. » Se contenta t-il de dire derrière son masque inexpressif, « L’usage de l’écriture n’est en effet pas un secret, certains l’utilisent plus que d’autres, pour diverses raisons. Certains l’utilisent pour partager leur savoir, d’autres pour rédiger des contrats liant par exemple deux personnes à remplir certaines obligations. Certains se contentent d’écrire des lettres pour donner des nouvelles à leur famille sur le continent. Comme je l’ai dis, un usage divers et varié. Quand à l’enseignement de cette écriture, c’est en effet une chose qui peut être appris par tous et toutes. Peut-être souhaitez vous bénéficier d’un tel savoir vous-même ? Cela pourrait certainement être pratique. »

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Je gardais bien en tête la mise en garde de Lucius, surtout qu'elle faisait écho (maintenant que j'y pensais) à l'une des mésaventure que j'avais eu avec des renaigses. En voulant sauver Adamo, je ne savais pas que ces bagues étaient aussi importantes, et avais sans doute porté sur moi le doute tout comme la rancoeur. Je ne pouvais plus rien pour la bague d'Adamo, mais si je retrouvais le propriétaire légitime de cette bague sans doute que je pourrais réparer (d'un certaine façon) mon erreur du passé.

Ma question sur l'écriture semblait lui faire écho, et j'écoutais attentivement ses explications. Cela confirmait ce que les layons m'avaient aussi expliqués de leur côté, même s'ils avaient surtout parlé du savoir que l'on peut concentrer en un seul objet qui pouvait ensuite passer de nombreux cycles. La notion de contrat était un peu plus nouvelle, mais je comprenais que cela faisait sans doute référence à leur façon de faire des promesses. Cela m'étonnait un peu de leur part, vu comment ils avaient l'air de ne pas savoir tenir leur promesse et leur parole. Un paradoxe qui me rendait d'autant plus curieuse. Est ce que ces contrats sont les seuls moyens pour que les renaigses tiennent leur parole ? Cela me confortait dans ma volonté de continuer à apprendre. Lucius m'avait d'ailleurs demandé si je souhaitais apprendre, et je lui confirmais avoir même commencé à le faire.

"J'ai en effet commencé à apprendre un peu votre écriture. En tant que doneigad ce n'est pas tabou, même si certains des nôtres s'en offusqueraient. Mais je pense cela autant utile qu'intéressant. Si je veux mieux comprendre les vôtres, n'est ce pas là un passage obligé ?"

La compréhension venait par la connaissance, et je savais qu'interagir avec les renaigses avait ses limites. Mais si je pouvais lire ce que eux pouvaient lire, alors peut être que j'apprendrais une autre facette de leur peuple. Peut être que cela pourrait aider les nôtres, et cette histoire de "contrat" pourrait être la clé pour nous faire un peu plus respecter. Ou du moins essayer. Je ne devais écarter aucune piste. Pour autant, ma quête avait subis il y a peu un certains revers, ce que je ne pouvais m'empêcher d'exprimer par un air triste et un soupire.

"Cependant mon apprentissage a coupé court... Je connais les lettres et quelques mots, grâce aux sages layons qui étaient en campement non loin de notre village. Mais depuis qu'ils sont partis, je n'ai pas pu continuer d'apprendre. Même si je connais les lettres cela ne me permet pas de déchiffrer encore les mots que vous utilisez. Il faudrait que je trouve un autre sage pour m'enseigner, mais la situation actuelle est un peu..."

Je me taisais, repensant aux tensions grandissantes et comment les layons s'étaient presque enfermés pour certains derrière leurs murailles. Avec le sauvetage raté d'Adamo je n'étais pas bien vue par les gens de Nouvelle-Sélène, que ce soit ma faute ou non je devais garder mes distances. Cela réduisait singulièrement mes chances de continuer mon apprentissage. Mes yeux se posèrent de nouveau sur le masque en métal de Lucius. Peut être que lui pourrait m'aider.

"Connaitriez-vous quelqu'un qui serait d'accord pour enseigner à un natif comme moi ? Vous peut être ?"

Je devais saisir toutes les chances qui s'offraient à moi, et ne pas en lésiner une seule. Avec lui, qui ne semblait pas avoir une mauvaise opinion de moi malgré les premiers instants de notre rencontre, j'aurais peut être une chance de continuer. Peut être. Il accepta ma demande, et c'est avec un certain plaisir que je continuais ma conversation avec lui, commençant même à apprendre avec lui. La journée se finit en paix, avec beaucoup de nouvelles informations autant intéressantes que perturbantes.

[FIN]

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